Nigéria. Halte aux exécutions – adoption d’un moratoire

Déclaration publique

AFR 44/030/2007

Déclaration publique conjointe d’ONG nigérianes et d’Amnesty International

Des ONG nigérianes et Amnesty International expriment de graves inquiétudes en apprenant l’exécution de plusieurs prisonniers du couloir de la mort dans des prisons nigérianes, et demandent un moratoire immédiat.

Nous sommes très préoccupés d’apprendre que les personnes concernées se sont vu refuser leur droit à interjeter appel de leur condamnation et à être représentées juridiquement, comme l’exigent les garanties pour un procès équitable. Exécuter des gens qui n’ont pas bénéficié d’un procès équitable est contraire à la constitution et aux traités internationaux auquel le Nigéria est État partie. Nous demandons donc au président Yar Adua d’imposer un moratoire immédiat sur les exécutions.

Le 30 mai 2006, Kenneth Ekhone et Auwalu Musa ont été pendus à la prison centrale de Kaduna. Ils ont été jugés et reconnus coupables par le tribunal n°2 pour vol et usage d’armes à feu de l’État de Kano. Ils n’ont pas eu droit aux services d’un avocat pendant toute la procédure, et n’ont pas eu l’occasion d’interjeter appel du jugement. Les deux ordres d’exécution ont été signés par l’actuel gouverneur de l’État de Kano, Malam Ibrahim Shekarau. Jusqu’à l’heure de sa mort, Auwalu Musa a nié être impliqué dans le crime dont il était inculpé.

Le fait que le gouvernement nigérian a exécuté ces prisonniers est extrêmement choquant, car il n’a signalé aucune exécution. Au contraire, le 15 novembre 2007, le représentant du Nigéria à la Troisième Commission de l’Assemblée générale des Nations unies a nié toute exécution : « Il est donc avéré que nous n’avons procédé à aucune exécution au Nigéria ces dernières années. ». En outre, il a expliqué que les exécutions ne pouvaient avoir lieu qu’après appel interjeté au niveau de la Cour suprême : « Le châtiment ne vient qu’après l’épuisement de tous les processus juridiques et judiciaires, notamment le recours à la Cour suprême du pays. »

Nous savons qu’au moins sept prisonniers du couloir de la mort ont été pendus ces deux dernières années. Nous croyons savoir qu’au moins une autre exécution aurait eu lieu à la prison de Port Harcourt. Toutes les personnes exécutées ont été reconnues coupables par un tribunal de l’État de Kano et transférées dans des prisons dans tout le pays, notamment Jos, Kaduna et Enugu. Les ordres d’exécution ont tous été signés par l’actuel gouverneur de l’État de Kano, Malam Ibrahim Shekarau.

Salisu Babuga a été exécuté le 15 juin 2006 à la prison de Jos. Cette exécution a été diffusée à la radio et c’est ainsi que sa famille, qui n’en avait pas été officiellement informée, l’a apprise. Salisu Babuga a été condamné à mort pour un homicide volontaire en 1993 et pendu peu de temps après le rejet de son appel. Selon sa mère, il regrettait son acte. Sa mère a déclaré : « Pourquoi n’ont-ils pas commué sa peine en prison à vie…Nous n’aurions jamais cru cela. »

Nous ne comprenons pas pourquoi le gouvernement nigérian a publiquement nié ces homicides, malgré des éléments prouvant plusieurs exécutions.

Nous relevons que le système de justice pénale nigérian ne peut garantir un procès équitable dans les affaires où l’accusé risque la peine capitale. Plusieurs commissions gouvernementales sont également parvenues à la même conclusion. Le groupe national d’étude sur la peine de mort a reconnu en 2004 qu’« un système qui peut prendre la vie doit d’abord rendre la justice » et a ainsi recommandé un moratoire sur la peine de mort « jusqu’à ce que le système de justice pénal nigérian puisse assurer l’équité fondamentale et le respect d’une procédure régulière dans les affaires capitales, et minimiser le risque que des innocents soient exécutés ».

