Iran. Les autorités doivent garantir la tenue d’une élection présidentielle libre

Déclaration publique

Amnesty International a exhorté ce vendredi 15 mai les autorités de l’Iran à veiller à ce que l’élection présidentielle qui doit avoir lieu prochainement dans ce pays, le 12 juin 2009, ne soit pas entachée de discrimination, notamment à l’égard des femmes, et à ce que candidats et électeurs voient garanti l’exercice effectif de leurs droits aux libertés d’expression et de réunion durant la campagne électorale. L’organisation a lancé cet appel dans le cadre d’une lettre adressée à l’ayatollah Jannati, président du Conseil des Gardiens (organe chargé d’interpréter la Constitution, de surveiller le déroulement des élections et de s’assurer de la conformité des dispositions législatives à la charia – droit islamique – et à la Constitution), à la suite de la récente clôture des inscriptions des candidats à l’élection présidentielle.
Le Conseil des gardiens soumet tous les candidats à une procédure de sélection de façon à « garantir leur aptitude à assumer la fonction présidentielle ». L’article 115 de la Constitution iranienne dispose que le président de la République doit être choisi parmi les « personnalités [en persan : rejal] religieuses et politiques » du pays et être « d’origine iranienne, de nationalité iranienne, administrateur et avisé, pourvu de bons antécédents, digne de confiance, vertueux, pieux et attaché aux fondements de la République Islamique d’Iran et à la religion officielle du pays. » Lors d’élections précédentes, la majorité des candidats inscrits – notamment la totalité des candidates – ont été rejetés sur la base de ces critères. Les femmes auraient été écartées parce que le Conseil a considéré que le mot rejal signifiait « hommes » et non « personnalités ».

Amnesty International s’est dite préoccupée par le fait que ces dispositions étaient apparemment contraires à celles d’autres articles de la Constitution qui prévoient l’égalité de tous les citoyens devant la loi ainsi que le respect des droits des femmes, et qui interdisent d’enquêter sur les convictions d’une personne. De plus, elles vont à l’encontre des articles 2, 3, 18, 19 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel l’Iran est partie – ces articles interdisent toute discrimination et prévoient que les États parties doivent respecter et protéger les libertés de conviction et de conscience. Enfin, elles bafouent également l’article 25 du PIDCP, aux termes duquel tout citoyen a le droit de voter et d’être élu sans discrimination.
Amnesty International a exhorté le Conseil des gardiens à veiller à ce que nul ne se voie interdire de se présenter comme candidat uniquement en raison de sa race, sa couleur, son sexe, sa langue, sa religion, son origine sociale ou ses opinions politiques ou autres, et notamment à veiller à ce qu’aucune des 42 femmes qui se sont inscrites ne soit écartée uniquement en raison de son sexe.
L’organisation a souligné, à ce sujet, qu’elle avait trouvé encourageante une déclaration faite le 11 avril 2009 par Abbas Ali Kadkhodaei, porte-parole du Conseil des gardiens, qui a indiqué qu’il n’existait « aucune restriction juridique » aux candidatures féminines.

Amnesty International est également préoccupée par la répression dont les dissidents sont actuellement la cible en Iran, qui s’est accrue ces derniers mois. Elle craint que les Iraniens qui souhaitent exprimer leurs opinions ou exercer leur droit de réunion durant la campagne électorale ne voient leurs libertés limitées et notamment qu’ils ne fassent l’objet d’actes de harcèlement, d’arrestations arbitraires et de procès iniques.

Amnesty International a reçu des informations évoquant une multiplication récente des arrestations arbitraires et des actes de harcèlement, visant principalement des membres de minorités religieuses et ethniques, des étudiants, des syndicalistes et des défenseurs des droits des femmes.
Nombre de personnes appréhendées risquent la torture ou d’autres formes de mauvais traitements. D’autres personnes arrêtées avant cette période ont été condamnées à mort. En outre, les autorités ont fait cesser leurs activités à plusieurs journaux et restreint l’accès à des sites Internet, notamment des sites traitant de droits humains ou administrés par des diffuseurs internationaux. En décembre 2008, le parquet de Téhéran a annoncé la création d’un « service spécial chargé de réexaminer les crimes et délits liés à Internet et aux SMS », indiquant que celui-ci aurait pour mission de se pencher sur les infractions relatives à la campagne électorale et les « déclarations insultantes » formulées par SMS. Cette initiative pourrait avoir été prise en partie pour limiter la possibilité de débattre, empêcher l’organisation de manifestations pacifiques et faire taire les personnes jugées trop critiques à l’égard des autorités à l’approche de l’élection présidentielle.

