Le président mexicain Enrique Peña Nieto doit mettre en œuvre sans délai des mesures concrètes pour remédier aux problèmes de droits humains les plus urgents, notamment aux violations commises dans le contexte de la crise de sécurité publique, écrit Amnesty International dans une lettre ouverte.
D’après les recherches menées par l’organisation, les atteintes aux droits fondamentaux telles que les disparitions forcées, la torture, les détentions arbitraires et les difficultés d’accès à la justice sont devenues courantes sous le gouvernement précédent.
« Nous saluons le discours positif du président Peña Nieto concernant les droits humains, notamment son engagement de faire adopter la loi générale sur les victimes et de réformer les lois érigeant en infraction les disparitions forcées. Cependant, les promesses et les bonnes intentions ne suffiront pas à empêcher ni à éradiquer les violations des droits humains », a déclaré Javier Zúñiga, conseiller spécial pour Amnesty International.
« En tant que chef d’état-major des forces armées, la première initiative importante que pourrait prendre le président serait d’enjoindre à ses troupes de respecter les droits humains, sans quoi elles seront amenées à répondre de leurs actes. »
En réponse à une lettre qu’Amnesty International avait adressée aux candidats pendant l’élection, Enrique Peña Nieto s’était engagé à prendre un certain nombre de mesures politiques s’il était élu.
« Nous tenons à rappeler au président nouvellement élu les promesses qu’il a faites pendant sa campagne. Nous attendons des actions concrètes de sa part, notamment la création d’un programme de défense des droits humains, élaboré en collaboration avec l’ensemble des acteurs concernés de la société civile, y compris les autorités judiciaires, les autorités locales et les défenseurs des droits humains. Ce programme doit prévoir des propositions concrètes visant à juguler la crise des droits humains au Mexique », a ajouté Javier Zúñiga.
« Le Mexique n’a plus le temps d’attendre. Enrique Peña Nieto ne doit pas à son tour gâcher ses six années de présidence en adoptant des politiques qui se sont déjà avérées désastreuses en matière de droits humains, ni alourdir le bilan des victimes légué par son prédécesseur Felipe Calderón. »
Dans sa lettre, Amnesty International recense un certain nombre de problèmes auxquels le nouveau président doit remédier en priorité afin de renforcer le respect et la protection des droits fondamentaux au Mexique, notamment dans les domaines suivants :
Sécurité publique : les violations des droits humains commises par les forces de police et de sécurité dans le cadre des opérations de lutte contre le crime organisé se sont généralisées au cours des dernières années, tout comme l’absence d’enquêtes effectives sur ces agissements. La décision du président Peña Nieto de soutenir l’adoption de la loi générale sur les victimes constitue une reconnaissance importante des droits des milliers de victimes de la violence. Cependant, toutes les initiatives prises dans le domaine de la sécurité publique doivent avoir pour objectif de protéger les droits humains et de garantir la justice dans la pratique, et pas seulement en théorie.
Justice militaire : la mobilisation de plus de 50 000 soldats de l’armée de terre et de la Marine pour exercer des missions de maintien de l’ordre a entraîné une forte augmentation du nombre de signalements de violations des droits humains. Ces affaires ont été traitées par le système judiciaire militaire, ce qui a eu pour effet systématique de priver de justice les victimes. La Cour suprême du Mexique a récemment fait un pas dans la bonne direction en décidant de retirer aux tribunaux militaires des affaires de violations des droits humains qui leur avaient été confiées. Cependant, le Code judiciaire militaire doit être réformé pour garantir que toutes les violations présumées fassent l’objet d’enquêtes et soient jugées par des tribunaux civils.
Défenseurs des droits humains : le président doit clarifier l’engagement du gouvernement de financer et de soutenir pleinement le nouveau mécanisme de protection mis en place en collaboration avec des organisations de défense des droits humains et des associations de journalistes. Le nouveau gouvernement doit également veiller à ce que des enquêtes soient véritablement menées sur les attaques et les actes d’intimidation dont sont victimes les défenseurs des droits humains et les journalistes, notamment lorsque des fonctionnaires de l’État sont impliqués.
Migrants : le président Peña Nieto doit mettre en place de nouvelles mesures pour mettre fin à la vague d’homicides, de disparitions, de viols et d’autres violations des droits humains commises à l’encontre des migrants par des bandes criminelles qui, souvent, agissent avec la complicité de représentants de l’État.
Torture : la torture et les mauvais traitements sont devenus des pratiques courantes sous le gouvernement de Felipe Calderón. Les informations obtenues sous la torture sont toujours recevables devant les tribunaux, et rares sont les plaintes qui donnent lieu à des enquêtes exhaustives. La proposition de réforme du cadre juridique visant à lutter contre la torture au niveau fédéral et des États est un signe encourageant. Cependant, la mise en œuvre de mesures et de politiques concrètes reste la première étape incontournable vers la fin de la torture.
Disparitions : la fréquence des enlèvements et des disparitions est alarmante, tout comme l’absence d’enquêtes dans la plupart des affaires. La proposition de réforme de la justice en vue de lutter contre les disparitions forcées va dans le bon sens, mais elle doit être conforme aux normes internationales en matière de droits humains. De plus, le gouvernement doit prendre des mesures plus rigoureuses pour garantir que toutes les allégations d’enlèvement feront l’objet d’enquêtes approfondies, en établissant notamment une base de données nationale pour faciliter l’identification et la localisation des victimes.
Système judiciaire : plus de 98 % des crimes, dont des violations des droits humains, restent impunis aux Mexique. Les autorités doivent veiller à ce que la réforme de la justice en cours renforce la capacité et la fiabilité du système judiciaire, afin de garantir que les responsables présumés répondent de leurs actes et que les droits des victimes et des personnes accusées soient protégés.
Violence contre les femmes : les progrès législatifs récemment accomplis dans ce domaine ne se sont pas traduits par une réduction du nombre de cas de violences contre les femmes. Si le président s’est engagé auprès d’Amnesty International à lutter contre ce problème, il est inquiétant de constater qu’aucune mesure concrète en ce sens ne figure dans le Pacte pour le Mexique. Le gouvernement doit jouer un rôle de premier plan pour faire respecter les droits des femmes, prévenir les violences dont elles sont victimes, mener des enquêtes sur ces actes et punir leurs auteurs.
Peuples indigènes : l’engagement que le président Peña Nieto à pris de lutter contre la discrimination à l’égard de cette population parmi la plus marginalisée est un signal positif. Cependant, il faudra veiller à ce que, dans le cadre de toutes les politiques adoptées à l’avenir, les communautés indigènes soient au cœur des décisions concernant leur propre développement et que leurs droits soient respectés.
Cour interaméricaine des droits de l’homme : le gouvernement du président Peña Nieto doit se conformer à la décision contraignante rendue contre le Mexique par la Cour interaméricaine des droits de l’homme sous le gouvernement précédent.