La commission présidentielle sur la réforme de l’administration de la justice a répété cette conclusion en mai 2007, demandant un moratoire officiel sur les exécutions jusqu’à ce que le système de justice pénale nigérian puisse assurer l’équité fondamentale et une procédure régulière dans les affaires capitales. Cette commission a conclu : « le gouvernement fédéral et, de fait, les gouvernements des États ne peuvent plus ignorer ce problème, inhérent depuis longtemps à notre système de justice pénale. » Les deux commissions ont souligné que les prisonniers du couloir de la mort étaient « presque tous pauvres et sans représentation juridique. »

Nous observons que le gouvernement a reconnu la nécessité des réformes. Selon l’ancien procureur général et ministre de la Justice fédéral Ojo, en septembre 2006 : « Il ne fait pas de doute que le système d’administration de la justice de ce pays a grandement besoin de réformes, car il est généralement à craindre que notre système législatif et juridique ne soit pas à la hauteur des défis du développement social et économique que notre nation doit relever chaque jour. »

Bien que plusieurs commissions gouvernementales aient reconnu que le système de justice pénale nigérian ne pouvait garantir un procès équitable dans les affaires où l’accusé risque la peine capitale, nous craignons que les exécutions ne continuent.

Nous craignons qu’une grande partie des quelque 700 prisonniers du couloir de la mort n’ait pas bénéficié d’un procès équitable. Le Nigéria compte au moins 200 prisonniers qui se trouvent dans le couloir de la mort depuis plus de dix ans, dont certains depuis plus de vingt-cinq ans. Nombre d’entre eux ont été reconnus coupables et condamnés à mort par des tribunaux pour vol et usage d’armes à feu, pendant le gouvernement militaire. Les accusés n’avaient pas le droit d’interjeter appel.

Après 1999, la compétence judiciaire a été restituée aux Hautes cours d’État, avec droit d’appel auprès de la Cour d’appel et de la Cour suprême. Cependant, dans de nombreuses affaires, des prisonniers n’ont pas été informés de ce droit, n’avaient pas d’avocat ou d’argent pour interjeter appel, et ne l’ont donc pas fait. Certains condamnés ont interjeté appel au moment où ils ont été condamnés à mort, cependant, leurs affaires n’ont jamais été examinées par un tribunal. Si un condamné n’a pas d’avocat, l’État doit lui en fournir un pour suivre son affaire. Certains prisonniers ont été condamnés à mort à partir d’aveux extorqués sous la torture.

Nous considérons que la peine de mort viole le droit à la vie tel que le proclame la Déclaration universelle des droits de l’homme, et qu’elle constitue le châtiment cruel, inhumain et dégradant ultime. Le droit à la vie est également reconnu dans l’article 33 de la constitution nigériane. Le gouvernement nigérian doit faire en sorte que tous les accusés risquant la peine capitale bénéficient d’un procès équitable et des garanties d’une procédure régulière, comme le stipulent la constitution nigériane, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Parmi ces garanties figurent le droit d’interjeter appel auprès d’une instance supérieure, le droit à une représentation juridique et l’exclusion des éléments de preuve obtenus par la torture ou autre contrainte.

Nous notons que le gouvernement nigérian a violé le droit à la vie en tuant des prisonniers qui se sont vu refuser le droit d’interjeter appel. Selon l’article 14(5) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, « Toute personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi. ». Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a déclaré que l’imposition de la peine de mort sans possibilité d’appel était incompatible avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité considère comme une violation du droit à la vie l’imposition de la peine de mort dans les affaires où un prisonnier condamné n’a pas le droit d’interjeter appel auprès d’une instance supérieure.

