Liban : Approfondissement de l’enquête sur la mort de réfugiés syriens

Les autorités libanaises doivent divulguer l’ensemble des résultats de leur enquête sur la mort de quatre réfugiés syriens, a déclaré Amnesty International après que le procureur militaire du Liban a indiqué le 24 juillet qu’un rapport d’expertise médicolégale concluait que ceux-ci étaient décédés des suites de « causes naturelles ». Ces hommes sont morts après avoir été arrêtés lors d’une opération militaire dans la ville d’Arsal le 30 juin 2017.

D’après une expertise médicolégale sur des photos montrant les corps de trois des quatre hommes décédés, demandée par Amnesty International, ceux-ci présentent des traces de coups récents et de traumatismes sur la tête et les membres laissant penser qu’ils pourraient avoir été torturés.

«  Il est extrêmement important que l’ensemble des résultats du rapport d’expertise commandé par le procureur militaire soient rendus publics et accessibles aux avocats et aux familles des victimes, a déclaré Lynn Maalouf, directrice des recherches pour le Moyen-Orient à Amnesty International.

« L’analyse médicolégale indépendante des photos des corps obtenue par Amnesty International laisse craindre que ces hommes n’aient été soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements en détention. Aux termes des normes internationales, tous les détails du rapport d’expertise médicolégale officiel doivent être divulgués. Si la torture est jugée comme la cause de la mort, l’armée libanaise doit prendre les mesures nécessaires pour que les responsables présumés soient traduits en justice dans le cadre d’un procès équitable. »

Avant l’annonce du procureur militaire, une déclaration publiée par l’armée le 4 juillet affirmait que ces quatre hommes, Anas Hussein al Hasiki, Mustafa Abdulkarim Abse, Khaled Hussein el Mleis et Othman Merhi el Mleis, étaient décédés des suites de « maladies chroniques » et des « conditions climatiques ». Amnesty International a consulté des rapports d’un médecin légiste de l’hôpital de Riyak, datés des 1er et 2 juillet 2017, qui indiquent que deux des hommes sont morts d’une crise cardiaque et un autre d’un accident vasculaire cérébral (AVC) et que leurs corps ne présentent aucune trace de violence physique.

Ces deux rapports et la déclaration du procureur militaire selon laquelle ces hommes sont morts de « causes naturelles » ne correspondent pas aux conclusions d’Amnesty International.

Selon les informations recueillies par Amnesty International, l’un des Syriens décédés, Anas Hussein al Hasiki, a été arrêté à son appartement près du camp d’al Qariya lors de l’opération militaire. Il a été conduit au centre de détention de Riyak, où il a été battu plusieurs fois par des soldats devant d’autres détenus. Selon des témoins, il a été passé à tabac à trois reprises, au point de perdre connaissance à chaque fois. La dernière fois, les soldats qui le frappaient ont tenté de le réveiller en lui mettant de l’eau dans la bouche mais n’ont pas réussi à le ranimer. Il est mort quelques heures après.

Les tentatives des avocats représentant les familles de trois des hommes décédés pour établir la cause de leur mort ont été mises à mal par les autorités militaires. Alors qu’ils avaient obtenu une décision de justice ordonnant qu’un autre médecin légiste examine les corps et analyse des prélèvements médicaux, ces derniers leur ont été confisqués par les services de renseignement de l’armée le 6 juillet. Le parquet militaire a par la suite annoncé qu’il avait ouvert sa propre enquête et désigné trois médecins légistes pour examiner les corps. Cependant, les avocats représentant les familles n’ont jamais été informés des résultats de ces examens. Ni eux, ni les familles n’ont reçu une copie du rapport d’expertise médicolégale rédigé par les trois médecins légistes.

