Libye. À la poursuite de Mouammar Kadhafi – réponses aux questions d’ordre juridique


Quel sort doit être réservé au colonel Kadhafi s’il est capturé ?

Le colonel Kadhafi doit bénéficier d’un procès équitable. Ceci est essentiel pour que ses victimes en Libye puissent voir que justice est faite. Quel que soit le rang des personnes accusées, nul ne doit se soustraire à la justice.

Le Conseil de sécurité des Nations unies a saisi le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) de la situation en Libye en février. À la suite d’une enquête préliminaire, le procureur de la CPI a estimé qu’il existait des motifs raisonnables de penser que Mouammar Kadhafi, son fils, Saif al Islam, et Abdallah al Sanussi, chef des renseignements militaires, ont commis des crimes relevant de la compétence de la Cour, et a demandé à la CPI de délivrer des mandats d’arrêt contre eux. Les trois mandats émis par la CPI le 27 juin 2011 doivent être exécutés immédiatement.

Si ces hommes sont capturés, chacun doit être traité humainement et remis en toute sécurité et sans délai à la CPI afin de faire l’objet d’une enquête.

Pour quels motifs Mouammar Kadhafi doit-il faire l’objet d’une enquête ?

Les mandats d’arrêt émis par la CPI concernent deux crimes contre l’humanité – meurtre et persécution – commis depuis le 15 février. Une vague d’homicides et de disparitions forcées de détracteurs présumés du gouvernement a commencé en février 2011, lorsque des manifestations contre le colonel Kadhafi ont débuté à Benghazi.

Les responsables libyens doivent également rendre des comptes pour les violations graves des droits humains perpétrées avant le soulèvement de cette année, et dont certaines sont d’ailleurs à l’origine des manifestations publiques. Les charges dont le colonel Kadhafi doit répondre ne couvrent pas les décennies durant lesquelles les forces de sécurité se trouvant sous son commandement ont torturé, tué et fait « disparaître » des personnes en toute impunité. Par exemple, aucun responsable n’a jamais eu à rendre de comptes pour la mort de quelque 1 200 personnes lors du massacre de la prison d’Abou Salim en 1996.

Comment réagir aux violations des droits humains commises avant le 15 février ?

Les nouveaux dirigeants libyens doivent reconstruire en urgence le système de justice du pays afin que les tribunaux libyens puissent enquêter sur les crimes de droit international et engager des poursuites contre leurs auteurs présumés. Cela devrait également concerner les infractions commises avant le 15 février, ainsi que les infractions imputées à des personnes qui ne feront pas l’objet d’enquêtes de la CPI.

Il serait par ailleurs sans doute souhaitable que les autorités libyennes établissent une commission d’enquête indépendante ou une commission vérité. Faire la lumière sur les violations des droits humains et crimes passés aiderait à garantir que les victimes de ceux-ci puissent pleinement obtenir justice et réparation.


Pourquoi le colonel Kadhafi ne peut-il pas être jugé en Libye ?

Une fois que la CPI décide d’ouvrir une enquête sur un cas, les tribunaux nationaux ne peuvent plus instruire l’affaire et n’ont plus d’obligation dans ce domaine. Par ailleurs, puisque la CPI a délivré un mandat d’arrêt contre Mouammar Kadhafi, tous les États – dont la Libye – sont tenus de coopérer pleinement avec le tribunal.

Quels sont les problèmes du système de justice libyen ?

Les nouveaux dirigeants libyens devront évaluer comment réformer l’appareil judiciaire, la police ainsi que d’autres institutions importantes dès que possible une fois que les combats auront cessé. Les domaines ci-après doivent être réformés en priorité et en urgence :

* Le Code pénal libyen ne définit pas de manière satisfaisante les crimes de droit international tels que le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, la torture, les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires.

* Le code de procédure pénale libyen se caractérise par une absence de garanties juridiques adéquates, en particulier dans les affaires considérées comme ayant un caractère politique.

* L’indépendance de la justice libyenne a été mise à mal par des décennies d’ingérence politique persistante.

* Les forces de sécurité bafouent régulièrement les garanties limitées prévues par la législation libyenne. Un système de justice parallèle a été établi en 2007 pour traiter les affaires « contre l’État » ; il ne respecte pas les normes internationales.

* Le champ d’application de la peine de mort est très vaste.

Le colonel Kadhafi doit-il être condamné à la peine de mort ?

Non. Amnesty International est catégoriquement opposée à la peine de mort dans tous les cas, quelle que soit la gravité du crime commis. La peine capitale, le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit, est contraire au droit à la vie.

Et si un autre pays proposait au colonel Kadhafi de l’accueillir ?

Le droit international interdit d’accorder l’immunité à quiconque est soupçonné d’avoir commis les crimes les plus graves. Si Mouammar Kadhafi fuyait la Libye, Amnesty International demanderait qu’il soit immédiatement arrêté et remis à la CPI pour faire l’objet d’une enquête.

Est-ce qu’accorder l’immunité au colonel Kadhafi n’aurait pas permis de sauver des vies en mettant fin au conflit plus tôt ?

Ce type d’arrangement vide le droit international de sa substance et est inacceptable, quelles que soient les circonstances. Il viole le droit des victimes à la vérité, à la justice et à des réparations. L’obligation de rendre des comptes ne signifie rien si les personnes accusées de certains des crimes les plus graves peuvent échapper à la prison simplement pour avoir accepté de cesser de commettre ces crimes.

L’expérience a montré que l’impunité alimente le cercle vicieux des violations des droits humains et des conflits prolongés. Que ce soit en Colombie, en Haïti, en Iran, en Israël et dans les territoires occupés ou en République démocratique du Congo, les dirigeants se sont succédés mais les responsables d’abus ne sont pas sanctionnés et des violations massives continuent à être commises. Ce qui s’est passé en Argentine, au Chili, au Liberia et en Sierra Leone montre que les immunités et amnisties pour les violations graves des droits humains ne fonctionnent pas.

La CPI n’est-elle pas un nouvel exemple d’ingérence « occidentale » dans les affaires libyennes/africaines ?

Non, c’est une institution mondiale. Plus de la moitié des pays du monde (116) ont ratifié le Statut de Rome ayant établi la CPI, dont 32 en Afrique. Par ailleurs, 23 pays ont signé ce traité et devraient le ratifier à l’avenir. Un des derniers pays à l’avoir fait est la Tunisie, qui a rejoint la CPI en juin 2011. Nous espérons que le nouveau gouvernement libyen ratifiera sans délai le Statut de Rome de la CPI.

Lorsque le Conseil de sécurité des Nations unies a unanimement décidé de saisir la CPI au sujet de la situation en Libye, non seulement les pays occidentaux mais également les membres du Conseil de sécurité de tous les continents ont appuyé la résolution.

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