« On ne s’est pas battus pour ça » : le problème endémique de la violence et de la torture dans la nouvelle Libye

Ce n’est un secret pour personne que les violences physiques et la torture ont pris une ampleur endémique dans la Libye post-Kadhafi.

Depuis le printemps 2011, Amnesty International a rencontré d’innombrables personnes disant avoir été victimes de coups, de décharges électriques, de menaces de mort et d’autres formes de mauvais traitements dans les centres de détention gérés par les milices armées anti-Kadhafi.

Hier, j’ai rencontré Mohamed (son nom a été changé), qui a été arrêté et torturé par des miliciens de Misratah le 16 octobre 2011.

Ses bras restent couverts de cicatrices. Après l’avoir sauvagement fouetté pendant environ une heure et demie, ces hommes armés ont maintenu un morceau de métal brulant contre sa peau.

Il a plus tard été blessé par balle aux jambes puis laissé sans soins dans un conteneur métallique pendant plusieurs jours. Il a déclaré que lorsque ses blessures ont enfin été nettoyées, une infection si grave s’était développée que les plaies grouillaient de vers. Aujourd’hui, il est incapable de marcher.

Un autre homme toujours aux mains d’une milice armée dans l’ouest du pays nous a dit qu’il avait été frappé à coups de fils et de câbles métalliques sur tout le corps début mai. À l’autre bout de la cellule, un homme trop effrayé pour se plaindre a désigné ses propres blessures, murmurant qu’elles résultaient d’un récent passage à tabac.

Depuis que les forces anti-Kadhafi ont pris le contrôle de Tripoli, en août 2011, Amnesty International a recensé une vingtaine de morts consécutives à des actes de torture en détention.

Cette semaine, j’ai rencontré la famille d’une de ces victimes, Imhamad Salem Ali Aqila, un soldat de 33 ans qui appartenait aux forces loyales à Mouammar Kadhafi. Il est mort le 20 février. Ses parents ont entendu dire qu’un groupe d’hommes armés étaient venus une nuit à la prison de Jdayem, à al Zawiya, où il était détenu, et l’avaient battu à mort.

Si la prison de Jdayem est placée sous l’autorité du ministère de la Justice, les gardes n’ont pas empêché ces miliciens armés d’y entrer et d’exercer des représailles.

J’ai rencontré une autre famille portant le deuil d’un proche mort sous la torture. Il est décédé le 3 mai 2012 dans un hôpital de Tripoli, environ six semaines après qu’un groupe d’hommes armés l’aient enlevé dans la rue, près de son domicile, dans cette même ville. Malgré tous leurs efforts, ses parents n’ont pas pu lui rendre visite en détention. Ils ont plus tard retrouvé son corps à l’hôpital, le crâne fracturé.

Nous avons examiné des rapports médico-légaux confirmant les dires de ces familles endeuillées.

Les milices armées s’en prennent également aux femmes, fait confirmé par trois d’entre elles, à qui j’ai parlé cette semaine tandis qu’elles se remettaient d’actes de torture.

L’une a reçu des décharges électriques et a été frappée sur tout le corps ; une autre était couverte de brûlures graves après que des miliciens l’eurent plongée dans de l’eau bouillante ; et la troisième avait été suspendue et battue à coups de fils métalliques.

Toutes trois ont été libérées sans inculpation. L’une d’elles a été assez courageuse pour porter plainte auprès du parquet général. Depuis lors, elle reçoit des appels téléphoniques menaçants la mettant en garde contre de terribles conséquences si elle ne retire pas sa plainte.

Des procureurs et d’autres représentants des autorités judiciaires et des forces de sécurité sont également victimes de menaces, de manœuvres de coercition et même de violences ; leurs agresseurs appartiennent à des groupes armés.

Un policier d’al Zawiya m’a dit recevoir fréquemment des menaces verbales visant à le dissuader d’enquêter sur des cas de torture. La maison d’un de ses collègues a été visée par des coups de feu et un engin explosif artisanal a été jeté à l’intérieur de celle-ci une nuit d’avril.

Malgré cette accumulation d’éléments, les membres du Conseil national de transition soutiennent que les coups et la torture ne sont pas systématiques et que la situation est en cours d’amélioration.

Cependant, à ce jour, aucun thuwwar – nom désignant communément les combattants anti-Kadhafi – n’a eu à rendre de comptes pour avoir torturé ou autrement maltraité des détenus. Au lieu de cela, ils bénéficient d’une immunité de poursuites, ce qui ne fait qu’asseoir davantage le climat d’impunité ayant caractérisé la Libye pendant les quatre décennies du régime Kadhafi.

Un combattant anti-Kadhafi a déclaré à Amnesty International qu’il avait été privé de liberté pendant plusieurs heures par des hommes armés à Tripoli ; ces hommes lui ont tiré dans la jambe, puis ont frappé sa plaie, à coups de pieds notamment. Il n’a été libéré qu’après l’intervention de sa propre milice armée.

Un autre combattant anti-Kadhafi, dont deux frères ont été arrêtés et torturés par des milices armées ces six derniers mois, s’est dit abasourdi et scandalisé par le chemin pris par la nouvelle Libye en ce qui concerne les droits humains.

Il a déclaré : « J’ai quitté ma famille, risqué ma vie, je suis allé au front avec l’espoir d’un avenir meilleur […] pour la liberté, la dignité et l’état de droit. Ce qui se passe actuellement en Libye, on ne s’est pas battus et sacrifiés pour ça. »

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