L’Inde doit enquêter sur toutes les allégations de disparitions forcées au Cachemire après la découverte de fosses communes

ASA 20/005/200X8

Amnesty International demande instamment au gouvernement indien d’ouvrir des enquêtes de toute urgence sur les centaines de fosses communes découvertes depuis 2006 dans l’État de Jammu-et-Cachemire. L’enquête devra être indépendante, impartiale et être menée conformément aux normes internationales. Ces fosses contiendraient les restes de victimes d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, de torture et autres violences qui se sont produites dans le cadre du conflit armé persistant dans cet État depuis 1989. Les restes d’au moins 940 personnes auraient été découverts dans 18 villages dans le seul district d’Uri.

Exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées et actes de torture constituent des violations du droit international relatif aux droits humains et du droit international humanitaire, aussi bien au regard des traités auxquels l’Inde est État partie qu’en droit international coutumier. De tels actes constituent également des crimes internationaux. Amnesty International appelle le gouvernement indien à se conformer à ses obligations internationales en la matière et à respecter l’engagement pris lors de la signature de la Convention des Nations unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, le 6 février 2007, en ordonnant dans les meilleurs délais l’ouverture d’enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales sur toutes les allégations passées et présentes de disparitions forcées.

Selon un rapport rendu public le 29 mars 2008 par l’Association des parents de personnes disparues basée à Srinagar, Facts under Ground, il y aurait de nombreuses fosses communes dans des localités non accessibles sans autorisation spéciale des forces de sécurité en raison de leur proximité avec la « ligne de contrôle » avec le Pakistan. En réponse à ce rapport, des porte-parole de l’armée ont déclaré une nouvelle fois que les personnes dont les restes avaient été retrouvés étaient des rebelles armés et des « activistes étrangers » tués légalement lors d’affrontements armés avec les forces militaires. Toutefois, le rapport fait état de témoignages de villageois de la région qui affirment que la plupart des personnes enterrées dans cette zone étaient des habitants de l’État. Il s’agit là d’allégations graves sur lesquelles il convient d’enquêter de manière approfondie.

Selon le rapport, plus de 8 000 personnes sont portées disparues dans l’État de Jammu-et-Cachemire depuis 1989 ; les autorités centrales tout comme les autorités de l’État parlent de moins de 4 000 personnes, qui auraient pour la plupart rejoint les groupes d’opposition armés au Pakistan. En 2006, un rapport de la police de l’État a confirmé la mort en détention de 331 personnes ainsi que 111 disparitions forcées après arrestation depuis 1989.

Depuis le début des années 1990, Amnesty International a publié une série de rapports et de déclarations sur la situation des droits humains dans l’État de Jammu-et-Cachemire, décrivant les détentions arbitraires dues aux forces de sécurité et à la police de l’État et les disparitions forcées. Voir notamment India : ‘An unnatural fate’ – « Disappearances » and impunity in the Indian States of Jammu and Kashmir and Punjab , index AI : ASA 20/042/1993 ; India : « If they are dead, tell us » : « Disappearances » in Jammu and Kashmir, index AI : ASA 20/002/1998 ; Open Letter to Chief Minister Mufti Mohammed Sayeed, index AI : ASA 20/020/2002 et India : Armed groups in Jammu and Kashmir targeting civilians, index AI : ASA 20/016/2005. L’organisation s’est également toujours opposée aux exactions perpétrées par les groupes d’opposition armés, les appelant régulièrement à respecter les normes du droit international humanitaire qui interdit la prise d’otages, les actes de torture et l’assassinat de personnes ne prenant pas une part active aux hostilités, notamment les membres de la communauté hindoue ; l’organisation a rendu publiques plusieurs déclarations à cet effet.

Amnesty International redit une nouvelle fois son inquiétude de voir l’État ne pas faire face à ses responsabilités et ne pas chercher à savoir ce que sont devenues les personnes disparues et cela alors même que des requêtes en habeas corpus (procédure permettant la comparution immédiate d’un détenu devant une autorité judiciaire, afin de contester la légalité de la détention, et de permettre ainsi une éventuelle remise en liberté)ont été déposées devant les tribunaux de l’État.

En outre, si Amnesty International salue les efforts de la justice dans un certain nombre d’affaires ayant eu un grand retentissement – notamment l’affaire Chattisingpura au cours de laquelle une série d’audiences a permis d’établir que les services de sécurité avaient exécuté illégalement cinq résidents locaux tout en affirmant avoir fait usage de la force légalement contre des personnes soupçonnées être des « activistes étrangers » - l’organisation reste préoccupée par le fait que les enquêtes judiciaires en cas de plainte individuelle sont rares et que les droits des victimes à la justice et à des réparations ne sont pas respectés.

