Amnesty International appelle les autorités iraniennes à annuler immédiatement la condamnation d’une éminente militante des droits humains, membre du Centre de défense des droits humains (CDDH) et d’autres organisations de la société civile.
Narges Mohammadi, présidente du CDDH, a été condamnée en septembre 2011 à une peine de 11 ans d’emprisonnement par le Tribunal révolutionnaire de Téhéran. Sa sentence consistait en deux peines d’emprisonnement de cinq ans pour des chefs d’accusation distincts de « rassemblement et collusion avec l’intention de porter atteinte à la sécurité nationale » et d’une année supplémentaire pour « diffusion de propagande contre le régime ». Elle avait interjeté appel et son avocat avait été informé, le 4 mars 2012, qu’une décision de la 54e chambre de la Cour d’appel rendue le 15 janvier avait ramené sa peine à six ans d’emprisonnement. Mohammad Sharif, l’avocat de cette femme, avait fait valoir qu’il était injuste de la poursuivre pour deux chefs d’accusation distincts de « rassemblement et collusion » ; elle a été acquittée de l’un d’entre eux, ce qui a ramené sa peine à six ans d’emprisonnement.
Narges Mohammadi demeure en liberté en attendant de recevoir une sommation à se présenter pour purger sa peine. Si elle est incarcérée pour purger cette peine, Amnesty International la considèrera comme une prisonnière d’opinion.
Depuis la fermeture forcée du CDDH en décembre 2008, les autorités iraniennes mènent une campagne de poursuites débouchant sur des peines sévères contre toute personne ayant des liens avérés ou présumés avec ce centre.
Amnesty International demande régulièrement que les défenseurs iraniens des droits humains soient autorisés à mener leurs activités sans craindre d’être persécutés ou harcelés. Tout défenseur des droits humains faisant l’objet de poursuites en Iran pour avoir simplement mené des activités pacifiques et légitimes en faveur de ces droits devrait voir sa condamnation annulée. Toutes les personnes détenues pour ce motif et qui, de ce fait, sont considérées comme des prisonniers d’opinion doivent être remises en liberté immédiatement et sans condition.
Le travail de Narges Mohammadi au fil des ans lui a valu des prix dans plusieurs pays. Cependant elle a été frappée d’une interdiction de voyager et son passeport lui a été confisqué en 2009. Outre son action au sein du CDDH, elle est également cofondatrice du Comité pour l’arrêt des exécutions des mineurs de moins de 18 ans et du Comité Conseil national pour la paix, qui vise à atténuer les tensions internationales autour de la politique nucléaire de l’Iran, ainsi que du Comité de défense d’une élection libre, saine et équitable.Elle s’est entretenue par le passé avec Amnesty International de ses problèmes de santé dus à ses séjours en prison ces dernières années. Elle avait ajouté que de nombreux autres Iraniens sortant de prison avaient eux aussi de graves problèmes de santé.
Le CDDH a été fondé par des avocats et des militants iraniens éminents. Depuis la fermeture par les autorités de ce centre dirigé par Shirin Ebadi, lauréate du prix Nobel de la paix, ses membres ont continué leur action en faveur des droits humains. Shirin Ebadi est actuellement à l’étranger car elle craint de ne plus pouvoir poursuivre ses activités en faveur des droits humains si elle rentre en Iran.
La nouvelle de la décision de la Cour d’appel concernant Narges Mohammadi est parvenue quelques jours après que l’on eut appris que son collègue Abdolfattah Soltani, l’un des fondateurs du CDDH, avait été condamné à 18 ans d’emprisonnement dans une ville isolée et à une interdiction d’exercer sa profession pendant 20 ans.
Cet homme avait été arrêté le 10 septembre 2011 et accusé de « diffusion de propagande contre le régime », de « création d’un groupe d’opposition illégal » et de « rassemblement et collusion dans l’intention de porter atteinte à la sécurité nationale ». Il était également accusé d’avoir « accepté un prix illégal et des revenus illégaux » parce qu’il avait accepté le Prix international des droits humains de Nuremberg en 2009.
Amnesty International avait déjà reconnu cet avocat de 58 ans comme un prisonnier d’opinion détenu uniquement pour avoir exercé de manière pacifique son droit à la liberté d’expression et d’association, notamment dans le cadre de son travail d’avocat de la défense et au sein du CDDH. Aux termes de la décision de justice récente, il doit être transféré de la prison d’Evin, à Téhéran, vers une prison située à Borazjan, une ville isolée qui se trouve à près de 1000 kilomètres de la capitale, ce qui va rendre les visites difficiles pour sa famille. Celle-ci a annoncé aux médias qu’il avait l’intention d’interjeter appel.
La condamnation d’Abdolfattah Soltani est intervenue à l’approche des élections du 8 mars à la présidence de l’Ordre des avocats iraniens. Plusieurs avocats de renom spécialisés dans la défense des droits humains ont été empêchés de faire acte de candidature ; c’est notamment le cas de Mohammad Ali Dadkhah et de Ferideh Gheyrat, l’associée d’Abdolfattah Soltani, connue pour son action en faveur d’initiatives dans le domaine des droits humains.