À la veille de ce scrutin, toute personne, individuellement ou collectivement, doit être autorisée à exercer pacifiquement son droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion, même si elle ne s’inscrit pas dans la ligne des politiques et pratiques de l’État. Toute personne actuellement détenue pour l’exercice pacifique de son droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion doit être libérée immédiatement et sans condition. Les autres personnes privées de liberté doivent être remises en liberté ou être jugées sans délai après avoir été inculpées d’infractions pénales dûment prévues par la loi. Toutes les personnes placées en détention doivent être protégées de la torture et des autres formes de mauvais traitements.

Voici certains des cas qui ont récemment alerté Amnesty International :

Le 19 avril 2009, des représentants du tribunal révolutionnaire de Téhéran ont appréhendé Mehdi Motamedi Mehr, membre du Comité de défense d’une élection libre, saine et équitable et du Mouvement pour la liberté, un parti politique interdit. Avant son arrestation, il avait reçu un appel téléphonique d’un fonctionnaire du ministère du Renseignement, qui l’avait averti que si le Comité publiait une déclaration intitulée « L’institution de société civile des observateurs électoraux : une garantie pour une élection libre, saine et équitable », cela serait considéré comme une atteinte à la sécurité nationale. La déclaration a été publiée malgré cette mise en garde et il a été placé en détention. Il a été inculpé d’« agissements portant atteinte à la sécurité de l’État ».
Le 29 avril, les forces de sécurité ont empêché d’autres membres du comité d’organiser une réunion dans les locaux de l’Institut juridique Raad, qui appartient à Mohammad Ali Dadkhah, éminent juriste et membre du Haut conseil de surveillance du Centre de défense des droits humains. Les autorités ont contraint ce centre à fermer ses portes en décembre 2008 et n’ont pas autorisé sa réouverture.

Au moins trois étudiants de l’université Amir Kabir, appréhendés en février 2009, sont maintenus en détention sans inculpation ni jugement dans la section 209 de la prison d’Evin, à Téhéran. D’autres étudiants qui avaient été arrêtés en même temps qu’eux et ont été relâchés depuis lors ont déclaré qu’ils avaient été torturés en détention. Le 28 avril 2009, le juge d’un tribunal révolutionnaire a déclaré que huit étudiants, dont les trois qui sont toujours détenus, avaient été accusés de coopération avec l’Organisation iranienne des moudjahidin du peuple (OIMP), un groupe d’opposition en exil. Il a ajouté qu’ils avaient projeté de « mener des activités à l’université » pendant le prochain scrutin.

L’ayatollah Sayed Hossein Kazemeyni Boroujerdi, qui prône la séparation de la religion et de la base politique de l’État, purge une peine de onze années de réclusion prononcée le 13 août 2007, après la commutation de la sentence capitale à laquelle il avait initialement été condamné pour « inimitié à l’égard de Dieu ». Le 5 mai 2009, il aurait été battu alors qu’il était à l’isolement dans la prison de Yazd, où il est incarcéré en exil intérieur, après qu’il eut envoyé une lettre ouverte au secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, dans laquelle il demandait que des observateurs internationaux soient envoyés en Iran afin d’aider le peuple à organiser un référendum libre sur le régime gouvernemental iranien. Depuis lors, il n’est pas autorisé à avoir des contacts avec ses proches, qui ont déclaré que des responsables de la prison leur avaient dit qu’il s’agissait d’une sanction liée à sa déclaration sur le référendum.

Plus de 100 personnes ont été arrêtées à Téhéran et Sanandaj avant, pendant et après des rassemblements pacifiques organisés à l’occasion de la fête du Premier mai 2009. Bien que certaines d’entre elles aient été libérées, on pense que des dizaines d’autres sont maintenues en détention, dont Jafar Azimzadeh, Shahpour Ehsani et Bahram (Issa) Abedini, ainsi que six membres de la campagne Un million de signatures : Nikzad Zanganeh, Amir Yaghoubali, Kaveh Mozafari, son épouse Jelveh Javaheri, Pouria Poushtareh et Taha Valizadeh.

