Communiqué de presse

Maroc. Un rédacteur en chef indépendant est incarcéré en raison de la couverture accordée à une vidéo d’Al Qaïda

La décision des autorités marocaines de placer le journaliste et rédacteur en chef Ali Anouzla en détention constitue une attaque contre les médias indépendants du pays, et il convient de relâcher cet homme immédiatement et sans condition, a déclaré Amnesty International mercredi 18 septembre.

Des policiers en civil ont arrêté Ali Anouzla à son domicile à Rabat tôt mardi 17 septembre, peu après que Lakome, son site arabophone d’information au ton très libre, ait publié un article consacré à une vidéo diffusée par le groupe armé Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Il n’a encore été inculpé d’aucune infraction.

« Nous craignons qu’Ali Anouzla ne soit sanctionné en raison de l’indépendance éditoriale de Lakome et des critiques des politiques gouvernementales qui sont faites sur ce site, ce qui serait le signe d’une régression inquiétante pour la liberté d’expression au Maroc. Cet homme est un prisonnier d’opinion et il doit être relâché sans délai ni condition », a affirmé Philip Luther, directeur adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

Quand les policiers ont appréhendé Ali Anouzla mardi 17 septembre, ils ont fouillé son logement et confisqué des livres et des documents, ainsi que son ordinateur personnel. Ils l’ont ensuite emmené dans les bureaux de Lakome, où ils ont également saisi plusieurs articles dont des composants d’ordinateurs, selon des journalistes qui étaient présents sur place.

Mardi 17 septembre, le procureur général du roi à Rabat a diffusé une déclaration publique annonçant qu’il avait ordonné l’arrestation du rédacteur en chef.

D’après ce communiqué, l’arrestation d’Ali Anouzla était en relation avec la publication par Lakome de la vidéo d’AQMI intitulée Maroc : royaume de la corruption et du despotisme. Le procureur affirme que la vidéo comporte « un appel clair et une incitation directe à commettre des actes terroristes dans le Royaume du Maroc ».

En réalité, l’article en question sur Lakome critiquait la vidéo du groupe armé ; il ne cautionnait pas les appels lancés, et il est impossible de l’interpréter de cette manière. Lakome n’a pas republié la vidéo elle-même, mais fourni un lien vers un article paru sur le site Internet du journal espagnol El País, dans lequel figurait cette vidéo.

Le ministère marocain de la Justice a annoncé mardi 17 septembre qu’il a par ailleurs l’intention de poursuivre El País pour avoir rendu cette séquence publique.

Ali Anouzla n’a pas encore été inculpé, mais Amnesty International craint qu’il ne soit poursuivi en vertu de la Loi marocaine relative à la lutte contre le terrorisme, qui bafoue les garanties d’équité des procès et d’autres droits fondamentaux. Ses avocats ont indiqué à Amnesty International qu’ils ont reçu l’autorisation de lui rendre visite en détention vendredi 20 septembre.

La législation marocaine ne fournit pas de garanties suffisantes pour les suspects dans les affaires de terrorisme. Le « terrorisme »y est défini en termes vagues, et une modification apportée au Code pénal prolonge la durée maximale de la garde à vue pour les suspects de terrorisme, la portant à 12 jours. Elle étend par ailleurs à six jours la période pendant laquelle ils peuvent être privés de contact avec leur avocat. Ces changements exposent les détenus à des violations des droits humains, notamment la torture et d’autres formes de mauvais traitements, et portent atteinte à leur droit de bénéficier d’une défense adéquate.

« Les journalistes ne doivent jamais être emprisonnés simplement pour avoir exercé leur activité professionnelle légitime », a poursuivi Philip Luther.

« La perspective qu’Ali Anouzla fasse l’objet d’un procès inique sur la base d’accusations de terrorisme est extrêmement inquiétante et pourrait avoir un effet paralysant sur la liberté d’expression au Maroc. »

Contexte national

L’arrestation d’Ali Anouzla survient dans un contexte où les journalistes émettant des critiques à l’égard des autorités marocaines se trouvent en butte à des manœuvres de harcèlement et d’intimidation.

Le 17 juin 2013, les autorités marocaines ont déclaré le journaliste Youssef Jajili, rédacteur en chef du magazine Al An, coupable de diffamation et l’ont condamné à deux mois de prison avec sursis.

Omar Brouksy, un reporter de l’Agence France Presse, a été frappé par des policiers en août 2012 pour avoir couvert une manifestation organisée par l’opposition contre une cérémonie traditionnelle d’allégeance au roi.

Deux mois plus tard, le ministère de la Communication lui a retiré son accréditation après qu’il ait publié un article expliquant que des « candidats proches du palais royal » participaient aux élections législatives pour remporter des sièges parlementaires à Tanger.

À ce jour, aucune enquête n’a été ouverte sur l’agression dont Omar Brouksy a été victime et, faute d’accréditation, il ne peut travailler comme journaliste dans son propre pays.

Parallèlement, le Code de la presse en vigueur au Maroc continue à ériger en infraction l’expression pacifique lorsqu’il est considéré que celle-ci est diffamatoire ou porte atteinte au régime monarchique, à l’intégrité territoriale du Maroc ou à la religion islamique.

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