Environ 1 200 hommes, femmes et enfants qui ont cherché à se réfugier en Australie et ont été transférés de force à Nauru, État insulaire du Pacifique, subissent de graves atteintes aux droits humains, des traitements inhumains et des actes de négligence, ont déclaré Human Rights Watch et Amnesty International. L’incapacité du gouvernement australien à remédier à ces graves atteintes semble relever d’une politique délibérée visant à dissuader de nouveaux demandeurs d’asile d’arriver par bateau dans le pays.
Les réfugiés et les demandeurs d’asile à Nauru, détenus pour la plupart depuis trois ans, sont fréquemment en butte à la négligence des professionnels de santé et autres intervenants engagés par le gouvernement australien pour fournir des services. Ils sont également la cible de fréquentes agressions impunies de la part des habitants de l’île, les Nauruans. Les soins médicaux, lorsqu’ils leur sont prodigués, le sont avec des retards injustifiés, même pour des pathologies mettant en danger leur vie. Beaucoup souffrent de graves troubles mentaux et sont submergés par un sentiment de désespoir – les automutilations et les tentatives de suicide sont fréquentes. Tous sont plongés dans l’incertitude quant à leur avenir.
« La politique de l’Australie consistant à exiler les demandeurs d’asile qui arrivent par bateau est extrêmement cruelle, a déclaré Anna Neistat, directrice des recherches à Amnesty International, qui a mené les investigations sur l’île pour l’organisation.
« Rares sont les pays qui déploient autant d’efforts pour infliger des souffrances à des hommes et des femmes en quête de sécurité et de liberté. »
Les autorités australiennes n’ignorent rien des atteintes aux droits humains commises à Nauru. La Commission australienne pour les droits humains et l’égalité des chances (HREOC), le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), un Comité restreint du Sénat et un expert indépendant nommé par le gouvernement, ont tous mis en lumière nombre de ces pratiques et demandé au gouvernement d’agir. Son manque de détermination à remédier aux violations commises sous son autorité à Nauru laisse à penser qu’elles relèvent d’une politique cautionnée par le gouvernement.
En transférant de force des réfugiés et des demandeurs d’asile à Nauru, en les maintenant en détention prolongée dans des conditions inhumaines, en les privant de soins médicaux adéquats et en structurant par divers moyens ses interventions de telle sorte que beaucoup voient leur santé mentale se détériorer, le gouvernement australien bafoue les droits de ne pas être soumis à la torture, aux mauvais traitements, ni à la détention arbitraire, ainsi que d’autres protections fondamentales, ont déclaré Human Rights Watch et Amnesty International.
« Le traitement terrible réservé par l’Australie aux réfugiés à Nauru depuis trois ans a un impact dévastateur sur leur vie, a déclaré Michael Bochenek, conseiller principal sur les droits de l’enfant à Human Rights Watch, qui a mené les recherches sur l’île pour l’organisation.
« L’un des objectifs poursuivis par l’Australie à Nauru semble être d’amener les réfugiés – adultes et même enfants – au point de rupture, au moyen de violations répétées. »
L’Australie et Nauru tiennent à garder secret le traitement des demandeurs d’asile à Nauru et rejettent la plupart des demandes de visite des journalistes ou des chercheurs. Néanmoins, une chercheuse d’Amnesty International et un chercheur de Human Rights Watch ont pu se rendre à Nauru légalement et y séjourner pendant 12 jours en juillet 2016. On ne leur a pas demandé à quelles organisations ils appartenaient lorsqu’ils ont rempli les formulaires d’entrée. Ils se sont entretenus avec 84 réfugiés et demandeurs d’asile originaires d’Iran, d’Irak, du Pakistan, de Somalie, du Bangladesh, du Koweït et d’Afghanistan, dont des Kurdes apatrides qui vivaient en Iran ou en Irak. Parmi ces personnes, figuraient 29 femmes, cinq filles et quatre garçons. Les chercheurs ont également interrogé plusieurs intervenants travaillant dans les centres, qui ont accepté de divulguer des informations malgré le risque de poursuites.
Nauru, minuscule île de 21 km2, pauvre, est plus petite que l’aéroport de Melbourne. Elle compte 10 000 habitants. La quasi-totalité de l’intérieur de l’île, dévasté par 40 années d’extraction du phosphate, n’est plus habitable ni cultivable. Les possibilités en termes d’emploi sont rares et les services essentiels, comme la santé et l’éducation, largement insuffisants.
L’Australie transfère de force des familles avec enfants, des mineurs non accompagnés et des hommes et femmes célibataires à Nauru depuis septembre 2012, dans le cadre des protocoles d’accord conclus entre les deux pays. L’Australie a accepté de financer tous les frais associés à la détention extraterritoriale et au traitement des demandeurs d’asile et des réfugiés. Elle a dépensé 415 millions de dollars australiens (environ 280 millions d’euros) pour ses activités à Nauru au cours de l’année fiscale se terminant le 30 avril 2015, soit environ 350 000 dollars australiens (236 000 euros) pour chaque personne détenue sur l’île pendant cette période.