Sajad Khaksari, journaliste de l’hebdomadaire Qalam-e Moalem (La plume de l’enseignant) et fils de Mohamad Khaksari et Soraya Darabi, deux dirigeants du Syndicat des enseignants iraniens, a été arrêté le 26 avril 2009 devant le ministère de l’Éducation. Il couvrait des manifestations d’enseignants organisées pour demander au gouvernement d’appliquer une loi sur la parité des rémunérations, adoptée en 2007, qui prévoit l’alignement du traitement des enseignants sur celui des autres fonctionnaires.

Deux défenseuses des droits des femmes, toutes deux membres de la campagne Un million de signatures (également connue sous le nom de Campagne pour l’égalité), qui vise à recueillir des signatures pour une pétition demandant l’égalité des droits entre hommes et femmes, sont maintenues en détention depuis le 7 mai 2009. Ces deux militantes, engagées dans la défense des droits des femmes à Qom depuis de nombreuses années, avaient récemment enquêté sur un crime « d’honneur » perpétré dans cette ville, attirant ainsi l’attention des autorités. Fatemeh Masjedi a été arrêtée à Karaj, en même temps que Gholam Reza Salami, chercheur spécialisé dans le mouvement féministe, après que le domicile de celle-ci, à Qom, eut été fouillé par des représentants du ministère de l’Intérieur, qui ont saisi certains de ses effets personnels. Maryam Bidgoli a été appréhendée après eux, à Qom, dans le courant de la même journée. Leur avocate, Shadi Sadr, estime que leur placement en détention était illégal dans la mesure où on ne leur a présenté aucun mandat d’arrêt et où on ne leur a pas indiqué les motifs de leur arrestation.

Narges Mohammadi, vice-présidente du Centre de défense des droits humains et directrice du Groupe de mise en œuvre du Conseil national pour la paix, et Soraya Azizpanah, également membre de ce Conseil, directrice exécutive du Centre de nettoyage des champs de mine et rédactrice en chef du magazine Rasan, se sont vu interdire, le 10 mai 2009, de se rendre au Guatémala pour y participer à une conférence de l’organisation Nobel Women’s Initiative, intitulée « Des femmes redéfinissent la démocratie pour la paix, la justice et l’égalité ».

Complément d’information

Le Comité des droits de l’homme des Nations unies, chargé de veiller à l’application du PIDCP, a précisé dans son Observation générale n° 25 du 12 juillet 1996 que pour que soit garanti le respect des droits de voter et d’être élu, tels qu’ils sont reconnus dans l’article 25 du PIDCP, tout citoyen doit jouir de ces droits sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation (Cf. Comité des droits de l’homme : Observation générale n°25 : Le droit de prendre part à la direction des affaires publiques, le droit de vote et le droit d’accéder, dans les conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques (art. 25), 12 juillet 1996, CCPR/C/21/Rev.1/Add.7.)
Les États sont priés d’adopter les mesures d’ordre législatif ou autres qui peuvent être nécessaires pour que les citoyens aient la possibilité effective d’exercer ces droits, sans discrimination, et de lever tout obstacle ou toute restriction déraisonnable à la jouissance de ces droits. Toutes les conditions s’appliquant à l’exercice des droits protégés par l’article 25 devraient être fondées sur des critères objectifs et raisonnables. Par conséquent, les personnes éligibles ne sauraient être exclues sur la base d’exigences déraisonnables ou discriminatoires. Exiger des citoyens qu’ils relèvent d’une religion officiellement reconnue par l’État ou qu’ils justifient d’une opinion ou affiliation politique donnée est contraire aux dispositions de l’article 25 du PIDCP.

Amnesty International fait campagne depuis de nombreuses années pour mettre un terme à toutes sortes de violations des droits humains perpétrées en Iran. L’impunité, les arrestations arbitraires, la torture et les autres formes de mauvais traitements ainsi que le recours à la peine de mort restent monnaie courante. Certains groupes – notamment les minorités ethniques – continuent à être confrontés à une discrimination généralisée, tandis que d’autres – notamment certaines minorités religieuses – ont vu leur situation s’aggraver considérablement depuis la révolution islamique en 1979. Lorsque les autorités considèrent que des personnes s’écartent de leur politique, officielle ou non, celles-ci sont confrontées à de graves restrictions de leurs droits à la liberté de conviction, d’expression, d’association et de réunion. Les femmes continuent à faire l’objet de discriminations – à la fois en droit et en pratique. Les atteintes aux droits humains restent généralement impunies.

Pour plus d’informations, voir :

Iran : Human Rights in the spotlight on the 30th Anniversary of the Islamic Revolution (en anglais), Index AI

Iran:Worsening Repression of Dissent as Election Approaches (en anglais), Index AI

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