DÉCLARATION PUBLIQUE
ÉFAI
14 décembre 2010
Index AI : MDE 13/113/2010
Amnesty International demande aux autorités iraniennes de libérer immédiatement et sans condition l’ensemble des prisonniers d’opinion, dont ceux qui ont été arrêtés ces dernières semaines en raison de leurs activités politiques ou de défense des droits humains, pourtant pacifiques, et de suspendre l’ensemble des procédures susceptibles de déboucher sur l’incarcération d’autres personnes pour des raisons d’opinion. L’organisation appelle en outre le gouvernement et les forces de sécurité à cesser de harceler ceux qui expriment de manière non violente des opinions différentes de celles des autorités, et à veiller à ce que tous les détenus soient pleinement protégés contre la torture et les autres types de mauvais traitements, et à ce qu’il leur soit en outre immédiatement permis de s’entretenir avec leur famille et un avocat de leur choix.
Amnesty International lance cet appel à la veille de la fête religieuse de l’Achoura (célébrée le 10e jour du mois de Moharram, premier mois de l’année musulmane) qui cette année tombe le 15 décembre. L’an dernier, la célébration de l’Achoura a eu lieu le 29 décembre 2009 et a été marquée par des manifestations de masse violemment réprimées par les autorités.
Cette année, Amnesty International engage les autorités à respecter pleinement les droits à la liberté d’expression et de réunion, consacrés par le droit international, à autoriser les manifestations pacifiques et à faire en sorte que le maintien de l’ordre lors de tous les rassemblements et réunions publics soit conforme aux normes internationales sur l’application des lois, par exemple le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois des Nations unies. Par le passé, des membres des forces de sécurité, dont des bassidjis (miliciens paramilitaires volontaires), ont agressé des manifestants pacifiques et usé d’autres formes de violence contre eux. Il ne faut pas que cela se reproduise.
Amnesty International demande également aux autorités iraniennes de veiller à ce que des enquêtes indépendantes, approfondies et rigoureuses soit menées sur tous les homicides illégaux et exécutions extrajudiciaires qui auraient été commis par les forces de sécurité depuis l’annonce des résultats contestés de l’élection présidentielle de juin 2009, conformément aux Principes des Nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions. Tous les membres des forces de sécurité reconnus coupables d’homicides illégaux, d’exécutions extrajudiciaires et d’autres graves violations des droits humains doivent être traduits en justice sans délai dans le cadre d’une procédure équitable, sans que la peine de mort ne soit requise.
Amnesty International exhorte en outre les autorités iraniennes, au plus haut niveau, à instaurer un moratoire immédiat sur les exécutions. Une vaste majorité d’États membres des Nations unies ont récemment voté en faveur d’une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU préconisant un moratoire universel sur les exécutions ; l’Iran fait partie de la minorité d’États qui se sont prononcés contre.
Les manifestations qui se sont déroulées à l’occasion de la célébration de l’Achoura en décembre 2009 ont donné lieu à la répression la plus sanglante depuis les premières semaines ayant suivi l’élection présidentielle polémique, six mois plus tôt.
Les autorités ont reconnu qu’il y avait eu au moins sept morts, dont le neveu de Mir Hossein Mousavi, candidat malheureux à la présidentielle, et plus d’un millier d’arrestations ; il est cependant possible dans les deux cas que ces chiffres soient en-deçà de la réalité. La plupart des personnes appréhendées ont été relâchées, mais certaines ont été déclarées coupables à l’issue de procès iniques et condamnées à de lourdes peines de prison.
Parmi elles figurent Behareh Hedayat, responsable au sein du mouvement étudiant et prisonnière de conscience, qui purge une peine de neuf ans et demi de prison. Membre du comité central du Bureau pour le renforcement de l’unité, une organisation étudiante iranienne qui a œuvré en première ligne afin que des réformes politiques soient engagées et qu’il soit mis fin aux violations des droits humains, elle préside par ailleurs la commission féminine de l’organisation. Milad Asadi, autre militant au sein du Bureau pour le renforcement de l’unité, purge actuellement une peine de sept ans de prison.
Deux sœurs, Leila et Sara Tavassoli, ont été arrêtées le 28 décembre 2009 et le 3 janvier 2010, respectivement ; elles ont été libérées sous caution mais ont toutes deux été condamnées à des peines d’emprisonnement. Sara Tavassoli a écopé de six ans de prison et de 74 coups de fouet en mai 2010, après avoir été déclarée coupable d’avoir participé aux manifestations ayant eu lieu le jour de l’Achoura, ainsi que pour avoir rendu visite à Mir Hossein Mousavi et à son épouse après que leur neveu eut été tué. Leila Tavassoli a commencé à purger sa peine de deux ans de prison au début du mois de décembre.
L’oncle de Leila et Sara Tavassoli, Ebrahim Yazdi, âgé de 80 ans, est le chef du Mouvement pour la liberté de l’Iran, un parti politique précédemment toléré mais désormais interdit. Il a été arrêté le 28 décembre 2009, relâché pour raisons médicales en février 2010 (il devait recevoir des soins) puis de nouveau appréhendé le 1er octobre à Ispahan lors d’une cérémonie commémorative privée. Atteint d’un cancer et d’autres maladies, il est maintenu en détention à la prison d’Evin ; sa santé serait fragile.
