Neuf mesures que les États doivent prendre contre la détention secrète dans le monde

ÉFAI-1er juin 2010

Une étude conjointe sur les pratiques mondiales concernant le recours à la détention secrète rédigée par des experts des Nations unies et présentée au Conseil des droits de l’homme souligne la nécessité de mettre un terme à la détention secrète

Mercredi 2 juin 2010, des experts des Nations unies dans le domaine des droits humains doivent présenter au Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève (Suisse) leur étude conjointe sur les pratiques mondiales de détention secrète au nom de la lutte contre le terrorisme.

Amnesty International, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), Human Rights Watch et la Commission internationale de juristes (CIJ) appellent toutes les délégations auprès du Conseil à engager un débat de fond sur la manière de mettre un terme à cette pratique répandue dans le monde entier et de garantir que les responsables de tels agissements aient à rendre compte de leurs actes.

Ainsi que le conclut l’étude des Nations unies, la détention secrète ne peut en aucun cas être justifiée. Cette pratique entraîne et favorise des violations graves des droits humains et des crimes au regard du droit international, et elle a un effet destructeur pour l’état de droit. Amnesty International, la FIDH, Human Rights Watch et la CIJ attirent l’attention depuis des années sur les violations des droits humains liées à la détention secrète au niveau mondial, à savoir les disparitions forcées, la torture et les autres traitements cruels, inhumains et dégradants, les exécutions extrajudiciaires et la privation arbitraire de liberté.

Les recommandations formulées par les experts des Nations unies font écho à celles émises depuis de nombreuses années par Amnesty International, Human Rights Watch et la CIJ. Tous les États devraient les mettre en œuvre sans délai.

À cet effet, Amnesty International, la FIDH, Human Rights Watch et la CIJ exhortent les États à centrer le débat à propos de la détention secrète qui doit avoir lieu au Conseil des droits de l’homme sur les initiatives devant être prises sans délai par tous les gouvernements. Les quatre organisations leur demandent en priorité de prendre les mesures suivantes :

1. Les législations nationales doivent comporter la prohibition explicite et absolue de la détention secrète et des centres secrets de détention, et les lois doivent être strictement appliquées dans la pratique.

2. Les avocats, le personnel médical et les mécanismes indépendants de surveillance doivent bénéficier d’un droit d’accès à tous les lieux d’incarcération et du droit de rencontrer tous les détenus en privé ; ces droits doivent être entièrement respectés dans la pratique.

3.Tous les placements en détention doivent faire l’objet d’un véritable contrôle d’une autorité judiciaire indépendante.

4. Les législations nationales doivent prévoir que les familles des détenus sont informées sans délai de l’interpellation de leur proche, de son lieu de détention, de son statut au regard de la loi et de son état de santé. Ces conditions doivent être respectées dans la pratique. Les familles doivent également avoir le droit reconnu par la loi d’exiger la communication de ce type d’informations.

5. Toutes les activités des services de renseignement d’un État doivent être soumises aux dispositions législatives nationales - devant elles mêmes être conformes aux obligations internationales de l’État, prévoir un réexamen et un contrôle sérieux et indépendants, et renfermer des garanties qui permettent d’empêcher toute complicité dans des violations des droits humains perpétrées par des services étrangers.

6. Toutes les allégations de violations des droits humains liées à la détention secrète doivent sans délai faire l’objet d’une enquête débouchant sur l’obligation de rendre des comptes et l’accès à des voies de recours et à des réparations, y compris pour les familles des personnes qui semblent avoir été victimes d’une disparition forcée. Le secret ou les privilèges de la sécurité nationale ne doivent pas être invoqués ni appliqués de manière à priver les victimes de leur droit à indemnisation et réparation.

7. Des enquêtes publiques indépendantes et approfondies doivent être menées avec des pouvoirs d’investigations illimités en vue d’établir si la coopération du gouvernement avec des services de renseignement et d’application de la loi étrangers a entraîné des violations des droits humains.

