LIBYE : Les victimes oubliées : des dizaines d’étudiants et de membres des professions libérales risquent de faire l’objet d’un procès inéquitable, voire d’être condamnés à mort

Index AI : MDE 19/004/02

À la veille de la reprise de la procédure en appel du procès de dizaines d’étudiants et de membres des professions libérales inculpés pour leurs liens présumés avec Al Jamaa al Islamiya al Libiya (Groupe islamique libyen), mouvement interdit, Amnesty International a aujourd’hui, vendredi 13 décembre 2002, instamment prié les autorités de veiller à ce que ces personnes soient jugées équitablement et d’annuler les deux condamnations à mort prononcées en première instance.

" Le premier procès a été totalement injuste ", a affirmé l’organisation de défense des droits humains. " Les droits fondamentaux des accusés à être jugés équitablement ont été bafoués. Il faut remédier à cette injustice. "

Le procès en appel, qui s’est ouvert il y a quelques mois, doit reprendre le 14 décembre devant un tribunal populaire de Tripoli. Quatre-vingt-six des 152 hommes initialement inculpés ont été condamnés en première instance par un tribunal populaire de Tripoli, le 16 février 2002. Les 66 autres ont été acquittés. Tous avaient été arrêtés aux alentours du mois de juin 1998. Ils étaient soupçonnés d’être des partisans ou des sympathisants de Al Jamaa al Islamiya al Libiya.

Deux des accusés ont été condamnés à mort. Il s’agit de Salem Abu Hanak, père de cinq enfants, qui était directeur du département de chimie de la faculté des sciences de l’université de Qar Younes, à Benghazi, et de Abdullah Ahmed Izzedin, père de quatre enfants, qui était lecteur à la faculté d’ingénierie de l’université Al Fatih de Tripoli. Selon les informations dont dispose Amnesty International, 73 autres prévenus auraient été condamnés à l’emprisonnement à vie et 11 à une peine de dix ans d’emprisonnement. Ils seraient tous incarcérés à la prison Abu Salim de Tripoli.

" Nous prions instamment les autorités de veiller à ce que les peines de mort prononcées dans cette affaire soient levées et de suivre la tendance mondiale actuelle, qui est à l’abolition de la peine capitale ", a indiqué Amnesty International.

En avril 2002, le secrétaire du Comité populaire pour la Justice et la Sûreté générale, Muhammad al Misrati, aurait déclaré que le procès en première instance avait été " équitable ". Amnesty International estime pourtant que le nécessaire n’a pas été fait pour que, lors du procès en appel, les accusés bénéficient du droit à être jugés équitablement, qui leur a été refusé en première instance, et notamment du droit de tout prévenu à choisir son avocat et à comparaître dans le cadre d’une audience publique. Malgré les allégations de torture formulées par certains des prévenus, aucune enquête indépendante, impartiale et approfondie ne semble avoir été menée.
Plusieurs dispositions de traités internationaux relatifs aux droits humains ratifiés par la Libye ont donc été violées, et notamment celle de la Convention contre la torture, qui oblige les autorités à enquêter dans les meilleurs délais et de façon impartiale sur toute information faisant état d’actes de torture. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a également été violé, qui dispose que toute personne accusée d’une infraction pénale a droit à être jugée sans retard excessif.

Les visites des familles aux prisonniers sont sévèrement limitées depuis leur arrestation, il y a plus de quatre ans. Les accusés sont restés plus de deux ans en détention au secret, sans qu’aucune information ne filtre sur leur sort. Ils ont été privés du droit de bénéficier des conseils d’un avocat et du droit de recevoir des visites de leurs proches. Pendant le procès en première instance, qui a débuté en mars 2001, les membres des familles ont été autorisés, pendant une certaine période, à voir les accusés et à leur parler. Toutefois, selon certaines informations, les tentatives faites part la suite pour entrer en contact avec les détenus auraient été vaines et les familles n’auraient même pas été autorisées à faire parvenir des colis de nourriture et des vêtements à leurs proches emprisonnés.

Contexte
Les prévenus seraient inculpés au titre des articles 2 et 3 de la loi n°71 de 1972 et de l’article 206 du Code pénal. La loi n°71 définit les activités des partis d’une manière qui recouvre presque toutes les formes d’activités collectives fondées sur une idéologie politique contraire aux principes de la Révolution al Fatih du 1er septembre 1969. L’article 3 de la loi n°71 et l’article 206 du Code pénal disposent que " l’exécution " est le châtiment de quiconque " appelle à la création de tout groupement, organisation ou formation interdits par cette loi ", ainsi que de quiconque soutient une telle organisation ou y appartient.
Dans une allocution à la nation prononcée le 31 août 2002, le colonel Mouammar Kadhafi a affirmé qu’il n’y avait plus de prisonniers politiques en Libye et que ceux qui étaient encore en prison étaient des individus qui avaient eu recours à la violence dans l’espoir de voir triompher leur cause.
Amnesty International possède des informations détaillées concernant de nombreux cas de prisonniers politiques incarcérés depuis de longues années, dont des prisonniers d’opinion avérés et probables, qui sont toujours en prison. Parmi eux figurent des personnes détenues de façon arbitraire : certaines sont privées de liberté sans avoir jamais été ni inculpées ni jugées ; d’autres purgent de lourdes peines, auxquelles elles ont été condamnées à l’issue de procès totalement inéquitables ; d’autres encore sont toujours en détention, alors que leur libération a été ordonnée.
Amnesty International continue d’appeler les autorités libyennes à libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers d’opinion incarcérés en Libye et à veiller à ce que tous les autres prisonniers politiques, susceptibles d’avoir usé ou prôné l’usage de la violence, soient jugés dans les meilleurs délais devant un tribunal indépendant et impartial, selon une procédure conforme aux normes internationales d’équité, ou, à défaut, qu’ils soient libérés sans délai.
Amnesty International réitère ses appels au gouvernement libyen, pour qu’il prenne de toute urgence des mesures législatives et pratiques, afin de mettre la législation de la Libye et sa politique en matière de droits humains en conformité avec les traités internationaux relatifs aux droits humains auxquels ce pays est partie.

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