Déclaration publique
Index AI :MDE 18/006/2008
À la veille d’une décision attendue dans l’affaire Muhamad Mugraby, avocat et défenseur des droits humains, accusé d’avoir diffamé un représentant de l’État, Amnesty International appelle les autorités libanaises à abandonner les poursuites.
Amnesty International appelle également les autorités libanaises à mettre un terme aux poursuites répétées et systématiques dont il fait l’objet. Selon l’organisation, cette politique de harcèlement et d’intimidation vise à l’empêcher de mener à bien sa tâche de défenseur des droits humains et à le sanctionner pour ses critiques publiques des institutions judiciaires du pays.
Muhamad Mugraby étant inculpé pour un discours prononcé devant le parlement européen, Amnesty International appelle également l’Union européenne (UE) à protester auprès des autorités libanaises pour faire cesser les poursuites et les actes de harcèlement dont il fait l’objet.
Muhamad Mugraby est jugé par un tribunal pénal de Beyrouth pour un discours sur les droits humains qu’il a prononcé le 4 novembre 2003 devant le parlement européen à Bruxelles. Ce procès se déroule en dépit du fait que Muhamad Mugraby a déjà été jugé et acquitté pour la mêmes charge (article 383 du Code pénal), ainsi que pour la diffamation de l’institution militaire et de ses représentants (article 157 du Code pénal militaire) par la Cour militaire de cassation en avril 2006. Selon le droit international, qui s’exprime notamment dans l’article 14(7) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Liban est État partie, nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté par un jugement rendu par la même juridiction.
S’il était reconnu coupable, Muhamad Mugraby encourrait jusqu’à deux années de prison. S’il venait à être emprisonné, Amnesty International le considérerait comme un prisonnier d’opinion, détenu uniquement pour avoir exercé de façon pacifique son droit à la liberté d’expression et lancerait une campagne en faveur de sa remise en liberté immédiate et sans condition.
Dans son discours devant le parlement européen, Muhamad Mugraby avait critiqué le système des tribunaux militaires au Liban. Il avait notamment fait référence aux fréquentes allégations de torture sur les suspects traduits devant un tribunal militaire pour obtenir d’eux des aveux, ainsi que le manque de formation juridique des juges de ces tribunaux. La non- conformité de la procédure des tribunaux militaires avec les règles du droit international relatives à l’équité des procès et le fait que des détenus soient soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements avant leur comparution devant un tribunal ont été établis dans de nombreux documents d’Amnesty International et du Comité des droits de l’homme des Nations unies, entre autres.
Amnesty International souhaiterait rappeler aux autorités libanaises l’article 23 des Principes fondamentaux des Nations unies sur le rôle des avocats :
Les avocats, comme tous les autres citoyens, doivent jouir de la liberté d’expression, de croyance, d’association et de réunion. En particulier, ils ont le droit de prendre part à des discussions publiques portant sur le droit, l’administration de la justice et la promotion et la protection des droits de l’homme.
En outre, Muhamad Mugraby a des droits, en tant que défenseur des droits humains, et l’État libanais a l’obligation de protéger ces droits, inscrits dans la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus (Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme) :
Chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international.
Complément d’information
Muhamad Mugraby a été inculpé et a fait l’objet de poursuites un grand nombre de fois au cours de ces vingt dernières années – certaines affaires sont encore en cours – toujours en lien avec son travail en tant que défenseur des droits humains et ses critiques publiques vis-à-vis des institutions judiciaires du Liban. En 1995, il a été inculpé de diffamation portée contre l’État libanais et le pouvoir judiciaire, après l’interception d’un fax qu’il avait adressé à Amnesty International dans lequel il se plaignait d’irrégularités dans les jugements rendus par les tribunaux militaires. L’affaire a finalement été classée en 2001. Dans une autre affaire, datant de 2002 mais qui vient de refaire surface en ce mois de novembre 2008, Muhamad Mugraby est accusé d’ usurpation du titre d’avocat , une accusation à caractère manifestement politique. Arrêté le 8 août 2003, il avait été libéré sous caution trois semaines plus tard. Pour plus de détails, voir la déclaration publique d’Amnesty International Muhammad al Mugraby doit être remis en liberté immédiatement (MDE 18/011/2003) du 13 août 2003.
Les relations de l’UE avec le Liban reposent essentiellement sur un accord d’association, traité international juridiquement contraignant qui inclut un engagement juridique international des parties contractantes à respecter les droits humains. En conséquence, l’UE doit prendre toutes les mesures possibles pour faire en sorte que les défenseurs des droits humains puissent s’exprimer librement et sans entrave devant les institutions européennes, et sans être sanctionnés pour l’avoir fait. Les Orientations de l’UE concernant les défenseurs des droits humains recommandent que l’UE intervienne en faveur des défenseurs des droits humains en danger et suggèrent des moyens pratiques pour les soutenir et les aider.