Communiqué de presse

La CPI acquitte le dirigeant d’un groupe armé congolais

La décision du 18 décembre 2012 par laquelle la Cour pénale internationale (CPI) a acquitté Mathieu Ngudjolo Chui va sans aucun doute décevoir de nombreuses victimes, a déclaré Amnesty International le 19 décembre, mais elle doit surtout renforcer la demande de justice dans les affaires de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en République démocratique du Congo (RDC), où règne l’impunité.

La Chambre de première instance a estimé que l’accusation n’avait pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable que Mathieu Ngudjolo Chui était responsable d’avoir commis conjointement des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité – homicides illégaux, viol, réduction en esclavage sexuel et utilisation d’enfants soldats, notamment – lors de l’attaque, en février 2003, du village de Bogoro, en Ituri (est de la RDC).

L’accusation a fait savoir qu’elle allait faire appel de la décision.

La Chambre a indiqué que l’accusation n’avait pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable que Mathieu Ngudjolo Chui avait commis l’un ou l’autre des crimes dont il était accusé. Pour cette raison, et conformément au Statut de Rome de la CPI, Mathieu Ngudjolo Chui continue d’être présumé innocent de ces charges.

Fait important, la Chambre a également ordonné au Greffe de la Cour de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la protection des témoins dans cette affaire.

L’issue de ce procès doit aussi placer au premier plan la question des dizaines de milliers de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité qui ont été commis, dans une impunité quasi totale, en RDC ces 20 dernières années, et sur ceux qui continuent d’être perpétrés au Nord-Kivu et au Sud-Kivu.

Davantage d’initiatives doivent être mises en œuvre, en particulier de la part du gouvernement de la RDC, pour que les victimes aient accès à la justice, à la vérité et à des réparations.

L’affaire Ngudjolo Chui

La décision de la Chambre de première instance clôt la première affaire instruite par la CPI pour viol et esclavage sexuel lors d’un conflit armé. Amnesty International avait exprimé ses regrets sur le fait que le premier procès mené à son terme par la CPI, qui s’est soldé en mars 2012 par la condamnation de Thomas Lubanga Dyilo pour utilisation d’enfants soldats en Ituri, n’avait pas pris en compte les allégations faisant état de tels crimes, ni d’autres concernant des violences sexuelles contre des fillettes et des jeunes filles enlevées.

La CPI enquête sur la situation dans l’est de la RDC depuis 2004, après que la situation lui eut été déferrée par les autorités congolaises.

Mathieu Ngudjolo Chui est l’ancien dirigeant présumé de deux groupes armés, le Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI) et le Mouvement révolutionnaire congolais (MRC). En 2006, il a été intégré dans l’armée congolaise à la suite de négociations de paix. Les autorités l’ont arrêté et livré à la CPI en février 2008.

Lorsque la Chambre préliminaire de la CPI a confirmé les charges contre le dirigeant du groupe armé, en 2008, elle a reconnu que l’esclavage sexuel recouvrait les situations dans lesquelles des femmes et des jeunes filles sont contraintes de se marier, la servitude domestique et d’autres formes de travail forcé débouchant sur une activité sexuelle imposée. Il s’agissait là d’une étape essentielle dans la jurisprudence de la CPI, et Amnesty International suit de près cette question.

Dans un procès qui a débuté le 24 novembre 2009, Mathieu Ngudjolo Chui et Germain Katanga – dirigeant présumé d’un autre groupe armé – ont été inculpés de sept chefs de crimes de guerre, notamment d’utilisation d’enfants soldats, d’attaque contre une population civile, d’homicides intentionnels, de destruction de biens, de pillage, de réduction en esclavage sexuel et de viol. Les deux hommes se sont également vu notifier trois chefs de crimes contre l’humanité – meurtre, viol et réduction en esclavage sexuel.

En mars 2008 les juges de la CPI ont décidé de joindre les deux affaires, les charges faisant référence à la même attaque perpétrée à Bogoro. La Chambre de première instance a toutefois estimé récemment que le mode de responsabilité retenu à l’encontre de Germain Katanga pouvait faire l’objet d’une requalification, et a disjoint les affaires de manière à rendre le jugement dans l’affaire Ngudjolo Chui – ce qui a été fait le 18 décembre.

L’impunité en RDC

Les crimes effroyables perpétrés à Bogoro ne constituent qu’une infime partie de tous les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en RDC ces 20 dernières années – homicides, viols, réduction en esclavage sexuel et utilisation d’enfants soldats, notamment. Dans l’immense majorité des cas, les autorités nationales n’ont apporté ni justice, ni vérité ni réparations pleines et entières aux victimes.

Le nombre de crimes commis en Ituri a baissé par rapport à la situation d’il y a 10 ans, mais de tels crimes continuent d’être perpétrés sur une grande échelle dans d’autres régions de la RDC. Dans la province du Nord-Kivu, en particulier, une dizaine de groupes armés se rendent coupables de telles exactions, dans certains cas avec l’appui de pays voisins, selon certaines informations.

De nombreux obstacles empêchent que la justice passe dans ces affaires de crimes, passées ou présentes, notamment le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire, l’insuffisance du financement, l’inefficacité des programmes de protection des victimes et des témoins et le fait que les tribunaux ordinaires civils ne sont toujours pas compétents pour juger de telles affaires.

Dans bien des cas les victimes ne portent pas plainte, et ce pour toute une série de raisons dont la moindre n’est pas la défiance vis-à-vis d’un système judiciaire soumis à l’influence d’une armée nationale comptant en son sein d’anciens seigneurs de la guerre.

Amnesty International a demandé à de multiples reprises aux autorités de la RDC d’éliminer ces obstacles en prenant toutes les mesures nécessaires pour mettre en place une stratégie sur le long terme en vue de réformer le système de justice pénale.

Si les enquêtes menées par la CPI sur la situation en RDC ont redonné espoir à des millions de Congolais qui attendent justice pour les crimes de droit international dont ils ont été victimes, il reste que les procédures à La Haye ne concernent qu’une poignée d’individus parmi tous ceux qui portent la plus grande responsabilité des crimes les plus graves. L’immense majorité des crimes commis doivent encore faire l’objet d’enquêtes. Il faut que ces enquêtes aient lieu et que, si des éléments de preuve suffisants sont réunis, les affaires soient instruites devant des tribunaux nationaux, dans le cadre de procédures équitables et excluant le recours à la peine de mort.

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