Mohammad Ali Dadkhah, cofondateur du CDDH, a été condamné en juillet 2011 à une peine de neuf ans d’emprisonnement pour sa participation présumée à un complot en vue d’un « renversement en douceur » du gouvernement et « diffusion de propagande contre le régime ». Il lui a également été interdit d’enseigner et d’exercer sa profession d’avocat pendant 10 ans. Mohammad Ali Dadkhah qui est actuellement en liberté a déclaré, en février 2012, à Amnesty International, que bien que son appel ait été examiné trois mois plus tôt la décision ne lui avait toujours pas été notifiée.
Au moins neuf avocats, dont Mohammad Seyfzadeh – également membre du CDDH – représentant légal de Javid Houtan Kiyan et de Mostafa Daneshjou, seraient maintenus en détention en Iran. La plupart d’entre eux, sinon tous, sont considérés par des prisonniers d’opinion par Amnesty International. D’autres avocats et représentants légaux ont estimé qu’ils devaient quitter l’Iran à la suite des manifestations de juin 2009.
Mohammad Seyfzadeh purge actuellement une peine de deux ans d’emprisonnement – la peine de neuf ans prononcée en première instance ayant été réduite en appel - pour son rôle dans la création du CDDH. Arrêté le 11 avril 2011 pour avoir prétendument tenté de quitter le pays illégalement, il a été incarcéré dans un centre de détention d’Oroumieh, dans le nord-ouest du pays, dans des conditions s’apparentant à une disparition forcée pendant une quinzaine de jours. Cet homme avait déjà été condamné en octobre 2010 à neuf ans d’emprisonnement pour « création et appartenance à une association […] dont le but est de porter atteinte à la sécurité nationale » (le CDDH) et pour « diffusion de propagande contre le système ». Il avait également été condamné à une interdiction d’exercer pendant 10 ans.
Nasrin Sotoudeh, avocate de renom spécialisée dans la défense des droits humains qui a assuré par le passé la défense de Shirin Ebadi, cofondatrice du CDDH, purge actuellement une peine de six ans d’emprisonnement dans la prison d’Evin, à Téhéran - la peine de 11 ans prononcée en première instance ayant été réduite en appel. Elle a également été accusée de liens avec le CDDH, entre autres, ce qu’elle nie. Sa peine d’emprisonnement était accompagnée d’une interdiction d’exercer sa profession et de quitter le pays pendant 20 ans, ramenée à 10 ans en septembre 2011 à la suite de la procédure d’appel. Dans un rapport publié le 28 février 2012, Amnesty International a mis en évidence la répression exercée par les autorités iraniennes contre la liberté d’expression, d’association et de réunion.
Au cours des dernières années, le harcèlement, les arrestations et l’emprisonnement de défenseurs des droits humains, en particulier des droits des femmes, se sont intensifiés. Plusieurs organisations non gouvernementales ont été fermées, y compris le CDDH.
Complément d’informations
Tout individu peut être un défenseur des droits humains, quel que soit le métier qu’il exerce. Les défenseurs des droits humains se définissent avant tout par leur action, et non par leur activité professionnelle. Ils agissent, seuls ou en collaboration avec d’autres, à titre professionnel ou personnel, mais doivent respecter le principe d’universalité selon lequel tous les êtres humains sont égaux en dignité et en droits, sans distinction de genre, de race, d’appartenance ethnique ou de toute autre situation. Leurs actions doivent être pacifiques.
Dans son rapport adressé en février 2012 au Conseil des droits de l’homme [ONU], le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Iran a qualifié les défenseurs des droits humains et les prisonniers d’opinion de groupe en danger.
En novembre 2011, le Comité des droits de l’homme [ONU] qui surveille l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) a exprimé sa préoccupation « à propos d’informations persistantes faisant état de harcèlement ou d’intimidation, d’interdiction ou de dispersion par la force de manifestations, et d’arrestations et détentions arbitraires de défenseurs des droits humains ». Le comité a ajouté que
« les défenseurs des droits humains et les avocats purgent souvent des peines d’emprisonnement pour des crimes formulés de manière vague, par exemple mohareb (ennemi de Dieu) ou diffusion de propagande contre le régime ». Il a recommandé la remise en liberté immédiate et sans condition de tous les défenseurs des droits humains détenus uniquement pour avoir exercé de manière pacifique leurs droits à la liberté de réunion et d’association ainsi que l’ouverture sans délai d’enquêtes impartiales débouchant sur la comparution en justice des responsables présumés, pour tous les cas de menaces, de harcèlement et d’agression visant des défenseurs des droits humains.
Amnesty International a appelé à maintes reprises l’Iran à mettre un terme à la persécution des défenseurs des droits humains en raison de leur action pacifique et légitime pour défendre les droits d’autrui. La Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus adoptée en décembre 1988 par l’Assemblée générale de l’ONU reconnaît le droit de tout individu, individuellement ou en association avec d’autres - et notamment en formant des organisations, associations ou groupes non gouvernementaux, en s’y affiliant et en y participant - de « détenir, obtenir, recevoir et conserver des informations sur tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales en ayant notamment accès à l’information quant à la manière dont il est donné effet à ces droits et libertés dans le système législatif, judiciaire ou administratif national ; […] de publier, communiquer à autrui ou diffuser librement des idées, informations et connaissances sur tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales ; […d’] étudier, discuter, apprécier et évaluer le respect, tant en droit qu’en pratique, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales et […] d’appeler l’attention du public sur la question ».