Maldives : La suspension de 56 avocats doit être immédiatement annulée

Les Maldives doivent immédiatement réintégrer 56 avocats qui ont été suspendus pour des raisons politiques, ce qui a eu pour effet de réduire de moitié le nombre d’avocats pénalistes exerçant dans le pays et d’un tiers l’ensemble des juristes au niveau national, et de priver l’opposition politique d’assistance et de représentation juridiques.

Lançant une offensive implacable contre l’état de droit, le Département de l’administration judiciaire (DJA) des Maldives, placé sous le contrôle de la Cour suprême, a interdit à 54 avocats d’exercer leur profession dans quelque juridiction que ce soit. Ces suspensions viennent manifestement sanctionner une pétition que ces avocats ont tenté de remettre aux autorités, dans laquelle ils exprimaient de profondes inquiétudes vis-à-vis du système judiciaire – notamment en ce qui concerne le manque d’impartialité de la justice, l’iniquité des procès et le manque de surveillance. Deux avocats avaient déjà été suspendus par le DJA pour des raisons similaires.

Actuellement, un tiers de l’ensemble des juristes et la moitié de l’ensemble des avocats pénalistes ne peuvent plus défendre leurs clients. L’une des conséquences les plus manifestes de cette décision est que l’opposition politique se trouve privée d’assistance et de représentation juridiques. Plusieurs membres de l’opposition maldivienne ont été emprisonnés à l’issue de procès manifestement entachés d’irrégularités, après avoir été accusés d’infractions forgées de toutes pièces, allant de l’intrusion (pour être entrés dans le Parlement) aux infractions à la législation antiterroriste.

Le DJA soutient que les avocats ont été suspendus parce qu’ils faisaient l’objet d’une enquête pour avoir « entravé l’indépendance du pouvoir judiciaire et l’indépendance des juges en formant un groupe et en se réunissant illégalement devant la Cour suprême, fait des commentaires sur les devoirs des autorités judiciaires, et tenté d’influer sur les tribunaux en rédigeant et en signant un document illégal remettant en cause la compétence, les procédures et les décisions des tribunaux ».

Les motifs invoqués par le DJA font peu de cas des droits des avocats à la liberté d’association, de réunion pacifique et d’expression, tous protégés par le droit international relatif aux droits humains, que les Maldives sont juridiquement tenues de respecter.

Loin de promouvoir l’indépendance de la justice, le DJA est un outil flexible pour les autorités maldiviennes, qui manipulent cyniquement le système judiciaire afin de servir des objectifs politiques et d’empêcher les avocats de mener leurs activités légitimes en défendant leurs clients.

Au nombre des avocats actuellement suspendus figurent l’ancien procureur de la République, Husnu Suood, ainsi qu’un ancien commissaire aux droits humains, un ancien secrétaire aux affaires juridiques de la Présidence, un ancien solliciteur général, un ancien procureur général adjoint et des membres de l’opposition politique. Toute l’équipe de défense de l’ancien président Mohamed Nasheed, du chef de l’opposition Gasim Ibrahim, du Parti démocratique maldivien et du Parti commun de l’opposition a été réduite à néant. Les avocats défendant des victimes d’atteintes aux droits humains, y compris le journaliste « disparu » Ahmed Rilwan et le blogueur assassiné Yameen Rasheed, ne peuvent plus demander justice pour leurs clients.

Avec ces suspensions, la quasi-totalité des avocats travaillant sur des questions liées aux droits humains et à l’état de droit ne peuvent plus exercer. Les suspensions auront un effet dissuasif sur tous les avocats indépendants qui sont encore en mesure de défendre leurs clients devant les tribunaux. La conséquence principale, pour un très grand nombre de personnes aux Maldives, est une privation du droit d’être défendu efficacement par un conseil, protégé par l’article 14 (3)(d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, instrument auquel les Maldives sont parties et qu’elles sont par conséquent tenues de respecter.

De plus, le Département de l’administration judiciaire travaillant sous l’autorité directe de la Cour suprême, ces avocats ne disposent d’aucune voie de recours. Dans des cas similaires de suspension d’avocats par le DJA, les juridictions inférieures ont estimé qu’elles ne pouvaient pas réexaminer les décisions administratives de cette instance, car celles-ci revêtissaient l’autorité d’une décision de la Cour suprême.

La situation des avocats aux Maldives s’est considérablement détériorée ces dernières années. À l’issue d’une visite en février 2013, Gabriela Knaul, rapporteuse spéciale des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats, a souligné les répercussions néfastes des problèmes suivants : graves lacunes du système judiciaire, dénaturation des concepts d’indépendance du pouvoir judiciaire et de responsabilité, doutes quant aux procédures de sélection et de nomination des juges, manque de transparence et d’efficacité de la Commission de la magistrature, absence de protection des acteurs judiciaires, précarité de la situation des femmes dans le système judiciaire, effets durables de l’impunité pour les violations des droits humains commises par le passé et manque de confiance de la population dans le système judiciaire.

Le rapport indiquait également que la disposition conférant à l’exécutif le pouvoir d’adopter des mesures disciplinaires était contraire aux Principes de base des Nations unies relatifs au rôle du barreau. Les avocats, comme tous les autres citoyens, doivent jouir de la liberté d’expression. En particulier, ils ont le droit de prendre part à des discussions publiques portant sur le droit, l’administration de la justice et la promotion et la protection des droits de l’homme sans subir de restrictions professionnelles, a souligné la rapporteuse spéciale.

Au lieu de tenir compte des recommandations de la rapporteuse spéciale, les autorités maldiviennes ont poursuivi leur offensive contre la profession juridique. Amnesty International demande à la Cour suprême d’annuler immédiatement la suspension des 56 avocats, d’accepter leur pétition exprimant des inquiétudes quant à l’indépendance de la magistrature, et de respecter et protéger les droits de tous les avocats à la liberté de réunion pacifique, d’expression et d’association.

Pour que le système judiciaire maldivien soit digne de ce nom, les autorités maldiviennes doivent adopter des réformes à même de protéger efficacement l’indépendance du pouvoir judiciaire et celle des avocats, notamment en créant un barreau indépendant et en renforçant la capacité jusqu’ici faible du mécanisme de surveillance judiciaire. Le gouvernement maldivien ne saurait continuer à recourir à ces pratiques brutales et répressives, qui réduisent l’ensemble du pouvoir judiciaire et du système pénal à un simple instrument qu’il peut plier à ses caprices politiques.

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