Nous saluons l’adoption d’une résolution par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en 1999, lors de sa 26ème session ordinaire à Kigali (Rwanda), demandant à tous les États qui maintiennent toujours la peine de mort de réfléchir à l’établissement d’un moratoire sur les exécutions. Le 15 novembre 2007, la Troisième Commission des Nations unies a adopté une résolution demandant un moratoire sur les exécutions, dans l’objectif d’abolir la peine de mort. Cette résolution a été adoptée, 99 pays ayant voté pour. Le Nigéria a voté contre.

Nous observons que le gouvernement nigérian n’a publié aucune information sur les exécutions prévues. Dans sa résolution 2005/59, adoptée le 20 avril 2005, la Commission des droits de l’homme des Nations unies a demandé à tous les État qui maintiennent encore la peine de mort de publier toute information concernant l’imposition de la peine de mort et toute exécution prévue. Le gouvernement ne semble pas avoir respecté les bonnes pratiques dans la mise en œuvre de la peine de mort, ce qui est contraire aux normes internationales, définies par le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. Selon lui, la transparence est essentielle, partout où la peine de mort est appliquée. Le secret sur les personnes exécutées viole les normes relatives aux droits humains. Il faut signaler de manière exhaustive et précise toutes les exécutions, et préparer une version consolidée de ces rapports au moins chaque année.

Le gouvernement nigérian ne peut risquer de tuer davantage de prisonniers ayant subi un procès inéquitable, ou susceptibles d’être innocents. Nous demandons donc au président Yar Adua de :

*Déclarer un moratoire immédiat sur toutes les exécutions, dans tout le pays ;

*Commuer toutes les condamnations à mort prononcées en vertu du code pénal nigérian et du code pénal de la charia, en attendant l’abolition de la peine de mort ;

*Clarifier les raisons de la décision du gouvernement nigérian d’exécuter des prisonniers sans publier la moindre information, avant ou après cet acte ;

*Ouvrir une enquête approfondie, impartiale et indépendante sur toutes les exécutions des cinq dernières années, et en publier les conclusions ;

*Examiner toutes les affaires des prisonniers du couloir de la mort, et examiner les affaires des prisonniers âgés de plus de soixante-dix ans ;

*Examiner les affaires des prisonniers âgés de plus de soixante ans et se trouvant dans le couloir de la mort depuis plus de dix ans, pour voir s’ils peuvent être libérés, comme l’a promis le gouvernement précédent le 16 mai 2007 ;

*Voter en faveur de la résolution des Nations unies relatives au moratoire sur la peine de mort lors de la séance plénière de l’Assemblée générale des Nations unies, le mardi 18 décembre 2007 ;

*Ratifier le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au PIDCP, visant à abolir la peine de mort, et mettre en place des mécanismes pour assurer sa mise en œuvre complète.

Nous demandons également à l’Assemblée nationale de voter immédiatement le projet de loi relatif au moratoire sur la peine de mort, soumis par le Human Rights Law Service (HURILAWS), afin d’arrêter les exécutions, en attendant l’abolition de la peine de mort.

Nous invitons le gouvernement à discuter plus amplement de ces questions lors d’une réunion l’année prochaine.

Signataires :

Amnesty International
LEDAP – Legal Defence and Assistance Project (Projet de défense et d’assistance juridique)
HURILAWS – Human Rights Law Service (Service spécialisé en droits humains)
Access to Justice
Center for Law and Social Action
Center for Democracy and Development (CDD)
Center for Research and Documentation (CIRRDOC)
Civil Liberties Organisation (CLO)
Gender Development Action (GADA)
Human Development Initiative HDI
Legal Resources Consortium (LRC)
Legal Defence Center (LDC)
Partnerships for Justice
Prisoners Rehabilitation and Welfare Action (PRAWA)
Rural Women Empowerment Network (RUWEN)
West African Network for Peace (WANEP, Réseau de construction de paix en Afrique de l’ouest)
Women Advocates Research and Documentation Center (WARDC)
Women Aid Collective (WACOL)

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