Farid Taheri, l’époux de Sara Tavassoli, a été arrêté et purge désormais une peine de trois ans de prison ; il est lui aussi considéré comme un prisonnier d’opinion.
Certaines des personnes accusées d’avoir orchestré les manifestations qui se sont déroulées à l’occasion de l’Achoura l’an dernier ont été condamnées à mort, comme Ahmad Daneshpour Moghaddam et son père, Mohsen Daneshpour Moghaddam. Ils ont été arrêtés au côté de Mottahareh Bahrami Haghighi, Rayhaneh Hajebrahim Dabbagh et Hadi Ghaemi après l’Achoura et condamnés à la peine capitale au terme d’un procès inique « pour l’exemple » en janvier 2010 ; ils avaient été reconnus coupables de moharebeh (inimitié à l’égard de Dieu) pour leurs liens présumés avec l’Organisation iranienne des moudjahidin du peuple (OIMP). Ahmad et Mohsen Daneshpour Moghaddam ont vu leur condamnation à mort confirmée en appel ; les peines des trois autres ont en revanche plus tard été commuées.
Au moins un autre homme et une femme accusés d’entretenir des liens avec l’OIMP et d’être derrière les troubles de l’Achoura risquent eux aussi l’exécution. Abdolreza Ghanbari, enseignant, faisait partie des 16 personnes ayant comparu dans le cadre d’un « procès pour l’exemple » en janvier et février, à l’issue duquel il a été condamné à la peine capitale. Farah Vazaehan a été arrêtée le 29 décembre 2009 et condamnée à mort en août 2010.
Les autorités ont continué à procéder à des arrestations tout au long de l’année, et les prisons iraniennes sont désormais surpeuplées. Ces dernières semaines, les interpellations se sont multipliées dans tout le pays ; des militants étudiants ont ainsi été appréhendés en amont de la Journée des étudiants le 7 décembre, comme par exemple Ali Gholizadeh, Ali-Reza Kiani, Mohsen Barzegar, Mohammad Heidarzadeh et Siavash Hatem. Tous ont plus tard été remis en liberté sauf Siavash Hatem, qui est maintenu en détention sans inculpation ni jugement. D’autres étudiants ont été arrêtés lors des manifestations du 7 décembre ou convoqués devant des commissions disciplinaires. Le 10 décembre 2010, Amnesty International a écrit au ministre de la Science, de la Recherche et de la Technologie, qui est notamment chargé de l’enseignement supérieur, afin de lui faire part de son inquiétude face aux arrestations signalées et d’obtenir des informations sur les personnes placées en détention, notamment les plus de 70 étudiants qui se trouvaient semble-t-il en détention provisoire ou en prison en novembre 2010.
L’organisation a également exprimé des inquiétudes concernant l’interdiction - temporaire ou permanente - de continuer les études imposée à certaines étudiants alors qu’ils n’ont fait qu’exercer légitimement leurs droits à la liberté d’expression, d’association ou de réunion, qui recouvrent le droit de se rassembler afin de faire état de son opposition de manière pacifique. D’autres auraient été privés du droit de faire des études supérieures en raison de leur identité – par exemple parce qu’ils appartiennent à une minorité ethnique ou religieuse particulière, telle que la communauté baha’ie, dont les membres se voient interdire de faire des études supérieures en Iran.
Les journalistes ont également été pris pour cible ces dernières semaines. Le 8 décembre, cinq employés du journal Shargh, dont son éditeur en chef Ali Gholami, ont été arrêtés après la publication d’un supplément à l’occasion de la Journée des étudiants. Le procureur de Téhéran, Abbas Jafari Dowlatabadi, a déclaré à l’Iranian Students News Agency qu’ils faisaient l’objet d’une enquête pour « infractions à la sécurité ». Le 12 décembre, une autre journaliste du Shargh, Rayhaneh Tabatabaei, a également été appréhendée. Son arrestation a eu lieu le lendemain de celle de Mehran Faraji, journaliste spécialiste des questions sociales qui travaillait pour les journaux Hamshahri, Etemad-e Melli et Kargozaran . Ils rejoignent quelque 34 autres journalistes et blogueurs se trouvant actuellement derrière les barreaux en Iran, dont Isa Saharkhiz, journaliste de 57 ans, qui est en très mauvaise santé et purge une peine de trois ans de prison dans des conditions éprouvantes à la prison de Rejai Shahr à Karaj, et Navid Mohebbi, 18 ans, membre de la campagne Un million de signatures (également connue sous le nom de Campagne pour l’égalité ) qui blogue sur les droits des femmes et est incarcéré depuis son arrestation en septembre 2010. Son procès, pour « agissements contre la sécurité nationale » et « insultes au Fondateur et Guide de la République islamique », s’est ouvert à huis-clos le 14 novembre 2010.