La transition au Yémen est ternie par un accord d’« immunité »

Un accord de transfert du pouvoir accordant semble-t-il au président yéménite, Ali Abdullah Saleh, et à d’autres personnes une immunité de poursuites en échange de leur démission est un coup dur pour les victimes de violations des droits fondamentaux, a déclaré Amnesty International jeudi 24 novembre.

Si seule une partie de l’accord, qui a été signé mercredi 23 novembre, a été rendue publique, de nombreux éléments portent à croire qu’il permet au président et à certains de ses collaborateurs de se soustraire à des enquêtes et des poursuites en relation avec une série de graves violations. Il s’appuie sur un accord négocié à l’origine par le Conseil de coopération du Golfe (CCG), et fait suite à des discussions encadrées par un délégué des Nations unies.

« Accorder l’immunité dans le cadre de l’accord de transition porterait un coup fatal à l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains, en bloquant les enquêtes ou poursuites visant de hauts responsables », a expliqué Philip Luther, directeur adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« L’immunité mène à l’impunité. Elle constitue un déni de justice et prive les victimes de la vérité et de réparations intégrales. »

Aux termes du droit international, et notamment de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Yémen est tenu d’enquêter sur toute personne soupçonnée de ce genre d’infractions, et si suffisamment de preuves recevables sont réunies, de la poursuivre.

Le président Saleh, au pouvoir depuis 33 ans, a évoqué son départ à plusieurs reprises ces derniers mois, puis a plus tard changé de discours.

Au titre de l’accord de transition du CCG, Ali Abdullah Saleh conservera le titre de président jusqu’à ce que des élections aient lieu, dans les 90 jours suivants, mais passera le relai à Abd Rabbu Mansour Hadi, le vice-président, afin de lui permettre de mettre l’accord en œuvre. Un membre de l’opposition dirigera un gouvernement de réconciliation nationale, et les ministères seront répartis entre différentes formations politiques. Ce nouveau gouvernement provisoire resterait alors en place pour une période de deux ans.

Cet accord a emporté l’adhésion de gouvernements du monde entier, mais a suscité des protestations de la part de certains Yéménites qui y sont opposés et demandent que le président Saleh et d’autres hauts responsables passent en jugement pour leur rôle présumé dans les violations perpétrées.

Des partisans du président, armés, ont ouvert le feu sur un groupe de personnes non armées participant à une marche contre cette décision, au départ du camp de manifestants connu sous le nom de Place du changement, à Sanaa, jeudi 24 novembre. Au moins cinq personnes ont succombé après avoir été touchées à la tête, au cou et à la poitrine, et des dizaines d’autres ont été blessées. Des membres des forces de sécurité auraient été aperçus mais n’ont pas essayé d’intervenir pour empêcher ces attaques.

Au cours des 10 derniers mois, plus de 200 personnes ont été tuées et des milliers d’autres blessées lorsque les forces de sécurité et des sympathisants armés du président Saleh ont essayé de réprimer des manifestations majoritairement pacifiques en faveur de la réforme, à Sanaa et ailleurs.

Amnesty International et le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme ont demandé l’ouverture d’une enquête internationale indépendante sur les violations des droits humains qui perdurent au Yémen.

Bien que la mission d’établissement des faits effectuée au Yémen par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme en juillet ait mis au jour des éléments prouvant que de graves crimes de droit international ont été commis, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté le mois dernier une résolution appelant à la signature et à la mise en œuvre d’un accord. La résolution s’appuyait sur la proposition d’accord de transition du CCG, qui semblait comporter une clause d’immunité.

La résolution du Conseil de sécurité soulignait par ailleurs la nécessité d’ouvrir une enquête exhaustive, indépendante et impartiale conforme aux normes internationales sur des atteintes présumées aux droits humains, dans le but de veiller à ce que les auteurs rendent pleinement compte de leurs actes et donc de prévenir l’impunité.

« En apportant leur soutien à l’accord de transition, il semble que les responsables des Nations unies aient ménagé une marge de manœuvre suffisamment importante pour que des auteurs présumés de violations graves des droits humains puissent bénéficier de l’impunité au Yémen, et qu’ils aient fait fi de la directive du secrétaire général des Nations unies qui interdit la négociation d’accords de paix comportant des clauses d’immunité  », a poursuivi Philip Luther.

« La seule manière de respecter l’obligation de rendre des comptes est de mener une enquête internationale indépendante sur les allégations de crimes graves de droit international, quels que soient le rang ou les relations des auteurs présumés. »

« Toute enquête de ce type doit permettre de saisir le parquet yéménite, de sorte que les suspects puissent être poursuivis lorsqu’il existe suffisamment de preuves recevables. »

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