La Chine doit traiter les revendications exprimées depuis longtemps et à travers plusieurs manifestations par les Ouïghours


DÉCLARATION PUBLIQUE

Index AI : ASA 17/006/2011-

ÉFAI-
4 février 2011

Le 5 février 2011 marque le 14e anniversaire de la répression violente d’une manifestation pacifique ouïghoure par les forces de sécurité dans la ville de Gulja (Yining en chinois), située dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, dans l’ouest de la Chine. Le 5 février 1997, des dizaines de personnes ont en effet été tuées ou blessées à Gulja lorsque les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestants ouïghours. Ces derniers avaient entamé un mouvement de protestation pacifique contre l’interdiction des meshreps (une forme de rassemblement social traditionnel ouïghour), la fermeture d’une ligue de football ouïghoure, le fort taux de chômage au sein de cette population et la fermeture d’écoles religieuses. Des dizaines de personnes ont été tuées ou blessées. Selon des estimations non confirmées, le nombre de victimes pourrait avoir atteint plusieurs centaines dans les jours qui ont suivi. Lors de cette répression menée par le gouvernement, des milliers de manifestants ont été arrêtés, des centaines ont disparu et certaines informations font état d’exécutions à l’issue de procès iniques.

Le 5 juin 2009, les forces de sécurité ont une nouvelle fois violemment réprimé une manifestation ouïghoure qui venait de commencer à Ürümqi ; cette fois, les manifestants protestaient contre l’apparente inertie du gouvernement après que des ouvriers ouïghours migrants eurent été battus et tués par des Hans en juin 2009 à Shaoguan, dans la province du Guangdong (sud de la Chine). De violents affrontements entre des groupes ethniques et des Hans se sont ensuivis, provoquant des centaines de morts. Comme à Gulja, lors de la répression qui a suivi, des milliers de manifestants ont été placés en détention, des centaines ont été emprisonnés et des dizaines ont été condamnés à mort et exécutés à l’issue de procès iniques.

Le gouvernement refuse d’autoriser une enquête indépendante sur l’un ou l’autre de ces événements, et plus particulièrement sur le recours à la force meurtrière pour contrer des manifestations à l’origine pacifiques. Aucune information n’indique que des membres des forces de sécurité aient fait l’objet d’une enquête ou de poursuites judiciaires.

La date anniversaire de ces événements marque une nouvelle année de répression menée par le gouvernement, au cours de laquelle ce dernier n’a pas su répondre aux revendications légitimes de la population ouïghoure. Au lieu de permettre d’atteindre le but déclaré de créer une société « harmonieuse », cette stratégie n’a fait qu’intensifier les tensions ethniques.


De graves violations des droits civils et politiques

Année après année, le gouvernement chinois continue d’appliquer des politiques qui bafouent gravement les droits civils et politiques de la population ouïghoure. Il associe généralement les activités culturelles, les pratiques religieuses ainsi que les manifestations de dissension des Ouïghours, non autorisées, aux « trois forces » : « terrorisme, séparatisme et extrémisme religieux ». De nombreux Ouïghours ont été arrêtés et emprisonnés arbitrairement pour « séparatisme » ou « incitation au séparatisme », et pour avoir exercé leurs droits aux libertés d’expression, d’association et de religion, y compris le droit d’avoir et de développer leur propre culture. Des peines particulièrement sévères sont appliquées contre ceux qui communiquent des informations considérées comme sensibles concernant la situation des Ouïghours dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang. Les personnes inculpées de telles infractions ne peuvent pas obtenir justice : elles ne bénéficient pas de procès équitables et publics, elles ne peuvent pas consulter l’avocat de leur choix, elles sont détenues pendant de longues périodes sans inculpation, elles sont victimes de torture et d’autres mauvais traitements en détention et, bien souvent, leur famille ignore où elles se trouvent.

Memetjan Abdulla, présentateur radio et journaliste ayant travaillé huit ans au service ouïghour de la Radio nationale chinoise, a été condamné à la réclusion à perpétuité en avril 2010, à l’issue d’un procès à huis clos. Son « crime » résidait dans le fait qu’il avait traduit en ouïghour et publié sur le site internet ouïghour Salkin un appel du Congrès ouïghour mondial, établi à l’étranger, incitant les exilés ouïghours à protester contre le traitement réservé aux ouvriers ouïghours battus et morts en juin 2009 à Shaoguan. Memetjan Abdulla, âgé d’une trentaine d’années, avait également répondu aux questions que lui avaient posées des journalistes étrangers à Pékin concernant les réactions de la population ouïghoure à la suite de cet épisode. Une source anonyme présente lors du procès a affirmé que la colère des autorités face aux agissements de Memetjan Abdulla a contribué à rendre la condamnation particulièrement sévère. Les lourdes peines encourues dans ce genre d’affaires permettent d’instaurer un véritable blocus sur l’information autour de la région autonome ouïghoure du Xinjiang : seules les informations provenant du gouvernement et l’interprétation des faits par ce dernier sont systématiquement diffusées.

