« À l’approche du septième anniversaire de la crise des Rohingyas, la situation désastreuse dans l’État d’Arakan semble familière. Des hommes, des femmes et des enfants rohingyas sont tués, des villes et des villages se vident, et les vestiges de l’histoire et de l’identité de ce peuple sont endommagés. Beaucoup cherchent à nouveau refuge dans des camps de réfugié·e·s de l’autre côté de la frontière, au Bangladesh, où les conditions économiques, de sécurité et de subsistance se dégradent, a déclaré Joe Freeman, chercheur sur le Myanmar à Amnesty International.
« Soumis à une campagne de violence brutale et systématique en août 2017 après des décennies de persécution soutenue par l’État, les civil·e·s rohingyas sont aujourd’hui pris au piège d’un conflit qui s’intensifie dans l’État d’Arakan entre l’Armée d’Arakan (AA) et l’armée du Myanmar, qui a enrôlé de force des Rohingyas pour combattre à ses côtés. »
« L’armée du Myanmar doit mettre un terme à sa nouvelle campagne de violence »
L’armée a réagi aux pertes sur le champ de bataille en lançant des attaques aériennes dévastatrices qui ont tué des civil·e·s rohingyas et rakhines. Elle a ciblé des zones civiles, détruisant des habitations, des marchés et d’autres infrastructures.
« L’armée du Myanmar doit mettre un terme à sa nouvelle campagne de violence et s’abstenir de toute attaque illégale contre la population, qui paie le prix fort du conflit dans l’État d’Arakan, mais aussi dans tout le pays, où des millions de personnes sont déplacées », a déclaré Joe Freeman.
Au fur et à mesure qu’elle progresse dans l’État d’Arakan et s’empare de territoires, l’Armée d’Arakan est également visée par de multiples allégations d’atrocités.
« La communauté internationale doit intensifier sa pression sur l’Armée d’Arakan pour qu’elle respecte le droit international humanitaire. Toutes les allégations de crimes de guerre perpétrés par l’armée du Myanmar ou par des groupes armés dans le pays doivent faire l’objet d’enquêtes efficaces », a déclaré Joe Freeman.
L’avancée de l’Armée d’Arakan sur la ville de Buthidaung, dans le nord de l’État d’Arakan, aurait provoqué d’importants incendies le 17 mai dernier, obligeant des milliers de Rohingyas à partir. Le 5 août, une attaque que les victimes imputent à l’Armée d’Arakan a tué un nombre inconnu de civil·e·s rohingyas fuyant la ville de Maungdaw, près de la frontière avec le Bangladesh. L’Armée d’Arakan nie avoir attaqué les Rohingyas.
« Ce conflit qui dégénère rapidement doit inciter le Conseil de sécurité des Nations unies à saisir enfin la Cour pénale internationale (CPI) de la situation au Myanmar. Aucune avancée ne sera possible sans obligation de rendre des comptes. L’avenir du Myanmar dépend de la protection, de la promotion et du respect des droits fondamentaux de tous dans le pays, a déclaré Joe Freeman.
« Cela suppose de supprimer les lois ou politiques discriminatoires employées pour cimenter le système d’apartheid à l’égard de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants rohingyas dans l’État d’Arakan et de rétablir leurs droits à la santé, à l’éducation et à la liberté de circulation. »
« Le nouveau gouvernement intérimaire du Bangladesh doit accorder la priorité à la protection des droits fondamentaux des réfugié·e·s rohingyas »
Pendant ce temps, le Bangladesh continue d’accueillir plus d’un million de réfugié·e·s rohingyas dans des camps, dans des conditions de vie déplorables, pour la septième année consécutive. L’an dernier, au moins 12 000 d’entre eux se sont retrouvés sans abri en raison d’incendies destructeurs et de l’impact du cyclone Mocha. Du fait des graves déficits de financement, l’insécurité alimentaire règne dans les camps, ainsi que le manque de soins et d’éducation.
« Le nouveau gouvernement intérimaire du Bangladesh doit accorder la priorité à la protection des droits fondamentaux des réfugié·e·s rohingyas et à leur sécurité dans les camps, respecter le principe de non-refoulement et adopter une politique respectueuse des droits à l’égard des Rohingyas », a déclaré Joe Freeman.
Complément d’information
Le 25 août 2017, les forces de sécurité du Myanmar ont lancé une offensive généralisée et systématique contre des villages rohingyas, en riposte aux attaques meurtrières menées contre des postes de police par l’Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan (ARSA), un groupe armé. L’Arakan est un État où la majorité des habitants appartiennent à l’ethnie rakhine.
La riposte militaire s’est traduite par des exécutions extrajudiciaires, la destruction de biens et des agressions sexuelles. Conséquence des « opérations de nettoyage » menées par l’armée, plus de 740 000 hommes, femmes et enfants rohingyas ont fui le nord de l’État d’Arakan vers le Bangladesh voisin. Si l’on prend en compte les précédentes vagues de violence à leur encontre, on estime qu’un million de Rohingyas sont actuellement réfugiés au Bangladesh.
Estimant que les attaques de 2017 contre les Rohingyas constituaient des crimes contre l’humanité, Amnesty International a préconisé qu’une dizaine de hauts responsables fassent l’objet d’enquêtes pour leur rôle dans ces violences, dont le maréchal Min Aung Hlaing.
La Cour pénale internationale (CPI) enquête sur les crimes présumés commis en 2016 et 2017 contre la population rohingya, mais uniquement sur ceux commis en partie sur le territoire du Bangladesh ou d’autres États, car le Myanmar n’a pas ratifié le Statut de la CPI. Amnesty International appelle le Conseil de sécurité des Nations unies à saisir la CPI de l’ensemble de la situation au Myanmar, afin qu’une enquête puisse être menée sur tous les crimes commis dans le pays.
Min Aung Hlaing n’a jamais eu à rendre de comptes. Le 1er février 2021, l’armée s’est emparée du pouvoir à la faveur d’un coup d’État, Min Aung Hlaing présidant le Conseil administratif d’État (SAC) nouvellement créé. Depuis cette date, plus de 5 000 civil·e·s au Myanmar ont été tués par des soldats, des policiers et des milices bénéficiant du soutien du Conseil administratif d’État.
Amnesty International a recueilli des informations faisant état d’actes de torture, de détentions arbitraires et de frappes aériennes illégales imputables à l’armée du Myanmar à la suite du coup d’État de 2021. En novembre 2022, elle a demandé la suspension des importations de kérosène, que l’armée du Myanmar utilise pour bombarder des civils. Si plusieurs entreprises se sont retirées de la chaîne d’approvisionnement après avoir été informées des risques, les livraisons se poursuivent.