Communiqué de presse

Les États-Unis doivent respecter les droits des personnes extradées depuis le Royaume-Uni

Les autorités américaines doivent respecter les droits humains des personnes extradées le 5 octobre depuis le Royaume-Uni vers les États-Unis afin de répondre de chefs d’inculpation liés au terrorisme.

Au lendemain de l’extradition de Babar Ahmad, Syed Talha Ahsan, Khaled Al Fawwaz, Adel Abdul Bary et Mustafa Kamal Mustafa (plus connu sous le nom d’Abou Hamza), Amnesty International souligne qu’il importe, durant leur détention provisoire, de les traiter conformément aux normes internationales relatives aux droits humains et de respecter leur droit à la présomption d’innocence. D’une manière générale, les conditions de détention doivent au minimum être conformes à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (ONU). Les accusés doivent disposer du temps et des moyens nécessaires à la préparation de leur défense ; cela suppose, entre autres, qu’ils puissent rencontrer et communiquer confidentiellement avec leurs avocats, dès le début de leur détention.

La détention provisoire est une mesure préventive plus qu’une sanction. Elle est notamment ordonnée pour éviter toute obstruction de l’enquête ou du cours de la justice, ou prévenir d’autres infractions. Les restrictions imposées aux personnes placées en détention provisoire concernant les contacts avec le monde extérieur et les autres détenus doivent être décidées au cas par cas et de manière proportionnée à un but légitime, soumises à une révision régulière et sujettes à contestation.

La procédure pénale engagée contre chacun de ces hommes doit respecter les normes internationales d’équité.

Si l’un d’entre eux est déclaré coupable, les autorités américaines doivent veiller à ce que les conditions de détention et le régime d’incarcération soient empreints d’humanité et respectent l’interdiction de tout traitement ou peine cruel, inhumain ou dégradant. Dans le cadre d’une incarcération, les restrictions concernant les contacts avec les autres prisonniers, les proches et le monde extérieur doivent être nécessaires et proportionnées à l’objectif ciblé. Tant individuellement que dans leur effet cumulé, ces mesures ne doivent pas constituer un traitement prohibé par le droit international relatif aux droits humains. Ces décisions doivent être prises au cas par cas, et ne pas se fonder uniquement sur le crime pour lequel la personne a été condamnée ; elles doivent être motivées, consignées par écrit et limitées dans le temps. Elles doivent être réexaminées régulièrement et pouvoir être contestées, notamment devant un tribunal.

En fonction de sa durée, de son degré et de la légitimité des raisons invoquées pour le mettre en place, l’isolement du monde extérieur et de la population carcérale peut constituer une violation de l’interdiction absolue de torture et de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Les autorités britanniques doivent veiller à ce que les cinq hommes qu’elles ont extradés soient traités dans le respect des normes internationales. Des experts indépendants en matière de droits humains doivent être autorisés à visiter les lieux où ils sont incarcérés, à s’entretenir en privé avec les prisonniers de leur choix et à rendre compte publiquement de leurs conclusions sur le traitement et les conditions observés.

Amnesty International note que la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté l’allégation selon laquelle s’ils sont extradés, déclarés coupables et incarcérés dans une prison de très haute sécurité à Florence, au Colorado, ces hommes risquent de subir des actes de torture ou d’autres peines ou traitements inhumains et dégradants qui interdiraient de les extrader vers les États-Unis. Forte de ses propres recherches menées par le passé sur des cas similaires aux États-Unis, et de la récente déclaration à ce sujet du rapporteur spécial sur la torture, Juan Mendez, Amnesty International est préoccupée par le raisonnement qui a amené la Cour à cette conclusion. Dans son arrêt, elle n’explique pas en détail pourquoi elle a semblé accorder tant d’importance aux allégations du gouvernement américain, par rapport aux autres éléments de preuve qui lui ont été soumis. Cependant, Amnesty International n’est pas actuellement en mesure de déterminer si oui ou non, à la lumière de tous les éléments probants disponibles, l’arrêt de la Cour s’avérera finalement fondé.

Amnesty International continuera de suivre le transfert des suspects, leur procès et leurs conditions de détention dans le cadre de son travail de défense des droits humains s’agissant des lois, des politiques et des pratiques mises en œuvre par les gouvernements pour lutter contre le terrorisme.

COMPLÉMENT D’INFORMATION

S’appuyant sur ses recherches, Amnesty International lance cet appel, craignant que les conditions de détention auxquelles sont soumises certaines personnes extradées, lors de leur détention provisoire ou une fois incarcérées à l’issue de leur procès, ne bafouent les normes internationales et ne s’apparentent à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, des ONG et des avocats partagent ces préoccupations quant aux conditions d’isolement auxquelles risquent d’être soumis ces hommes après leur extradition.

