La décision de la Haute Cour du Royaume-Uni, qui a statué que deux communautés du delta du Niger dévastées par des déversements d’hydrocarbures ne peuvent voir leurs recours contre Shell examinés au Royaume-Uni, pourrait les priver de justice et autoriser les multinationales britanniques à bafouer les droits humains à l’étranger en toute impunité, a déclaré Amnesty International jeudi 26 janvier 2017.
Le 26 janvier, la Haute Cour a statué que Royal Dutch Shell ne peut être tenue pour responsable des actes de sa filiale nigériane, Shell Petroleum Development Company of Nigeria Ltd (SPDC). Pourtant, l’entreprise a tiré profit d’atteintes aux droits humains et de dégâts environnementaux pendant des décennies dans le delta du Niger. Les communautés devraient faire appel du jugement.
« Les communautés Ogale et Bille ont été touchées par de multiples déversements imputables à Shell, qui menacent leur santé et leur eau potable. L’ONU a révélé que la contamination des nappes phréatiques à Ogale était plus de 450 fois supérieure à la limite légale – lorsque les chercheurs d’Amnesty y sont retournés quatre ans plus tard, Shell n’avait toujours pas nettoyé la zone. Cette décision de justice pourrait signifier que les communautés ne recevront jamais de véritable réparation et que les déversements d’hydrocarbures ne seront pas correctement nettoyés, a déclaré Joe Westby, chargé de campagne pour la responsabilisation des entreprises à Amnesty International.
quatre ans plus tard, Shell n’avait toujours pas nettoyé la zone
« Ce jugement établit un précédent particulièrement dangereux. S’il est confirmé, cela revient à donner carte blanche aux multinationales dont le siège se trouve au Royaume-Uni pour bafouer les droits humains à l’étranger. Les populations pauvres et les pays en développement en paieront le prix. Cette décision rappelle cruellement l’impunité dont jouissent les puissantes entreprises et porte un coup aux autres communautés dans le delta du Niger, qui attendent toujours d’obtenir justice.
Les populations pauvres et les pays en développement en paieront le prix.
« Nous espérons et attendons que la cour d’appel casse ce jugement, afin de faire savoir que la justice britannique offrira des recours aux communautés appauvries qui subissent de graves violations des droits humains imputables à des entreprises britanniques. »
Deux communautés nigérianes ont intenté des actions en justice distinctes contre Royal Dutch Shell et sa filiale nigériane en 2016. Le premier recours a été déposé au nom de 2 335 personnes du royaume de Bille, une communauté de pêcheurs dont l’environnement a été dévasté par des déversements d’hydrocarbures au cours des cinq dernières années.
Le deuxième a été déposé par la communauté d’Ogale du pays ogoni, qui représente environ 40 000 personnes. Au fil des ans, il y a eu des fuites répétées d’oléoducs de Shell en pays ogoni, et elles n’ont toujours pas été nettoyées.
Les éléments de preuve présentés devant la cour et les années d’expérience d’Amnesty International sur cette question démontrent que Royal Dutch Shell, entreprise néerlando-britannique, exerce une influence décisive sur la conduite de sa filiale nigériane. Cependant, Shell a contesté la compétence de la Haute Cour britannique, faisant valoir que l’affaire concernait des plaignants nigérians et une entreprise nigériane.
Aujourd’hui, la Haute Cour juge a rejeté les actions intentées contre Royal Dutch Shell et sa filiale nigériane, tout en laissant aux communautés la possibilité de faire appel.
« Cette décision ne correspond absolument pas à la manière dont des multinationales comme Shell fonctionnent dans le monde globalisé. Trop souvent, elles se cachent derrière la fiction juridique selon laquelle leurs filiales agissent de manière indépendante. Si les multinationales sont autorisées à récolter les profits de leurs entreprises à travers le monde, sans être tenues pour responsables en cas de violations des droits humains, alors ces violations peuvent – et vont – avoir lieu », a déclaré Joe Westby.
Les communautés touchées par les déversements de pétrole au Nigeria sont généralement contraintes de négocier directement avec l’entreprise. Se trouvant dans une position très désavantageuse, elles sont systématiquement dupées. Il est très difficile pour des communautés rurales de former un recours devant les tribunaux nigérians, car seuls les tribunaux fédéraux ont compétence pour connaître d’affaires pétrolières et peu d’avocats sont prêts à affronter les grandes compagnies pétrolières. Les rares affaires qui vont jusqu’aux tribunaux languissent pendant des années dans les tiroirs de la justice nigériane, sans trouver de résolution.
En janvier 2015, un cabinet d’avocats britannique a obtenu un accord à l’amiable historique portant sur le versement par Shell de 55 millions de Livres sterling (environ 65 millions d’euros) à la communauté Bodo, dans le delta du Niger. L’affaire avait été portée devant les tribunaux britanniques. Shell avait à l’origine proposé une indemnisation à hauteur de 4 000 Livres sterling (environ 4 700 euros). Dans le cadre de cette procédure, Shell a dû admettre qu’elle avait minimisé pendant des années l’ampleur des fuites. Seule la procédure judiciaire au Royaume-Uni a permis de le mettre en lumière.
« Il est choquant que Shell tente de nier sa responsabilité vis-à-vis de la filiale qu’elle détient à 100 %. Pendant des décennies, Shell a tiré profit des violations des droits humains et des dégâts environnementaux causés dans le delta du Niger. Royal Dutch Shell et Shell Nigeria doivent être légalement comptables de leurs actes », a déclaré Joe Westby.
Complément d’information
En 2011, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a recensé les dégâts causés à l’environnement et la pollution pétrolière en pays ogoni. Dans son étude, il a pointé la grave menace que représentent les déversements d’hydrocarbures pour la santé publique et déclaré que la remise en état environnementale de la zone pourrait nécessiter l’opération de nettoyage la plus vaste et la plus longue jamais entreprise dans le monde.
À l’époque, Shell a déclaré accepter les conclusions et recommandations formulées dans le rapport du PNUE. Toutefois, une enquête menée en 2015 par Amnesty International a révélé que les allégations de Shell, qui affirmait avoir nettoyé des zones fortement polluées, étaient totalement erronées. Les chercheurs ont constaté la contamination par déversement dans quatre sites que le PNUE avait identifiés – notamment à Okuluebu, où vit la communauté Ogale, l’un des sites inclus dans l’action en justice. Le régulateur nigérian a certifié que la zone était dépolluée en 2012, mais les chercheurs ont vu des plaques de pétrole noir couvrant le sol et constaté une forte odeur de pétrole.