La suppression du droit des Ouïghours de pratiquer leur religion est une des mesures les plus dures en Chine. Aux termes d’une nouvelle réglementation publiée en décembre 2009, aucun individu ou organisation n’a le droit d’« inciter ou de forcer des mineurs à participer à des activités religieuses » ; il n’existe cependant aucune définition précise de ces activités. Pour la première fois, ce type de réglementation précise que les forces de sécurité ont pour rôle d’appliquer des sanctions administratives, y compris des placements en détention, pour ceux qui enfreignent ces lois. Les parents risquent ainsi une amende ou la détention s’ils donnent une éducation religieuse à leurs enfants ou s’ils leur permettent d’aller à la mosquée.

Des étudiants ouïghours ont signalé à Amnesty International qu’ils risquaient d’être expulsés de leur établissement s’ils étaient surpris en train de se rendre à la mosquée. Les fonctionnaires de la région autonome ouïghoure du Xinjiang, y compris les enseignants, les policiers et autres employés gouvernementaux, n’ont pas le droit de pratiquer leur religion, au risque de perdre leur emploi et d’être victimes de poursuites pénales.

Violations continues des droits économiques, sociaux et culturels

Les Ouïghours continuent de voir leurs droits économiques, sociaux et culturels bafoués. Les offres d’emploi publiées sur les sites internet du gouvernement de la région autonome ouïghoure du Xinjiang pour des postes de fonctionnaires et des places dans des entreprises publiques et privées sont réservées aux Hans. Cela montre l’implication directe du gouvernement dans des pratiques d’embauche discriminatoires, ainsi que l’approbation implicite des autorités face à la discrimination exercée par les employeurs privés et leur incapacité à l’empêcher. De telles pratiques ont conduit à un fort ressentiment. Même les Ouïghours ayant étudié dans des universités chinoises de l’est du pays et parlant couramment le mandarin signalent une discrimination à l’embauche fondée sur leur origine ethnique.

Des Ouïghours ont déclaré à Amnesty International que la discrimination à l’embauche dont ils sont victimes s’est accentuée au cours des dernières années. Cette évolution est due en partie à l’afflux de Hans dans la région et à la politique d’« éducation bilingue », qui a en pratique fait du mandarin la langue principale dans l’enseignement scolaire, au sein du système judiciaire et dans d’autres domaines publics, au détriment du ouïghour. Cette politique a alimenté le ressentiment des Ouïghours, quel que soit leur milieu. De nombreux Ouïghours ont confié à Amnesty International qu’ils perçoivent la perte de leur langue comme l’un des facteurs mettant le plus en danger la culture et l’identité ouïghoures. Beaucoup parlent de proches et d’amis ouïghours, en particulier d’enseignants, ayant perdu leur emploi à cause de cette politique, au motif qu’ils ne possédaient pas le niveau requis en mandarin. Selon une jeune femme ouïghoure :

« Si ça continue, si les enseignants ouïghours continuent d’être licenciés et si on ne peut pas parler ouïghour en cours, alors il n’y aura plus de langue ouïghoure et donc plus de Ouïghours. »

Dans une région où la population est composée à 60 % de groupes ethniques, dont les Ouïghours représentent la grande majorité, le gouvernement doit respecter et protéger les droits des Ouïghours et de toute autre ethnie d’avoir leur propre culture, de pratiquer leur religion et de parler leur propre langue, conformément au droit international relatif aux droits humains et aux normes internationales en la matière.

Pendant 30 ans, à la suite de la mise en œuvre de réformes économiques à la fin des années 1970, la région autonome ouïghoure du Xinjiang s’est retrouvée à la traîne par rapport au reste du pays dans le domaine économique, devenant l’une des régions les plus pauvres malgré sa richesse en ressources naturelles telles que le pétrole et le gaz. En mai 2010, lorsqu’il a reconnu le retard économique de la région autonome ouïghoure du Xinjiang ainsi que le lien entre développement économique, stabilité sociale et unité ethnique, le gouvernement a annoncé un programme d’investissement de grande ampleur, en promettant une hausse des revenus pour atteindre le niveau national d’ici 2015. Afin que ce projet puisse répondre aux revendications sous-jacentes des groupes ethniques, le gouvernement devra encourager le débat, solliciter activement le point de vue de ces groupes afin d’élaborer et de mettre en œuvre ce programme, et veiller à ce que toutes les ethnies puissent profiter équitablement de tout bénéfice économique qui pourrait en découler. De plus, en mettant en place un projet de développement, les autorités doivent s’attaquer sérieusement au problème de la discrimination dans le domaine économique, y compris à l’embauche, dans le domaine foncier et dans l’accès à des débouchés professionnels.

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit