Cinquante ans se sont écoulés depuis l’enlèvement et la disparition forcée à Paris du dirigeant d’opposition marocain Mehdi Ben Barka et Amnesty International continue d’exprimer sa solidarité à l’égard de sa famille et des organisations marocaines de défense des droits humains qui cherchent à obtenir justice, vérité et réparation. L’organisation appelle les autorités françaises et marocaines à ne pas ménager leurs efforts pour que des enquêtes exhaustives et impartiales soient menées sur sa disparition, à la lumière des récentes révélations. Amnesty International exhorte les autorités françaises à déclassifier toutes les informations qu’elles détiennent sur Mehdi Ben Barka, et les autorités marocaines à coopérer entièrement en ce qui concerne l’enquête actuellement en cours, afin qu’émerge la vérité et qu’il soit mis un terme à l’impunité. De plus, Amnesty International rappelle qu’aux termes de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, la France et le Maroc, en tant qu’États parties à ce traité, sont tenus de poursuivre les investigations jusqu’à ce que toute la lumière soit faite sur ce qu’il est advenu de la personne disparue.
Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka a été enlevé devant un restaurant à Paris et soumis à une disparition forcée. Les autorités marocaines l’avaient condamné à mort par contumace l’année précédente parce qu’elles l’accusaient d’avoir comploté contre le roi Hassan II.
En juin 1967, une juridiction française a reconnu coupables de cet enlèvement plusieurs personnes, dont le ministre marocain de l’Intérieur de l’époque, le général Mohammed Oufkir, qui a été condamné par contumace à une peine de réclusion à perpétuité, mais elle n’a pas fait la lumière sur ce qu’il est advenu de Mehdi Ben Barka. Une enquête ouverte en 1975 par la France sur sa disparition est toujours en cours 40 ans après les faits. C’est la plus longue enquête jamais menée par la France.
Les principaux obstacles semblent être les difficultés d’accès aux informations classées secrètes détenues par les autorités françaises, ainsi qu’aux témoins et aux suspects au Maroc, et au « PF3 » (Point Fixe 3), un ancien centre de détention situé à Rabat, la capitale du pays, où se trouveraient une partie des restes du dirigeant d’opposition, comme le suggère le juge d’instruction à la retraite Patrick Ramaël dans ses mémoires récemment publiés. En juillet 2015, un juge d’instruction français a déposé une nouvelle demande en vue de mener des recherches dans ce site, sans succès jusqu’à ce jour, selon des informations diffusées dans les médias. Il aurait aussi déposé une requête en vue d’interroger un témoin en Israël qui a fait des révélations au début de l’année au sujet de l’implication du Mossad dans cette disparition.
Par ailleurs, les autorités marocaines n’ont toujours pas mené d’enquête officielle afin d’élucider cette affaire. Même après la mort du roi Hassan II, la disparition forcée de Mehdi Ben Barka a fait partie des cas que l’Instance équité et réconciliation (IER), l’organe de justice transitionnelle marocain, et son Comité de suivi n’ont pas résolu.
En outre, l’IER n’a pas été en mesure d’identifier les personnes soupçonnées d’être pénalement responsables des graves violations des droits humains commises au Maroc et au Sahara occidental qui ont caractérisé la période appelée les « années de plomb », entre l’indépendance du pays en 1956 et la fin du règne du roi Hassan II en 1999. L’organe de justice transitionnelle n’a pas demandé que les personnes soupçonnées d’être responsables soient amenées à répondre de leurs actes, bien qu’il ait recommandé une stratégie nationale de lutte contre l’impunité, qui 10 ans après attend toujours d’être mise en place.
À la suite de sa visite au Maroc en septembre 2012, le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, a recommandé aux autorités marocaines d’ouvrir une enquête judiciaire sur « tous les cas de violations commises par le passé pendant les "années de plomb" (1956-1999) révélées par l’Instance équité et réconciliation ». Or, les tribunaux marocains n’ont pas encore amené les personnes soupçonnées d’être responsables des violations flagrantes des droits humains commises pendant les « années de plomb », notamment la disparition forcée de Mehdi Ben Barka, à rendre des comptes.
Les autorités marocaines ont ratifié la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées en 2013, mais elles n’ont pas reconnu la compétence du Comité des disparitions forcées pour recevoir et examiner les communications présentées par des victimes ou en leur nom ou par d’autres États parties, ni transposé la Convention dans leur législation nationale jusqu’à présent, même si le gouvernement a proposé des amendements législatifs à cet égard. Le premier rapport de l’État partie sur les mesures prises en vue de donner effet aux engagements souscrits au titre de la Convention n’avait pas encore été présenté en juin.