La destruction du site, à Ahvaz, dans le sud de l’Iran, où se trouve une fosse commune contenant les restes d’au moins 44 personnes exécutées de façon extrajudiciaire anéantirait des preuves médicolégales de première importance et la possibilité d’obtenir justice pour les prisonniers tués massivement à travers le pays en 1988, ont déclaré Amnesty International et Justice for Iran.
Des photos et des vidéos obtenues par l’ONG Justice for Iran et examinées par Amnesty International montrent des bulldozers en train de travailler sur un chantier de construction juste à côté du site de la fosse commune d’Ahvaz, et des amas de terre et de débris autour de la tombe. Les autorités iraniennes n’ont fait aucune déclaration officielle au sujet du site d’Ahvaz, mais les familles ont appris par l’intermédiaire des ouvriers travaillant sur le chantier de construction que l’objectif est à terme de raser la dalle de béton qui marque l’endroit où se trouve la fosse commune, et de construire un bâtiment à cet emplacement.
« En tentant de détruire la fosse commune d’Ahvaz, les autorités iraniennes veulent manifestement détruire de façon délibérée les preuves concernant des crimes qu’elles ont commis par le passé, et priver les familles des victimes des exécutions massives de prisonniers de 1988 de leur droit à la vérité, à la justice et à des réparations. Il s’agit d’un coup terrible porté à la justice et qu’il faut immédiatement stopper, a déclaré Magdalena Mughrabi, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.
« Les autorités infligent depuis de nombreuses années de très graves souffrances aux familles des victimes des exécutions extrajudiciaires de 1988. Elles les ont privées du droit d’offrir à leurs proches une sépulture digne de ce nom, et les ont contraintes à marcher à travers des amas de déchets pour rendre visite à leurs morts. Elles ont à présent l’intention de détruire ce lieu pour effacer ces crimes des mémoires et de l’histoire », a déclaré Shadi Sadr, directrice de Justice for Iran.
Les fosses communes sont des scènes de crimes qui nécessitent des compétences professionnelles en matière médicolégale pour les exhumations, la conservation des preuves et l’identification des corps. En détruisant ce site, les autorités vont anéantir des preuves essentielles qui pourraient permettre un jour d’en savoir plus sur le nombre de prisonniers qui ont été tués, et sur leur identité.
La fosse commune d’Ahvaz se trouve sur un terrain désertique situé à trois kilomètres à l’est du cimetière de Behesht Abad. On pense qu’elle contient les restes de plusieurs dizaines de personnes qui faisaient partie des milliers de prisonniers politiques tués lors de la vague d’exécutions extrajudiciaires qui a eu lieu à travers l’Iran durant l’été de 1988. Les prisonniers ont été rassemblés et soumis à une disparition forcée avant d’être tués de façon secrète. Leurs corps ont été jetés pendant la nuit dans des tranchées qui venaient d’être creusées.
À Ahvaz, les autorités ont coulé du béton sur la fosse commune immédiatement après l’ensevelissement, sans doute pour empêcher les familles de creuser le sol pour récupérer les corps de leurs proches.
Récemment, mi-mai, un ouvrier a dit à un proche d’une victime qui s’était rendu sur le site que les travaux d’élargissement de la route proche de la fosse commune étaient en cours, que la route allait se retrouver tout près du site, et que la prochaine phase des travaux allait consister à raser complètement la dalle de béton pour dégager le site afin d’y mettre un « espace vert » ou un centre commercial.
« Au lieu d’effacer le souvenir des personnes tuées et d’entraver la justice, les autorités iraniennes doivent veiller à ce que les sites des fosses communes des exécutions massives de 1988 soient préservés et protégés jusqu’à ce que des enquêtes indépendantes et dignes de ce nom puissent être menées. Les familles ont le droit de savoir ce qui est arrivé à leurs proches et de les enterrer dignement », a déclaré Magdalena Mughrabi.
Ce n’est pas la seule fosse commune des massacres de 1988 qui risque d’être détruite. Justice for Iran a appris que des mesures ont apparemment été prises pour détruire un autre site situé dans la ville de Mashhad, dans la province de Khorasan Razavi (nord-est de l’Iran), où près de 170 prisonniers politiques auraient été ensevelis.
Les familles qui se sont rendues sur ce site, en marge du cimetière de Behesht Reza de Mashhad, pour le Nouvel An iranien en mars 2017, ont découvert que la zone auparavant plate avait été recouverte avec de la terre formant un monticule au-dessus de la tombe. On ignore les raisons pour lesquelles cela a été fait, mais l’on craint que les autorités ne tentent ainsi d’effacer toute trace des exécutions extrajudiciaires qu’elles ont commises.
Au cours des trois dernières décennies, le comportement irrespectueux des autorités à l’égard des restes des victimes a aggravé les souffrances des familles. Les autorités insultent régulièrement les morts et tourmentent les familles en appelant les sites des fosses communes la’nat abad (les terres maudites), et elles ont à maintes reprises dit aux familles que leurs proches étaient des « hors-la-loi » qui ne méritaient pas de véritables funérailles ou sépultures. Les familles ne sont pas autorisées à tenir des rassemblements commémoratifs ou à déposer sur le site des fosses communes des messages commémoratifs.
Complément d’information
Les exécutions extrajudiciaires massives de prisonniers politiques qui ont eu lieu en 1988, appelées communément le « massacre des prisons », ont commencé peu après l’incursion armée menée sans succès en juillet, cette année-là, par l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI), basée en Irak. Des prisonniers politiques venant de tout le pays ont été rassemblés et détenus au secret, et l’on a ensuite été sans nouvelle d’eux pendant plusieurs mois. Des informations ont circulé parmi leurs proches signalant que les prisonniers étaient exécutés en groupe et enterrés dans des fosses communes ou dans des tombes anonymes.
On a indiqué verbalement aux familles que leur proche avait été tué, mais les corps ne leur ont pas été rendus, et la plupart des sites d’inhumation n’ont pas été révélés.
La grande majorité des personnes tuées avaient déjà passé plusieurs années en prison, souvent pour avoir pacifiquement exercé leurs droits en distribuant des journaux et des brochures, en participant à des manifestations pacifiques contre le gouvernement, ou en raison de leur affiliation réelle ou supposée à divers groupes politiques de l’opposition.
Certains avaient déjà fini de purger leur peine, mais n’avaient pas été libérés parce qu’ils avaient refusé de se « repentir ».
Jusqu’à présent, aucun responsable iranien n’a fait l’objet d’une enquête et été déféré à la justice pour ces exécutions extrajudiciaires. Certains des responsables présumés continuent d’occuper des fonctions politiques ou d’autres postes importants, notamment dans le secteur judiciaire.