Dans le cadre de l’affaire S.S. et autres c. Italie (n. 21660/18), les requérants visent à obtenir justice devant la Cour européenne, en faisant valoir que l’Italie a bafoué ses obligations aux termes de la Convention européenne des droits de l’homme en coopérant avec la Libye afin que les garde-côtes libyens interceptent en mer des personnes et les ramènent dans le pays. Les requérants ont affirmé à la Cour que les personnes reconduites en Libye sont régulièrement exposées à des actes de torture et à d’autres atteintes aux droits humains, notamment dans le cadre de leur confinement systématique dans des centres de détention, où elles sont détenues arbitrairement.
Dans l’arrêt de l’affaire Hirsi Jamaa et autres c. Italie (n. 27765/09) en 2012, la Cour européenne des droits de l’homme avait estimé que la pratique de l’interception en mer des migrants et de leur reconduite de force en Libye violait la Convention européenne des droits de l’homme, notamment l’interdiction de renvoyer des personnes dans des pays où elles risquent d’être soumises à des atteintes aux droits humains. Depuis lors, Amnesty International et Human Rights Watch ont recueilli de manière systématique des informations sur les atteintes aux droits humains qui perdurent en Libye contre les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants. Les deux organisations ont condamné la coopération et le soutien, que l’Union européenne, et l’Italie en particulier, a fournis à la Libye. Cet aide a conduit à des détentions arbitraires et prolongées de personnes en Libye et à des violences à leur encontre.
L’intervention conjointe montre que l’Italie joue un rôle déterminant en soutenant et en orientant le contrôle des migrations de la Libye afin que celle-ci poursuive une politique visant à intercepter en mer les migrants et à les ramener en Libye. Cette politique avait été condamnée par la Cour en 2012. Amnesty International et Human Rights Watch font valoir que l’Italie a sa part de responsabilité dans les violations de droits humains qui résultent des opérations maritimes conduites par les autorités libyennes, au cours desquelles ces dernières ont recours à une force injustifiée ou disproportionnée, ou qui aboutissent au renvoi de personnes vers des situations de violence. L’intervention présente également des données actualisées concernant les conditions de vie inhumaines des réfugiés et des migrants en Libye et les violences dont ils sont l’objet, commises ou tolérées par les autorités libyennes.
Bien qu’étant parfaitement au courant de la situation, l’Italie et les autres membres de l’Union européenne se sont engagés à aider les autorités libyennes à contenir les migrants et les réfugiés en Libye sans conditionner cet appui à des mesures de prévention des violations graves des droits humains, telles que la fermeture des centres de détention et la libération de milliers de personnes détenues illégalement. Au contraire, les garde-côtes libyens continuent de bénéficier sans restriction d’une assistance pour qu’ils renvoient les personnes interceptées en mer vers la Libye afin qu’elles soient détenues pour une durée indéterminée.
Cette affaire représente une occasion unique d’établir les responsabilités au regard de la Convention européenne concernant le rôle important joué par l’Italie dans la définition de la frontière libyenne ainsi que dans l’élaboration de la politique de contrôle des migrations de la Libye. Le soutien apporté par l’Italie et plus largement par l’Union européenne à la Libye a contribué de façon décisive à la perpétuation de graves atteintes aux droits humains par les autorités libyennes contre les réfugiés et les migrants lors des interceptions en mer et à leur retour en Libye. Cela ne doit pas, en tant que tel, être sans conséquences.
Le cœur de l’affaire est constitué par des faits qui se sont produits le 6 novembre 2017, lorsqu’un canot pneumatique comprenant environ 150 personnes a commencé à couler dans les eaux internationales au large des côtes libyennes. Un navire de sauvetage appartenant à l’organisation non gouvernementale Sea-Watch et une vedette de patrouille des garde-côtes libyens, offerte par l’Italie, mais circulant en liaison avec le gouvernement d’Entente nationale reconnu par les Nations unies, sont arrivés sur les lieux du naufrage. Selon 17 rescapés qui sont les requérants dans l’affaire, les garde-côtes libyens ont cherché à entraver le travail de l’équipage du Sea-Watch 3, qui avait commencé à secourir les naufragés, en leur jetant des objets et ils ont également frappé et menacé des personnes embarquées sur leur vedette, dont certaines s’étaient jetées à l’eau pendant l’opération.
Les garde-côtes libyens ont ramené 47 personnes en Libye où elles ont été placées en détention et exposées à des atteintes aux droits humains. Le navire du Sea-Watch a sauvé un certain nombre de personnes qui ont été débarquées en Italie, notamment 15 des requérants de cette affaire. Un nombre indéterminé de personnes sont mortes, parmi lesquelles de jeunes enfants de deux requérants.