Communiqué de presse

Kenya. Les Somaliens dans une situation inextricable en raison de la répression visant les réfugiés

Les réfugiés et demandeurs d’asile somaliens vivant au Kenya se retrouvent dans une situation inextricable à cause de la répression menée dans le cadre de la lutte antiterroriste, a déclaré Amnesty International alors que des milliers de Somaliens continuaient d’être arrêtés par les forces de sécurité à Nairobi.

L’enregistrement des réfugiés somaliens au Kenya est presque totalement interrompu depuis décembre 2011, ce qui empêche de nombreux Somaliens qui devraient pouvoir prétendre à ce statut d’obtenir des papiers. Sans ces documents, ils risquent d’être renvoyés en Somalie, où ils pourraient être exposés à des atteintes aux droits humains.

« Des milliers de réfugiés et demandeurs d’asile somaliens sont dans une situation inextricable : ils risquent d’être arrêtés et expulsés car ils ne sont pas enregistrés, mais il est extrêmement difficile pour eux de s’enregistrer, a déclaré Michelle Kagari, directrice adjointe du programme Afrique d’Amnesty International.

« Le gouvernement kenyan punit les réfugiés et les demandeurs d’asile pour s’être retrouvés dans une situation de vide juridique qu’il a créée, en ne montrant aucun égard pour leurs droits humains. »

Des réfugiés somaliens ont indiqué à Amnesty International qu’ils avaient subi des manœuvres d’intimidation, des coups et des détentions illégales aux mains de membres des forces de sécurité procédant à des fouilles systématiques des maisons dans les quartiers essentiellement somaliens au cours des dernières semaines.

Ahmed, 26 ans, qui a été emmené de son domicile au stade de foot de Kasarani pour un contrôle de ses papiers le 7 avril, a déclaré : « Ils sont venus chez moi au milieu de la nuit et ont demandé mes papiers. Ma pièce d’identité avait expiré. Ils ont dit : “Ce n’est pas une vraie pièce d’identité”, alors ils m’ont donné des coups de poing et de pied puis m’ont conduit à Kasarani. »

Les demandeurs d’asile non enregistrés sont particulièrement vulnérables, même si des personnes en possession de papiers valides ont également été arrêtées arbitrairement, menacées et maltraitées.

Mohamed, qui a été arrêté le 6 avril près d’Eastleigh, un quartier de Nairobi dont la majorité des habitants est d’origine somalienne, a déclaré à Amnesty International : « Quatre policiers m’ont arrêté et demandé mes papiers. Je leur ai montré ma carte de réfugié ; ils ont répondu qu’elle ne voulait rien dire. Ils ont exigé que je leur donne 35 000 shillings kenyans [293 euros]. Comme je ne les avais pas, ils m’ont dit que je faisais partie d’Al Shabab et m’ont forcé à venir avec eux. »

Il a été placé en détention au stade de Kasarani, où de nombreux réfugiés ont été amenés pour un contrôle, avant d’être transféré à un poste de police dans la nuit. Il a été relâché le lendemain avec 47 autres personnes, mais il n’a désormais plus de papiers.

« Quand ils nous ont ramenés à Eastleigh, ils ne m’ont pas rendu ma carte de réfugié. Ils m’ont dit de revenir le lendemain à Kasarani, mais lorsque j’y suis allé on m’a dit de revenir une autre fois », a-t-il déclaré.

Les réfugiés et demandeurs d’asile sans papiers risquent fortement de faire l’objet d’une arrestation et d’un placement en détention. Bien que Mohamed soit au Kenya en toute légalité, il ne peut pas se déplacer librement, par crainte d’être arrêté.

« Je n’ai pas dormi la nuit dernière. Maintenant que je n’ai plus de papiers, s’ils m’arrêtent tout de suite, je n’ai rien à présenter », a-t-il déclaré.

Opération antiterroriste

Depuis le 2 avril, les autorités kenyanes mènent une opération antiterroriste de grande ampleur baptisée Rudisha Usalama (« rétablir la paix »), au cours de laquelle elles ont déjà arrêté plus 4 000 personnes dans le pays, issues principalement de la communauté somalienne.

« Ces arrestations systématiques sont discriminatoires et arbitraires. La marginalisation de communautés entières n’est pas la solution pour traiter l’insécurité et pourrait même causer encore plus d’insécurité », a déclaré Michelle Kagari.

La répression visant les réfugiés s’est intensifiée depuis que le ministre kenyan de l’Intérieur, Ole Lenku, a publié le 26 mars une directive ordonnant à tous les réfugiés de se rendre dans les camps délabrés et surpeuplés du nord du Kenya.

Ce texte s’inspirait d’une directive similaire de décembre 2012, qui a été annulée par la Haute Cour du Kenya en juillet 2013.

Cette juridiction avait alors estimé que le transfert dans les camps porterait atteinte à la dignité des réfugiés et à leur droit de circuler librement et risquait indirectement de les forcer à retourner en Somalie. Elle avait par ailleurs jugé que le gouvernement kenyan n’avait pas prouvé que cette mesure aiderait à protéger la sécurité nationale.

Non seulement la répression actuelle va à l’encontre de l’arrêt de la Haute Cour, mais elle est en outre mise en œuvre de manière illégale.

Ibrahim, un sage somalien d’Eastleigh, a déclaré à Amnesty International : « La façon dont ils traitent les gens forcent ceux-ci à rentrer en Somalie. »
Amnesty International a publié en février un rapport intitulé No Place Like Home : Returns and Relocations of Somalia’s Displaced , qui montre que la fréquence des manœuvres d’intimidation et du manque de respect pour les droits humains fait fuir les réfugiés hors du Kenya.

Le 9 avril, l’ambassade de Somalie à Nairobi a indiqué que le Kenya avait renvoyé 82 Somaliens à Mogadiscio. D’autres devraient être expulsés au cours des prochains jours.

« Ces reconduites à la frontière vers une situation sécuritaire instable en Somalie pourraient bien s’apparenter à un refoulement, a déclaré Michelle Kagari.

« Le renvoi forcé de personnes dans des lieux où leur vie et leur liberté sont menacées enfreindrait le droit international relatif aux réfugiés, que le Kenya est tenu de respecter. »

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