Les conclusions publiées ce lundi 12 novembre par l’organisation montrent que les politiques menées par les États membres de l’Union européenne (UE) pour freiner les migrations, ainsi que l’incapacité de ces États à offrir suffisamment de places de réinstallation aux réfugiés, continuent à alimenter un cercle vicieux de violations, des milliers de migrants et de réfugiés se retrouvant ainsi piégés dans des centres de détention libyens où ils vivent dans des conditions épouvantables.
« Un an après l’indignation mondiale suscitée par des séquences vidéo montrant des êtres humains achetés et vendus comme des marchandises, la situation des réfugiés et des migrants en Libye reste préoccupante », a déclaré Heba Morayef, directrice du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient à Amnesty International.
« En raison des politiques impitoyables que mènent les États de l’UE pour empêcher les arrivées sur les côtes européennes, politiques auxquelles vient s’ajouter l’insuffisance déplorable de l’aide apportée par ces États pour permettre aux réfugiés de se mettre en sécurité par des voies régulières, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants se retrouvent piégés en Libye dans des situations sans issue, exposés à de terribles violations. »
Des migrants et des réfugiés incarcérés dans des centres de détention libyens sont en effet régulièrement victimes d’actes de torture, d’extorsion et de viol.
L’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a recensé 56 442 réfugiés et demandeurs d’asile en Libye et a appelé à maintes reprises les gouvernements européens et autres à proposer des places de réinstallation aux réfugiés bloqués en Libye, notamment via une évacuation par le Niger. Toutefois, à ce jour, seules 3 886 places de réinstallation ont été promises par 12 pays et, au total, 1 096 réfugiés seulement ont été réinstallés depuis la Libye et le Niger. Les autorités italiennes ont évacué séparément 312 demandeurs d’asile de Libye directement vers l’Italie entre décembre 2017 et février 2018, mais aucune autre évacuation n’a eu lieu depuis lors.
Ces deux dernières années, les États membres de l’UE ont mis en place une série de mesures destinées à bloquer les migrations en Méditerranée centrale, en renforçant les capacités d’interception en mer des garde-côtes libyens, en concluant des accords avec des milices en Libye et en entravant le travail des ONG qui mènent des opérations de recherche et de sauvetage.
Ces mesures ont contribué à une baisse de près de 80 % du nombre de personnes arrivant en Italie après avoir traversé la Méditerranée centrale, qui est passé de 114 415 entre janvier et novembre 2017 à 22 232 à ce jour en 2018. Environ 8 000 réfugiés et migrants sont actuellement incarcérés dans des centres de détention en Libye.
Étant donné que la voie maritime de la Méditerranée centrale est presque complètement fermée, et que les autorités libyennes maintiennent illégalement les réfugiés en détention et refusent de les relâcher pour les confier à la garde du HCR, une évacuation vers un autre pays par l’intermédiaire de programmes gérés par l’ONU est la seule possibilité pour sortir des centres de détention libyens.
Pour les réfugiés, qui ne peuvent pas rentrer dans leur pays d’origine, l’insuffisance des places de réinstallation proposées par la communauté internationale fait que des milliers de personnes se retrouvent abandonnées à leur sort dans des centres de détention en Libye.
Promise depuis longtemps, l’ouverture d’un centre de traitement du HCR en Libye, qui permettrait de mettre en sécurité jusqu’à un millier de réfugiés en leur faisant quitter les centres de détention où ils sont exposés à des violations, a été reportée à maintes reprises. Ce centre serait sans aucun doute un progrès, mais il n’aiderait qu’une petite partie des réfugiés emprisonnés et ne constituerait pas une solution durable.
« Alors qu’ils font le maximum pour empêcher les traversées maritimes et aider les garde-côtes libyens à intercepter des personnes en mer et à les renvoyer dans des centres de détention tristement célèbres, les gouvernements européens échouent de manière désastreuse à proposer aux personnes qui en ont le plus besoin d’autres voies permettant de sortir du pays », a déclaré Heba Morayef.
« À l’heure où l’Europe ne parvient pas à apporter l’aide absolument indispensable pour sauver les personnes bloquées en Libye et exposées au risque de subir des violations, il est temps que les autorités libyennes assument la responsabilité de leur politique intolérable de détentions illégales et protègent les droits fondamentaux de toutes les personnes qui se trouvent sur leur territoire. »
Les affrontements armés survenus cette année à Tripoli entre août et septembre ont également rendu la situation encore plus dangereuse pour les réfugiés et les migrants. Des personnes incarcérées dans des centres de détention ont été blessées par des balles perdues. Il est également arrivé que des gardiens de centres de détention s’enfuient pour échapper à des tirs de roquette en abandonnant des milliers de détenus, sans nourriture ni eau.
La publication des conclusions d’Amnesty coïncide avec une rencontre entre des dirigeants libyens et d’autres dirigeants mondiaux dans la ville de Palerme, en Italie, les 12 et 13 novembre. L’objectif de cette conférence internationale est de trouver des solutions pour sortir de l’impasse politique en Libye. Amnesty International appelle tous les participants à la conférence à veiller à ce que les droits fondamentaux de toutes les personnes qui se trouvent dans ce pays, y compris les réfugiés et les migrants, soient au centre des négociations.