Plus particulièrement, Amnesty International a fait part de ses inquiétudes quant au régime imposé au Centre de détention métropolitain (MCC) de New York, où deux des personnes extradées seront peut-être détenues dans l’attente de leur procès. Elle a estimé que le régime de détention provisoire imposé au MCC à plusieurs personnes inculpées d’infractions liées au terrorisme bafouait les normes internationales relatives à un traitement humain. Il s’agissait notamment de deux détenus extradés d’Europe, car soupçonnés d’infractions liées au terrorisme, qui étaient confinés à l’isolement dans leur cellule 23 heures sur 24, disposaient d’un accès limité à la lumière naturelle, ne faisaient pas d’exercice en plein air et avaient des contacts limités avec le monde extérieur. L’un d’entre eux, Syed Fahad Hashmi, extradé depuis le Royaume-Uni en 2007, a été maintenu pendant près de trois années à l’isolement, soumis à une surveillance électronique 24 heures sur 24 et à des fouilles au corps avant d’aller faire de l’exercice dans une petite cage située à l’intérieur de la prison. Il n’était pas autorisé à se lier avec d’autres détenus, bénéficiait de visites restreintes de ses proches – tout contact physique étant interdit – et n’avait qu’un accès très limité à la lecture et aux informations.

Par ailleurs, Amnesty International s’inquiète de ce que, si elles sont déclarées coupables et incarcérées à la prison de très haute sécurité de Florence, l’ADX Florence, au Colorado, ces personnes passeront au moins un an dans des conditions de très grand isolement social. En effet, les détenus passent au moins un an – voire beaucoup plus longtemps – sous un régime qui prévoit leur maintien à l’isolement dans une cellule, de 22 à 24 heures par jour, avec des contacts humains réduits au strict minimum. Ils ne peuvent communiquer avec les détenus des cellules voisines qu’en parlant à travers les bouches d’aération situés dans les cellules et durant les temps relativement courts consacrés à l’exercice, qui se fait dans des cages individuelles, au rythme de quelques fois par semaine. En outre, pour les prisonniers soumis au régime des Mesures administratives spéciales, la communication avec le monde extérieur est encore plus restreinte. La Cour européenne des droits de l’homme elle-même a statué que les conditions à l’ADX Florence, particulièrement pour les prisonniers soumis à ces Mesures administratives spéciales, étaient hautement restrictives et destinées à empêcher tout contact physique entre un détenu et autrui et à réduire au minimum les interactions sociales entre les détenus et le personnel.

Selon les allégations des autorités américaines, qu’a citées la Cour européenne des droits de l’homme, les restrictions imposées par ces régimes à l’ADX Florence peuvent être progressivement assouplies, après révision, et certains prisonniers peuvent même être transférés vers d’autres centres. Toutefois, un prisonnier soumis aux mesures les plus restrictives à l’ADX Florence peut passer plusieurs années à n’avoir que des contacts sociaux minimaux, avant d’être autorisé à avoir de véritables interactions avec des codétenus.

Amnesty International a demandé à se rendre à l’ADX Florence, pour observer les conditions sur place. Sa requête a été rejetée par les autorités américaines en juillet 2012.

Aux États-Unis et ailleurs, les éléments sont nombreux qui attestent que l’isolement prolongé dans une cellule, sans lien social, peut causer de graves dommages physiques et psychologiques. Le risque est encore exacerbé lorsqu’il s’agit de personnes, comme certains des hommes extradés, qui souffrent de troubles physiques ou de handicaps mentaux préexistants. La possibilité de recevoir des traitements médicaux et de santé mentale pour les prisonniers d’ADX Florence, à la fois requis et nécessaires, ne suffit pas à neutraliser les effets néfastes qu’induisent ces régimes d’isolement.

À l’instar du rapporteur spécial sur la torture et d’autres organes relatifs aux droits humains, Amnesty International estime que l’isolement, défini comme la détention d’une personne privée de sa liberté, seule dans une cellule de 22 à 24 heures par jour, lorsqu’il est imposé, doit être une mesure exceptionnelle prise en dernier recours, afin de protéger la sécurité des codétenus ou du personnel pénitentiaire, et doit durer le moins longtemps possible. Les garanties de procédure exposées ci-dessus doivent être solides, efficaces et respectées.

En fonction de sa durée, de son degré et de la légitimité des motifs invoqués pour le mettre en place, l’isolement du monde extérieur et de la population carcérale peut bafouer l’interdiction absolue de la torture ou de tout autre traitement ou peine cruel, inhumain ou dégradant. Encore plus fréquemment, des mesures aussi restrictives violent l’obligation de traiter toute personne privée de sa liberté avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Les États-Unis sont tenus par ces obligations découlant du droit international, notamment inscrites dans des traités comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention des Nations unies contre la torture.

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