L’arrestation et la détention arbitraire d’éminents défenseurs des droits humains a pour but de réduire au silence les détracteurs et de détourner l’attention des violations commises, ont affirmé le 17 mars dans une déclaration conjointe des observateurs asiatiques et internationaux chargés de veiller au respect des droits humains.
La déclaration a été signée par Amnesty International, le Forum asiatique pour les droits de l’homme et le développement (Forum-Asia), Human Rights Watch, International Crisis Group, et la Commission internationale de juristes (CIJ).
Ruki Fernando, de l’association INFORM, basée à Colombo, et le père Praveen Mahesan, prêtre catholique, ont été arrêtés à Kilinochchi le 16 mars et auraient été détenus sans être officiellement accusés, au titre de la très draconienne Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA).
« Les autorités sri-lankaises doivent libérer Ruki Fernando et le père Praveen Mahesan, et mettre un terme au harcèlement qu’inflige l’État aux défenseurs des droits humains », a déclaré David Griffiths, directeur adjoint du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International.
« Comment la communauté internationale peut-elle prendre au sérieux les affirmations du Sri Lanka lorsqu’il prétend respecter les droits, alors que les défenseurs sont en butte à des actes d’intimidation et sont inculpés parce qu’ils réclament l’obligation de rendre des comptes et la protection des droits fondamentaux ? »
Le Service d’enquête sur le terrorisme (TID) a arrêté et interrogé Ruki Fernando et le père Praveen Mahesan, parce qu’ils ont tenté de veiller au bien-être de Balendran Vithushaini, 13 ans, dont le placement provisoire avait été ordonné à la suite de l’arrestation de sa mère, Balendran Jeyakumari, le 13 mars. La mère comme la fille luttent activement contre les disparitions forcées au Sri Lanka et ont été mises en avant dans les médias internationaux qui ont couvert les manifestations organisées par les familles des disparus, notamment à Jaffna en novembre 2013, lors d’une visite du Premier ministre britannique David Cameron.
Ruki Fernando et le père Praveen ont été interrogés séparément dans deux bâtiments différents pendant plus de trois heures par plusieurs agents du TID. Leurs avocats ont reçu des informations contradictoires sur leur arrestation et les motifs de leur détention. D’après les plus récentes, les deux hommes ont été conduits au siège du Service d’enquête sur le terrorisme à Colombo et leurs avocats n’ont pas encore pu s’entretenir avec eux.
Ruki Fernando et le père Praveen n’ont pas été inculpés, mais selon le porte-parole de la police sri-lankaise, le superintendant principal Ajith Rohana, ils seront inculpés de « tentative de générer de l’instabilité entre les communautés » et de « promotion du séparatisme », au titre de la Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA).
La PTA est la cible de vives critiques de la société civile sri-lankaise, d’organisations internationales de surveillance et d’organismes des Nations unies. Dans son rapport intitulé Authority without Accountability : The Crisis of Impunity in Sri Lanka, la Commission internationale de juristes révèle que les dispositions de la PTA se traduisent par des détentions arbitraires, vont à l’encontre du droit des suspects à un procès équitable et à une procédure régulière, et favorisent la torture, les mauvais traitements et les disparitions forcées.
Les organisations affirment que ces arrestations sont d’autant plus inquiétantes qu’une résolution sur l’incapacité du Sri Lanka à établir les responsabilités est actuellement débattue et sera bientôt votée lors des sessions du Conseil des droits de l’homme à Genève. La communauté internationale demande depuis longtemps au Sri Lanka de prendre des mesures concrètes pour en finir avec sa culture de l’impunité.
« Cette campagne de représailles contre ceux qui dénoncent les violations des droits humains illustre l’impunité dont jouit le gouvernement », a déclaré Sam Zarifi, directeur du programme Asie à la Commission internationale de juristes.
« La communauté internationale, lorsqu’elle va voter au Conseil des droits de l’homme, doit juger le Sri Lanka non pas sur ses promesses, mais sur ses actes. »
Malgré deux précédentes résolutions du Conseil des droits de l’homme en 2012 et 2013, le Sri Lanka n’a pris aucune disposition mesurable visant à rendre justice aux victimes de la guerre civile, mais a lancé une campagne agressive contre ceux qui réclament que les responsables rendent des comptes pour leurs actes. Les défenseurs des droits humains, les militants, les journalistes et les membres de la société civile qui critiquent le gouvernement sont régulièrement menacés et harcelés. Ceux qui sont connus au niveau international, comme Ruki Fernando, sont particulièrement visés.
« Les autorités sri-lankaises répriment systématiquement ceux qui tentent de sensibiliser la communauté internationale lors d’événements importants comme les sessions du Conseil des droits de l’homme ou la réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth », a déclaré Evelyn Balais-Serrano, directrice exécutive de Forum-Asia.
« Au lieu de protéger les défenseurs des droits humains, le gouvernement sri-lankais, en procédant à ces récentes arrestations, se montre encore plus agressif à l’égard de ceux qui réclament justice et cherchent des réponses. »
Les arrestations remettent aussi en cause l’engagement du gouvernement sri-lankais à améliorer le respect des droits humains depuis la fin du conflit armé avec les Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE) en 2009.
« Arrêter des militants pacifiques connus pour leurs activités en faveur des victimes de violences issues de toutes les communautés ethniques ne permettra pas de renouer la confiance ni de rétablir les relations entre communautés mises à mal par la guerre », a déclaré Jonathan Prentice, responsable de la politique à International Crisis Group.
« Pour que la paix durable ne se résume pas à une illusion, il convient de protéger le droit des victimes et des défenseurs des droits humains sri-lankais de s’exprimer librement et en toute sécurité. »
Les organisations ont souligné que Ruki Fernando et le père Praveen devaient bénéficier de tous leurs droits pendant leur détention. Aux termes du droit international, notamment du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) auquel le Sri Lanka est partie, les personnes privées de leur liberté doivent être rapidement informées des motifs de leur détention, pouvoir consulter rapidement et régulièrement leurs avocats, et être traduites sans délai devant un juge ou un magistrat.
Les organisations de défense des droits humains ont souligné qu’il est notoire que les forces de sécurité sri-lankaises se livrent à des actes de torture en détention. Dans son rapport de 2013 intitulé Nous allons vous donner une leçon : Violences sexuelles contre les Tamouls par les forces de sécurité sri lankaises, Human Rights Watch a rendu compte des violences sexuelles et des actes de torture commis par les agents du TID et d’autres forces de sécurité.
« Les membres du Conseil des droits de l’homme doivent exiger la libération immédiate de Ruki Fernando et du père Praveen, et faire savoir qu’ils ne renonceront pas à adopter une résolution sur le Sri Lanka », a déclaré Brad Adams, directeur du programme Asie à Human Rights Watch.
« L’arrestation de ces défenseurs des droits humains montre à quel point il est important que la communauté internationale se mobilise en faveur des droits fondamentaux au Sri Lanka. »