Au vu de ce qui est décrit ci-dessus, Amnesty International demande instamment au gouvernement indien de :
  réaffirmer sans équivoque sa condamnation de toute disparition forcée dans l’État de Jammu-et-Cachemire ;
  veiller à ce que des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales soient menées dans les meilleurs délais dans l’État de Jammu-et-Cachemire, par des experts en médecine légale, conformément au Protocole type d’exhumation et d’analyse des restes du squelette des Nations unies ; mettre à leur disposition des moyens adéquats ; rechercher et accepter les offres d’assistance et de coopération des experts internationaux pour faire ce travail et former les personnels locaux affectés à cette tâche. Des mesures doivent être prises immédiatement pour sécuriser les sites afin de préserver les preuves ;
  veiller à ce que toutes les allégations passées et présentes de disparitions forcées fassent l’objet dans les meilleurs délais d’enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales et faire en sorte que, lorsque des preuves suffisantes existent, les personnes soupçonnées d’avoir une part de responsabilité dans ces crimes soient poursuivies dans le cadre de procédures conformes aux normes internationales d’équité des procès ;
  veiller à ce que toutes les victimes d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées et d’actes de torture bénéficient de réparations incluant la restitution, l’indemnisation, la réadaptation, la réhabilitation et des garanties de non-répétition ;
  envisager de donner au procureur civil compétence pour juger de toutes les affaires dans lesquelles il y a soupçon de disparitions forcées, quel que soit l’organisme militaire, en charge de la sécurité ou responsable de l’application des lois soupçonné d’implication ; conférer au procureur civil le mandat et l’autorité nécessaires pour lui permettre de mener effectivement de telles enquêtes ;
  créer une base de données unique, fiable et complète de noms avec les informations les plus complètes possibles, indiquant notamment lorsque cela est possible le type ADN des personnes portées disparues, victimes de disparition forcée ou enlevées dans l’État de Jammu-et-Cachemire depuis 1989 et créer une base de données officielle unique dans laquelle seront stockées les informations concernant les corps non identifiés trouvés dans l’État de Jammu-et-Cachemire. Rendre les deux bases de données publiques et accessibles aux proches de ces personnes ;
  ratifier sans délai et sans émettre de réserves la Convention des Nations unies pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, reconnaître conformément aux articles 31 et 32 la compétence du Comité des disparitions forcées pour recevoir des communications présentées par des personnes ou des Etats, prendre des mesures en application de la législation et les faire appliquer en pratique ;
  ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale ;
  faciliter les demandes de visite en Inde, notamment dans l’État de Jammu-et-Cachemire, depuis longtemps déposées par les titulaires de mandats au titre des procédures spéciales des Nations unies, conformément aux termes de référence depuis longtemps établis pour ces missions ; il s’agit notamment du rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, du rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et du groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires ; des dates doivent leur être fixées pour qu’ils puissent mener à bien leurs missions dans un avenir proche.

Amnesty International demande instamment aux autorités de l’État de soutenir les actions du gouvernement indien et de

  veiller à ce que toutes les arrestations se fassent conformément aux procédures autorisées, dans le strict respect des normes du droit international, notamment en s’assurant que les policiers chargés des arrestations puissent être identifiés grâce au port d’un numéro matricule bien visible et que les plaques d’immatriculation de leurs véhicules soient clairement lisibles ; veiller à ce que toutes les arrestations soient correctement enregistrées ; permettre un examen médical des personnes lors de leur entrée en prison, lors de leurs transferts et lors de leur remise en liberté, veiller à ce que tous les prisonniers puissent contacter rapidement leurs proches, un avocat et faire appel de la légalité de leur détention devant des tribunaux indépendants, enfin veiller à ce que pour toute violation de ces procédures, il y ait obligation de rendre des comptes ;
  veiller à ce que nul n’est a craindre de représailles pour avoir cherché à connaître la vérité sur le sort d’un proche disparu ; mettre en place des garanties contre les représailles de façon à protéger plaignants, victimes et témoins conformément aux normes internationales ;
  travailler avec les autorités du gouvernement de l’Union et les experts internationaux à l’exhumation des restes découverts dans des fosses communes dans l’État de Jammu-et-Cachemire conformément aux normes internationales. Veiller à ce que les sites soient protégés de toute interférence avant qu’il ne soit procédé aux exhumations ;
  travailler avec les autorités du gouvernement de l’Union à la mise en place d’une base de données complète comprenant les noms des personnes portées disparues ou victimes de disparition forcée ou enlevées dans l’État de Jammu-et-Cachemire depuis 1999, ainsi que les informations les concernant et créer une base de données unique et officielle répertoriant les informations concernant les restes des personnes exhumées dans l’État de Jammu-et-Cachemire ;
  accorder des réparations complètes, sous forme de restitution, indemnisation, réadaptation, réhabilitation et garanties de non-répétition aux victimes et à leurs familles.

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