Kenya. Les opérations de police contre les Mungiki doivent respecter les obligations du Kenya au regard du droit international relatif aux droits humains.

Déclaration publique

AFR 32/008/2007

Amnesty International a condamné avec force ce lundi 11 juin l’intervention de la police kenyane qui a fait plus de 30 morts mardi 5 juin et jeudi 7 juin à Mathare, un bidonville de la banlieue de Nairobi. Les personnes tuées l’ont été au cours d’opérations de sécurité menées par la police contre des membres de la secte Mungiki. L’opération du 7 juin avait été intitulée Opération Kosovo. Les deux opérations avaient pour but de récupérer des armes prises à deux policiers tués dans la nuit du lundi 4 juin par des membres présumés de la secte Mungiki.

Selon les informations parues dans les médias, plus de 500 policiers auraient pénétré dans le bidonville de Mathare, distribuant des coups au hasard, harcelant les habitants et exigeant qu’on leur indique où se trouvaient les armés volées. Plus de trente personnes auraient été abattues par la police et un certain nombre d’autres blessées. Un représentant de la police aurait déclaré à la presse que les personnes abattues étaient des membres des Mungiki qui avaient tenté d’échapper à une arrestation ou qui s’étaient opposées aux policiers.

Depuis avril 2007, des membres présumés des Mungiki ont tué des dizaines de personnes, parmi lesquelles au moins cinq policiers, dans des circonstances horribles, dans différents quartiers de Nairobi et de la région centre du Kenya. Dans plusieurs cas, les victimes ont été décapitées. En outre, des membres présumés des Mungiki auraient détruit des biens privés et incendié à de nombreuses reprises des véhicules de transport en commun.

Amnesty International craint que les homicides perpétrés par la police n’aient été commis à la suite des propos tenus dans la presse par le ministre de la Sécurité intérieure, John Michuki, quelques jours auparavant. Le lundi 4 juin, le ministre aurait déclaré, faisant référence à la répression que le gouvernement s’apprêtait à lancer contre les membres présumés des Mungiki :

« Nous allons nous occuper d’eux et les éliminer. Je ne peux pas vous dire aujourd’hui où se trouvent ceux qui ont été arrêtés en lien avec les récents homicides. Vous apprendrez demain que des obsèques ont lieu. Utiliser une arme pour tuer, c’est s’exposer à être exécuté. »

Amnesty International craint que les propos du ministre n’aient été interprétés comme un ordre donné à la police kenyane de tuer toute personne soupçonnée d’être membre des Mungiki. Amnesty International craint en outre que ces remarques ne donnent l’impression de soutenir les exécutions extrajudiciaires de personnes soupçonnées d’un délit, ce qui est contraire aux obligations du Kenya au regard du droit international.

Amnesty International appelle les autorités kenyanes à ouvrir une enquête sur les homicides perpétrés par la police les 5 et 7 juin, en conformité avec les règles du droit international qui exige que des enquêtes approfondies, impartiales et indépendantes soient menées dans toutes les affaires d’exécutions extrajudiciaires. Cette enquête devra être menée par un organisme indépendant des services soupçonnés d’être responsables de ces homicides et disposant des pouvoirs et ressources nécessaires. Ses conclusions devront être rendues publiques. Toute personne reconnue par l’enquête comme ayant une part de responsabilité dans des exécutions extrajudiciaires devra être traduite en justice et jugée lors d’un procès répondant aux normes internationales d’équité des procès. Les familles et les proches des personnes exécutées devront se voir accorder des réparations justes et appropriées dans un délai raisonnable.

Complément d’information
Les Mungiki forment un groupe qui prétend suivre des croyances morales et religieuses traditionnelles. Des membres présumés du groupe revendiquent également « un rôle de maintien de la loi et de l’ordre » dans la gestion des transports en commun dans plusieurs régions du Kenya, exigeant des « droits de protection » de la part des propriétaires de minibus de transports en commun. La plupart des membres et une grande partie des actions du groupe sont concentrés dans la capitale et dans la région du centre du Kenya. Les dirigeants du groupe ont à plusieurs reprises proclamé publiquement que leur groupe bénéficiait de l’accord tacite de responsables importants des gouvernements actuel et précédents. Bien que certains dirigeants présumés du groupe aient menacé récemment de dévoiler publiquement les noms de ces responsables, cela n’a pas encore été fait.

Le précédent gouvernement avait interdit le groupe le 8 mars 2002. À l’époque, le chef de la police aurait défini les Mungiki comme un groupe « perpétrant l’anarchie et l’insécurité dans le pays. Il est illégal et le conseil donné à tous les Kenyans est de se tenir loin d’eux et de leurs activités. Ceux qui y adhéreront seront arrêtés et traduits en justice. »

Plusieurs personnes soupçonnées d’être membres du groupe ont été impliquées dans des homicides et des attaques de personnes ces dernières années.

Depuis avril 2007, la police a arrêté et inculpé des centaines de personnes pour des crimes attribués à des membres présumés des Mungiki. Les policiers ont arrêté et interrogé deux anciens et deux actuels députés sur leurs liens présumés avec le groupe.

Le Kenya a l’obligation, au regard du droit international, de respecter et de protéger le droit à la vie de toute personne relevant de sa juridiction. Cela comprend la prise de mesures effectives visant à protéger les personnes d’actes de violence et à traduire en justice les auteurs présumés de telles infractions. Ces mesures doivent être conformes au droit international, notamment au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples auxquels le Kenya est État partie, ainsi qu’aux normes internationales relatives à l’application des lois, notamment le Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l’application des lois et les Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois. Au regard du droit international relatif aux droits humains, toute personne soupçonnée d’être l’auteur d’une infraction pénale a droit à un procès équitable et public dans un délai raisonnable devant un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi. L’obligation de respecter le droit à la vie de tous, y compris des personnes soupçonnées d’infractions graves, exige que les responsables de l’application des lois n’aient recours à la force que lorsque cela est strictement nécessaire et seulement dans la mesure exigée par les circonstances. La force meurtrière ne devrait être utilisée que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines.

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