Les personnes transférées à Nauru ont passé au moins un an au « Centre régional de traitement », entassées dans des tentes en vinyle. À l’intérieur du centre, les températures atteignent régulièrement 45 à 50 degrés Celsius ; le centre est soumis à des pluies torrentielles et des inondations.
Les réfugiés et les demandeurs d’asile ont qualifié les conditions dans ces camps de détention de « carcérales » : fouilles régulières de leurs tentes par les gardiens – qui confisquent les objets « interdits », y compris les vivres et les aiguilles à coudre – douches de deux minutes et toilettes immondes.
Le Centre régional de traitement est administré par une entreprise privée mandatée par le gouvernement australien, qui contrôle effectivement le centre et est tenu de garantir la santé et le bien-être des demandeurs d’asile qui y sont détenus. L’Australie partage avec Nauru la responsabilité des violations des droits humains dont sont victimes les réfugiés et les demandeurs d’asile.
Ceux que les gouvernements de l’Australie et de Nauru reconnaissent en tant que réfugiés sont généralement installés dans des camps ouverts ou d’autres logements répartis sur l’île. Les familles se voient généralement attribuer des préfabriqués ou des conteneurs convertis en logements, et les hommes célibataires des petites chambres meublées d’un lit et d’une petite étagère. D’après les personnes interrogées, environ un tiers des 1 200 réfugiés et demandeurs d’asile à Nauru vivent toujours sous des tentes.
Depuis octobre 2015, Nauru accorde aux demandeurs d’asile une plus grande liberté de circulation sur l’île, mesure qui, de l’avis général, a été prise pour répondre à la contestation en Australie de la légalité de leur détention. Toutefois, ceux qui vivent toujours sous tente doivent respecter un couvre-feu, ne doivent pas apporter de portables dans le centre, sont surveillés par des gardiens et subissent d’autres restrictions à leur liberté.
La détention prolongée dans des conditions déplorables a aggravé le traumatisme que beaucoup ont vécu en raison des persécutions dans leur pays d’origine et des violations et autres dangers qui ont émaillé leur périple vers l’Australie, comme l’ont notamment révélé la Commission australienne pour les droits humains et le HCR.
Les réfugiés et les demandeurs d’asile interrogés ont déclaré avoir développé sur l’île une forte angoisse, des troubles du sommeil, des sautes d’humeur, une dépression prolongée et de courtes pertes de mémoire. Les enfants se mettent à mouiller leur lit, à faire des cauchemars et à souffrir de comportements perturbants et inquiétants. Des adultes et des enfants ont évoqué ouvertement le fait d’avoir voulu en finir. Cependant, les réfugiés à Nauru ne reçoivent pas le soutien ni les soins de santé mentale adéquats.
En effet, les soins médicaux qui leur sont prodigués à Nauru sont insuffisants. L’équipement médical est rudimentaire et les soins spécialisés ne sont pas disponibles de manière régulière. Les soins dentaires se limitent à l’extraction de dents.
Les réfugiés et les demandeurs d’asile ont évoqué les longs délais s’agissant de consulter des spécialistes pour des maladies graves ou d’être transférés vers des centres médicaux en dehors de Nauru afin de recevoir des soins qui n’y sont pas dispensés. Au titre de la nouvelle politique, les personnes transférées en Australie pour des soins doivent dans la plupart des cas s’y rendre sans leur famille, dans le but de les contraindre à retourner à Nauru.
Lorsqu’Amnesty International et Human Rights Watch ont fait part de leurs inquiétudes en la matière à l’International Health and Medical Services, l’entreprise chargée par le gouvernement australien de gérer les services de santé à Nauru, la direction a nié que la qualité des soins était médiocre.
Par ailleurs, la sécurité physique des personnes détenues à Nauru est une question très préoccupante, ont déclaré Human Rights Watch et Amnesty International. De nombreux demandeurs d’asile ont été frappés et dévalisés. Toutes les femmes interrogées ont déclaré qu’elles ne pouvaient pas sortir seules. D’après les témoignages recueillis, la police locale ne se mobilise guère pour enquêter sur les agressions dont elles sont victimes.
Les enfants scolarisés ont raconté les brutalités et harcèlements fréquents de la part des élèves nauruans, qui leur disent de rentrer dans leur pays. Beaucoup ont tout simplement cessé d’aller en classe.
D’après certains réfugiés et demandeurs d’asile, les violations subies ne leur laissent guère d’autre choix que d’accepter ou de demander de rentrer dans des pays où ils risquent fortement d’être persécutés ou de subir des violences.
Le gouvernement australien doit immédiatement réinstaller les réfugiés en Australie et fermer le centre extraterritorial de traitement situé à Nauru. Tant qu’il reste des réfugiés et demandeurs d’asile à Nauru, l’Australie doit veiller à ce qu’ils reçoivent des soins de qualité, notamment en matière de santé mentale. Nauru doit autoriser des observateurs indépendants des droits humains et des journalistes à se rendre sur l’île, et l’Australie doit faire de même pour ses « centres de traitement » accueillant les demandeurs d’asile.
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