Libye. Un prisonnier d’opinion va être jugé pour avoir dénoncé des atteintes aux droits humains

Déclaration publique

ÉFAI - 2 mars 2010

À la veille du procès de Jamal el Haji devant la Cour de sûreté de l’État, Amnesty International appelle les autorités libyennes à libérer sans délai et sans condition ce prisonnier d’opinion, incarcéré uniquement pour avoir exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression.

Jamal el Haji est détenu dans la prison de Jdeida à Tripoli depuis le 9 décembre 2009. Il est inculpé d’insulte à magistrat suite à une plainte qu’il avait adressée à Mustafa Abdeljalil, secrétaire du Comité populaire général de la Justice et de la Sécurité publique, pour dénoncer les mauvais traitements subis lors de sa détention de février 2007 à mars 2009. Il y décrivait son arrestation illégale par des membres des forces de sécurité libyennes, les mauvais traitements subis en prison ainsi que les conditions d’hygiène déplorables et l’absence de traitement médical adapté, les refus de visite opposés à sa famille et à son avocat et des violations de son droit à un procès équitable. Il y critiquait également les défaillances des autorités en matière de justice ainsi que le non-respect de leurs engagements internationaux en matière de droits humains. Il réclamait l’intervention de Mustafa Abdeljalil pour faire en sorte que lui et sa famille reçoivent des réparations adéquates pour les torts subis.

Jamal el Haji avait adressé sa plainte à Mustafa Abdeljalil après sa libération de prison en mars 2009. Il avait été condamné en juin 2008 par la Cour de sûreté de l’État, à l’issue d’un procès inéquitable, à 12 années d’emprisonnement pour des accusations formulées en termes vagues allant de « tentative de renversement du système politique » à « diffusion de fausses rumeurs sur le régime libyen » et « communication avec des puissances ennemies ». Jamal el Haji avait été arrêté et jugé après la publication, sur des sites d’actualités en ligne, d’une déclaration appelant à une manifestation pacifique le 17 février 2007 pour commémorer le premier anniversaire des évènements au cours desquels 12 personnes au moins avaient été tuées et de nombreuses autres blessées par les forces de sécurité libyennes lors d’une manifestation à Benghazi, la deuxième ville du pays. Selon les informations dont nous disposons, il n’aurait pas été autorisé à recevoir de visites de sa famille pendant sa détention et n’aurait pu rencontrer son avocat en dehors de la salle d’audience.

Malgré cette incarcération illégale de plus de deux ans pour avoir tenté d’organiser une manifestation pacifique, Jamal el Haji est resté ferme dans ses positions et a critiqué le système politique libyen dans une interview accordée à la chaîne BBC World à l’occasion du 40ème anniversaire de la Révolution d’el Fateh qui a permis à Mouammar Kadhafi d’accéder au pouvoir en septembre 1969.

Le 17 février 2010, Jamal el Haji a comparu devant le Cour de sûreté de l’État où son procès devait s’ouvrir. Il a demandé le renvoi de son procès afin de pouvoir être jugé en présence de son avocat. Le procès a été repoussé au 3 mars 2010. Selon les informations dont dispose Amnesty International, son avocat n’a pas été autorisé à le rencontrer en prison, ce qui remet en cause le droit de Jamal el Haji à une défense adéquate, inscrit à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) auquel la Libye est État partie.

Jamal el Haji avait reçu le 5 novembre 2009 une convocation du parquet de la Sûreté de l’État, suite à la plainte qu’il avait adressée à Mustafa Abdeljalil. À l’époque, aucune charge n’avait été retenue contre lui à l’issue de son interrogatoire. Dans la soirée du 8 décembre 2009, il avait été sommé par téléphone de se présenter le lendemain à 9h00 au parquet de la Sûreté de l’État pour un interrogatoire. Il s’y était rendu comme on le lui avait demandé et avait été transféré de là à la prison de Jdeida.

Le 11 décembre, Libya al Youm, un site d’actualité en ligne basé à l’étranger mais avec des correspondants en Libye, a reproduit un texte du procureur général concernant la détention de Jamal el Haji. Dans ce texte, il affirmait que les plaintes transmises par Jamal el Haji à Mustafa Abdeljalil concernant son traitement en détention n’étaient pas fondées et constituaient donc une infraction au titre de l’article 195(2) du Code pénal relatif à l’outrage aux institutions publiques. Dans son texte, le procureur général faisait observer que l’enquête menée par ses services, qui avait inclus une visite à la prison d’Ain Zara où Jamal el Haji était détenu, une étude de son dossier médical et des entretiens avec le directeur de la prison d’Ain Zara et d’un ancien co-détenu, avait conclu au manque de preuve à l’appui des allégations de Jamal el Haji.

Amnesty International appelle les autorités libyennes à abandonner les poursuites contre Jamal el Haji et à le libérer immédiatement sans condition. L’organisation est particulièrement préoccupée par la décision des autorités libyennes, qui ont choisi de poursuivre en justice Jamal el Haji pour s’être plaint d’atteintes aux droits humains plutôt que d’ouvrir une enquête en bonne et due forme sur sa plainte pour mauvais traitements. La situation de Jamal el Haji est un avertissement sévère adressé à ceux qui se plaignent d’atteintes aux droits humains qu’ils s’exposent à des poursuites et une détention arbitraire.

Complément d’information

Le droit à la liberté d’expression est extrêmement restreint en Libye, aussi bien en droit qu’en pratique. Un certain nombre de dispositions du Code pénal libyen limitent drastiquement le droit à la liberté d’expression et sont utilisées à des fins répressives contre les personnes soupçonnées de s’opposer au régime politique actuel ou de le critiquer. L’article 1 de la Loi n° 76 de 1972 sur les publications autorise la liberté d’expression, mais seulement dans la mesure où elle reste « dans le cadre des principes, valeurs et objectifs de la société » et impose des restrictions sévères à la liberté de la presse et des médias. Par exemple, l’émission « Bonsoir Benghazi » qui traitait de sujets d’intérêt public tels que la corruption ou les faits qui se sont produits à la prison d’Abu Salim en 1996, n’est plus diffusée depuis le 14 février 2010. Les journalistes de l’émission, dont quatre ont été brièvement interpellés le 16 février, sont toujours interdits d’entrée à la maison de la radio de Benghazi d’où le programme était diffusé quotidiennement avant sa suspension.

Le tribunal et le parquet de la Sûreté de l’État ont été créés en août 2007. Le parquet de la Sûreté de l’État est chargé d’enquêter sur les crimes contre la sûreté de l’État, ainsi que sur les activités politiques interdites, et de poursuivre leurs auteurs présumés. En 2007, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a fait part de son inquiétude concernant la Cour de sûreté de l’État, faisant observer que la nécessité d’un tel tribunal et son mandat n’apparaissaient pas clairement et a appelé la Libye à veiller à ce que tous les droits et garanties au titre de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques soient respectés.

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