8. Les législations nationales doivent prohiber tous les transferts de personnes d’un pays à l’autre en dehors du contrôle d’une autorité judiciaire, conformément aux normes internationales, et elles ne doivent en aucun cas permettre un transfert en violation de la prohibition du refoulement (y compris la torture ou d’autres formes de mauvais traitements, la disparition forcée ou les procès manifestement inéquitables). .Ces lois doivent être strictement respectées dans la pratique. Les assurances diplomatiques contre la torture, qu’elles s’accompagnent ou non de « mécanismes de surveillance », ne doivent pas être sollicitées ou invoquées pour justifier de tels transferts.

9. Les États qui ne l’ont pas déjà fait doivent ratifier sans réserve et appliquer tous les traités relatifs aux droits humains, et tout particulièrement :
a. la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ;
b. le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ;
c. la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Protocole facultatif s’y rapportant.

Amnesty International, la FIDH, Human Rights Watch et la CIJ prient également tous les États d’entreprendre, au vu de cette étude globale, un réexamen complet de leurs lois et politiques afin d’empêcher à l’avenir le recours à la détention secrète. Les pays mentionnés dans l’étude sur la détention secrète doivent tout particulièrement fournir des informations aux quatre titulaires de mandat sur les mesures prises pour mettre fin à cette pratique, enquêter, veiller à ce que les responsables aient à rendre compte de leurs actes et accorder réparation aux victimes de ces violations. Il faut aussi qu’ils les informent sur les réformes législatives entreprises pour prévenir le renouvellement de tels actes.

L’un des thèmes centraux de l’étude conjointe est la pratique de la détention secrète lors des opérations menées à l’échelle internationale dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » conduite par les États-Unis après le 11 septembre 2001. Amnesty International, la FIDH, Human Rights Watch et la CIJ qui ont recensé ces atteintes aux droits fondamentaux, dont certaines constituent des crimes au regard du droit international, et continuent de demander que les responsables – tant les États-Unis que les pays européens, entre autres, qui ont été complices de ces agissements ou les ont tolérés – aient à rendre compte de leurs actes.

Les organisations se félicitent tout particulièrement de ce que l’étude des Nations unies fasse aussi ressortir la nature globale du problème en citant des dizaines de pays dans le monde qui ont eu recours à la détention secrète ou s’en sont rendu complices par l’entremise de réseaux internationaux de transferts de détenus et de services de renseignement. Amnesty International, la FIDH, Human Rights Watch et la CIJ combattent ces pratiques dans de nombreux pays du monde.

C’est ainsi qu’en 2008 et 2009, Amnesty International a recueilli des informations et fait campagne à propos de disparitions forcées au Pakistan, de détentions secrètes ou de maintien prolongé au secret en Arabie saoudite, et de personnes accusées d’activités terroristes en Tunisie.

Au cours des trois dernières années, Human Rights Watch a fait état de la responsabilité des États-Unis dans la disparition forcée dans les « sites noirs » de l’Agence centrale du renseignement (CIA) d’individus soupçonnés d’actes de terrorisme ; de la complicité de la Grande-Bretagne dans des cas de détention secrète au Pakistan ; de l’utilisation de la détention secrète en Jordanie, au Pakistan, en Égypte et en Ouganda, entre autres.

En 2009, la CIJ a publié un rapport de son Comité d’éminents juristes sur le terrorisme, la lutte contre le terrorisme et les droits de l’homme (Assessing Damage, Urging Action) qui exposait de nombreux cas de détention secrète dans le monde entier et soulignait la primauté du système de justice pénale pour répondre au terrorisme et la nécessité de garantir l’obligation de rendre des comptes s’agissant des mesures de lutte contre le terrorisme, et notamment de la coopération dans le domaine du renseignement.

L’étude conjointe des Nations unies a été rédigée par quatre procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme : le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Groupe de travail sur la détention arbitraire et le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. Amnesty International, la FIDH, Human Rights Watch et la CIJ apprécient l’action et la détermination des procédures spéciales pour mettre cette question fondamentale et très préoccupante à l’ordre du jour du Conseil des droits de l’homme en vue d’un débat sérieux, de fond et précis.

Par ailleurs, Amnesty International, la FIDH, Human Rights Watch et la CIJ accueillent favorablement la décision des quatre procédures spéciales de rédiger cette étude ensemble, ce qui leur a permis d’aborder les aspects de la pratique de la détention secrète liés aux droits humains de manière cohérente et complète.

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