Communiqué de presse

Pour empêcher un nouveau bain de sang, la Libye doit assurer la protection des manifestants face aux milices incontrôlables

Les autorités libyennes doivent protéger activement les manifestants contre les attaques des milices armées lors des manifestations prévues cette semaine, si elles veulent éviter de nouvelles effusions de sang, a déclaré Amnesty International le 21 novembre.

Le président du Conseil local de Tripoli a appelé les habitants de Tripoli à mener une grève générale jusqu’à ce que tous les groupes armés quittent la ville. De grandes manifestations sont prévues vendredi 22 novembre place Al Qods à Tripoli. Les militants ont également appelé à manifester devant les quartiers généraux des milices.

Ces appels font suite au lourd bilan – 43 morts et des centaines de blessés, dont des enfants de 11 ans – enregistré le 15 novembre lors d’une manifestation pacifique et lors des affrontements qui ont suivi dans le quartier de Gharghour, à Tripoli.

« Les autorités libyennes doivent garantir la protection des manifestants qui descendront dans les rues vendredi 22 novembre, face à la violence des milices. Si elles ne le font pas, on pourrait assister à une nouvelle tragédie, a souligné Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Deux années de politique d’apaisement vis-à-vis des milices se traduisent par une situation où les enlèvements, la torture et les homicides sont devenus la norme en Libye. Ceux qui se battaient il n’y a pas si longtemps pour la liberté se transforment aujourd’hui en criminels. »

Vendredi 15 novembre, à Tripoli, les manifestants ont appelé les milices installées dans le quartier de Gharghour à quitter la ville et ont réclamé le retour de la police et de l’armée nationale dans les rues pour assurer l’ordre public. La manifestation avait reçu l’aval des autorités, qui avaient promis de prendre des mesures de protection. Elle dénonçait les violents affrontements qui ont éclaté le 7 novembre dans la capitale entre des milices de Misratah et de Tripoli.

Selon des témoins interrogés par les délégués d’Amnesty International à Tripoli, la police n’a pas protégé les manifestants et n’est pas intervenue lorsque les miliciens se sont mis à leur tirer dessus. La plupart des unités de police sont restées en arrière tandis que les manifestants se dirigeaient vers le siège de la milice à Gharghour. Les policiers n’ont pris aucune mesure préventive pour protéger les manifestants contre les milices, dont on sait qu’elles sont lourdement armées et dangereuses.

Un homme âgé de 51 ans a rapporté aux chercheurs d’Amnesty International : « Beaucoup de manifestants étaient âgés, ils sortaient tout juste de la mosquée après la prière du vendredi. Ils n’étaient pas armés et arboraient des drapeaux révolutionnaires, des drapeaux blancs et des pancartes avec des messages de paix. Les policiers étaient là, à l’arrière, mais ils n’ont rien fait pour faire cesser les tirs. J’ai été touché par un éclat d’obus à la jambe gauche, et on a dû l’amputer. »

Des passants ont également été blessés par des balles perdues. Mabrouka Muhadab, 42 ans, a raconté à Amnesty International : « Je suis sortie sur le balcon pour prendre la couverture de mon fils et j’ai reçu une balle dans le dos. Les brigades de protection de la Libye [groupement de milices dépendant du ministère de la Défense] protégeaient notre quartier et les combats se déroulaient à 10 ou 15 minutes de chez nous. »

Les violences ont perduré et vers 22 heures, des miliciens ont tiré sur un camp de personnes déplacées abritant des Tawarghas ; un homme a été blessé au genou. Le lendemain matin, les milices sont revenues et ont tiré avec des fusils, faisant un mort et deux blessés. Bien que les milices de Misratah aient déjà attaqué précédemment ce camp, les autorités n’ont pris aucune mesure de protection.

Le 17 novembre, le procureur général de Libye a assuré à Amnesty International qu’une enquête avait été ouverte sur ces faits. Les délégués d’Amnesty International ont pu observer que des rapports médicolégaux officiels avaient été remis aux familles de victimes qui se trouvaient à la morgue.

« Il est positif qu’une enquête ait été ouverte. Cependant, l’expérience montre que les enquêtes sur les violations imputables aux milices en Libye débouchent rarement sur des poursuites menées à terme. Si cet état de fait perdure, cela ne fera qu’enhardir les milices, a averti Hassiba Hadj Sahraoui.

« Ces morts et ces blessés auraient pu être évités si les autorités libyennes s’étaient montrées déterminées à lutter contre l’impunité et à enquêter sur les violences dues aux milices depuis 2011. »

Au mois de mars, le Congrès national général, première institution élue en Libye, a ordonné que « tous les groupes armés illégaux » quittent Tripoli. Toutefois, il n’a pas été en mesure de faire appliquer cette décision. Il n’a pas non plus réussi à désarmer et démobiliser les milices. Depuis la fin du conflit armé de 2011, des centaines de milices anti-Kadhafi rejettent le désarmement et la réintégration dans la vie civile. La plupart sont basées à Tripoli et dans l’ouest du pays.

À la suite des violences du 15 novembre et des appels lancés par le Conseil local de Tripoli, les milices de Misratah ont commencé à se retirer de la capitale. D’autres villes telles que Gharyan ont également commencé à rappeler leurs brigades.

Parallèlement, le gouvernement a annoncé un nouveau plan de retrait des milices de la capitale, via leur intégration dans les forces de sécurité de l’État.

Pourtant, le gouvernement libyen doit faire en sorte que les mesures de désarmement, de démobilisation et de réintégration soient conformes aux normes internationales relatives aux droits humains. Une personne responsable d’atteintes aux droits humains ne saurait être intégrée dans les institutions de l’État.

« Alors que les milices quittent Tripoli, le gouvernement doit agir pour lutter contre l’impunité et veiller à ce que les auteurs d’atteintes aux droits humains aient à rendre des comptes pour leurs actes devant la justice. Sinon, cela revient à déplacer le problème, a conclu Hassiba Hadj Sahraoui. La population, dans toute la Libye et pas seulement à Tripoli, doit pouvoir vivre sans craindre les exactions des milices. »

Pour plus d’informations et des témoignages de personnes blessées durant les manifestations du 15 novembre à Tripoli, veuillez consulter le document ci-dessous, Libya : The day militias shot at protesters .

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