Amnesty International engage les autorités libanaises à diligenter une enquête impartiale sur la mort de ces quatre hommes en détention, ainsi que sur les autres allégations faisant état d’arrestations et de détentions arbitraires, d’actes de torture et d’autres mauvais traitements. Les auteurs présumés de tels agissements doivent être immédiatement suspendus des opérations militaires dans l’attente des conclusions de ces enquêtes.

« Nous comprenons que les autorités libanaises ont pour obligation de contrer les menaces pour la sécurité et de protéger la population des attentats meurtriers, mais elles doivent ce faisant respecter les garanties en matière de droits humains prévues par le droit international et veiller au respect de l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains commises par des membres de l’armée ou des forces de sécurité.  »

Complément d’information

D’après les informations reçues par Amnesty International, des soldats de l’armée libanaise ont fait irruption dans les camps d’al Nour et d’al Qariya, situés à Arsal, vers 5 heures du matin le 30 juin 2017 dans le cadre de « raids préventifs ». Peu après, des résidents disent avoir entendu une explosion suivie de coups de feu. L’armée a alors envoyé des renforts, notamment des véhicules blindés qui ont détruit plusieurs tentes en entrant dans le camp d’al Nour. Selon des témoins, des soldats ont rassemblé tous les hommes et les garçons qui se trouvaient dans les tentes, y compris des enfants de moins de 18 ans et des hommes de plus de 60 ans, puis ils les ont attachés et forcés à s’allonger par terre. Amnesty International a vu des photos semblant montrer de nombreux hommes allongés par terre les mains liées derrière le dos pendant ces opérations.

Pendant les raids dans les camps d’al Nour et d’al Qariya, l’armée libanaise a arrêté et placé en détention plus de 350 hommes et garçons, dont des mineurs et des personnes âgées. Amnesty International s’est entretenue avec plusieurs sources dans la région qui ont indiqué que les personnes appréhendées n’ont pas été informées du motif de leur arrestation et n’ont pas pu contacter leurs proches, à qui leur lieu de détention n’a pas été communiqué. Selon ces sources, des détenus ont été insultés, frappés à plusieurs reprises avec divers objets et privés d’eau et d’accès à des sanitaires. Certains ont été battus avec un tuyau en caoutchouc sur le dos, la tête et les membres, ont reçu des coups de pied et ont été piétinés sur les côtes avec de lourdes bottes.

Des témoins ont également déclaré que les soldats avaient ordonné aux femmes de leur remettre leurs téléphones portables en les insultant. Ils auraient alors cassé certains des appareils et arraché les vêtements des femmes ayant refusé de donner leur téléphone ou tenté de le cacher. Amnesty International a été informée que des violations du même type ont été commises dans le camp d’al Qariya. Des réfugiés syriens vivant dans des appartements loués dans un immeuble proche du camp, appelé « le Mujama », ont également été arrêtés. Amnesty International ignore la raison de ces arrestations à grande échelle, mais elles ont eu lieu dans un contexte de montée des tensions et de la xénophobie envers les réfugiés syriens, et de déclarations appelant à leur retour en Syrie.

Le 15 juillet, l’armée libanaise a annoncé qu’elle avait arrêté 356 hommes pendant ces opérations, dont 43 avaient été relâchés et 257 déférés à la Direction générale de la sécurité générale pour des motifs liés à leur absence de statut légal au Liban. Elle a par ailleurs indiqué que 56 hommes avaient été déférés devant le parquet militaire pour avoir « commis différents types d’actes terroristes », notamment pour avoir participé à l’attentat perpétré en 2014 contre des bases militaires à Arsal et pour avoir été membres ou complices de groupes armés tels que le groupe se désignant sous le nom d’État islamique, le Front al Nosra et d’autres « organisations terroristes similaires ».

Les raids ont eu lieu deux semaines avant une opération de sécurité à Arsal visant des groupes armés présents à la frontière syrienne près de cette ville. Amnesty International a appelé les différentes parties prenantes à ces combats à donner la priorité à la protection des citoyens libanais et des réfugiés syriens vivant dans les environs.

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