Maroc et Sahara occidental. Un avocat spécialisé dans les droits humains est menacé de mesures disciplinaires

Déclaration publique

Index AI : MDE 29/012/2008

Amnesty International est préoccupée par le fait que l’avocat de renom Taoufik Moussaif risque de faire l’objet d’une décision disciplinaire qui pourrait être liée à son travail dans le domaine des droits humains, et viser à l’intimider ou le dissuader de poursuivre ses activités. L’avocat doit comparaître ce jeudi 24 juillet devant la Cour d’appel de Rabat pour répondre de l’accusation de faute pour avoir commenté une affaire en cours d’instruction. Amnesty International demande instamment que les charges retenues contre lui soient abandonnées s’il est pris pour cible en raison de son action en faveur des droits humains.

Taoufik Moussaif est accusé de n’avoir pas respecté la Loi n° 1.93.162 organisant l’exercice de la profession d’avocat, et en particulier les articles 12 et 36 de ce texte. Ceux-ci disposent, respectivement, qu’un avocat doit « ne rien dire ni publier qui soit contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l’état et à la paix publique » et « respecter le secret de l’instruction en matière pénale et s’abstenir de communiquer tout renseignement pris des dossiers ou de publier des pièces, documents ou lettres intéressant une information en cours » . L’accusation dont fait l’objet Taoufik Moussaif concerne deux articles publiés dans le journal Annahar Al Maghribia les 19 et 20 août 2006 sous les titres « L’avocat d’Ansar Al Mehdi considère que le dossier est forgé de toutes pièces » et « Cette affaire est forgée de toutes pièces », qui incluaient des propos attribués à Taoufik Moussaif.

Les articles avaient été publiés à la suite d’une interview donnée par Taoufik Moussaif, dans laquelle il se disait préoccupé par le fait que l’un de ses clients, Badr Bouziki, soupçonné de terrorisme, avait été torturé et soumis à d’autres formes de mauvais traitements en garde à vue. L’avocat s’était également demandé sur quelles bases légales s’étaient fondées les autorités marocaines pour impliquer Badr Bouziki dans l’affaire du « Jammat Ansar El Mehdi », décrit par le ministre de l’Intérieur comme un groupe terroriste armé. Plus de 50 membres présumés du groupe ont été arrêtés en août 2006 et accusés de planifier des attentats terroristes contre des sites touristiques, des installations gouvernementales stratégiques et des installations appartenant à des étrangers.

Il était écrit dans les articles du journal Annahar Al Maghribia que Taoufik Moussaif avait qualifié l’affaire du « Jammat Ansar Al Mehdi » de forgée de toutes pièces. Taoufik Moussaif considère que ce n’est ce qu’il a dit, et quelques jours à peine après la publication des articles il a écrit au journal pour le faire savoir. Il maintient que sa responsabilité légale n’est pas engagée en ce qui concerne la mauvaise interprétation par le journal de ses propos et de ses clarifications.

Le procureur du roi a malgré tout demandé qu’une mesure disciplinaire soit prise à l’encontre de Taoufik Moussaif pour non-respect du code régissant la profession d’avocat. L’affaire a été soumise au Conseil du barreau de Rabat qui a décidé le 3 octobre 2006 de clore l’affaire. Dans sa décision, le Conseil déclarait que Taoufik Moussaif n’avait diffusé aucune information devant être tenue secrète dans le cadre d’une enquête en cours. Le Conseil a également conclu que les articles du journal avaient déformé les propos de Taoufik Moussaif.

Le procureur du roi a fait appel de la décision du Conseil auprès de la Cour d’appel de Rabat le 9 novembre 2006, en demandant que Taoufik Moussaif soit soumis aux termes de l’article 60 de la loi organisant l’exercice de la profession d’avocat à l’une des quatre sanctions disciplinaires prévues : l’avertissement ; le blâme ; la suspension, laquelle ne peut excéder trois années, ou la radiation du tableau des avocats.

Amnesty International craint que Taoufik Moussaif ne fasse l’objet d’une décision disciplinaire en raison de son travail en tant qu’avocat spécialisé dans les droits humains. Cet homme a assuré la défense de nombreuses personnes soupçonnées ou accusées d’infractions liées au terrorisme et a dénoncé publiquement le recours très répandu à la torture et aux autres formes de mauvais traitements dans ces affaires, ainsi que le non-respect du droit à un procès équitable.

Les Principes de base des Nations unies relatifs au rôle du barreau soulignent à quel point il est important que les avocats puissent évoquer librement les droits humains. Le principe 14 dispose : « En protégeant les droits de leurs clients et en promouvant la cause de la justice, les avocats doivent chercher à faire respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales reconnus par le droit national et international et agissent à tout moment librement et avec diligence, conformément à la loi et aux normes reconnues et à la déontologie de la profession d’avocat ». Le principe 23 dispose : « Les avocats, comme tous les autres citoyens, doivent jouir de la liberté d’expression [...] En particulier, ils ont le droit de prendre part à des discussions publiques portant sur le droit, l’administration de la justice et la promotion et la protection des droits de l’homme [...] ».

Amnesty International considère que l’intimidation des avocats qui expriment leur point de vue sur les affaires qui les concernent, y compris si elles portent sur des violations des droits humains, est contraire au devoir qu’ont les États de protéger la profession d’avocat. Amnesty International appelle les autorités marocaines à protéger les avocats contre toute manœuvre d’intimidation et de harcèlement, conformément au droit international et aux normes internationales. Le Principe 16 des Principes de base relatifs au rôle du barreau prévoit que « les pouvoirs publics veillent à ce que les avocats […] ne fassent pas l’objet, ni ne soient menacés de poursuites ou de sanctions économiques ou autres pour toutes mesures prises conformément à leurs obligations et normes professionnelles reconnues et à leur déontologie ».

Complément d’information

La Loi relative à la lutte contre le terrorisme promulguée au Maroc en mai 2003 ne protège pas de manière adéquate les droits des personnes soupçonnées de terrorisme. Elle étend la période de garde à vue dans les affaires de « terrorisme » à douze jours et limite les contacts entre les détenus et leurs avocats, accroissant de ce fait leur vulnérabilité aux actes de torture et autres formes de mauvais traitements. Des centaines d’islamistes avérés ou présumés ont été arrêtés ces dernières années parce qu’ils étaient soupçonnés d’appartenir à des « groupes criminels » ou de planifier ou mener des actions violentes ; un très grand nombre d’entre eux ont été torturés ou soumis à d’autres mauvais traitements. Nombre de ces personnes ont été reconnues coupables sur la base de preuves obtenues sous la torture ou d’autres mauvais traitements, avant d’être condamnées à de longues peines d’emprisonnement ou, dans au moins douze affaires, à la peine capitale. L’utilisation de la torture et des autres formes de mauvais traitements semble avoir diminué depuis 2005, mais les autorités marocaines n’ont rien fait pour que les responsables de ces agissements soient tenus de rendre des comptes. Dans la grande majorité des cas où une plainte a été déposée concernant des actes de torture ou d’autres formes de mauvais traitements, l’enquête n’a pas été ouverte ou a été close sans qu’une réelle investigation n’ait été menée, ou n’a pas donné lieu à des poursuites contre les auteurs de ces violences.

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