Un mois après que le nouveau gouvernement du Myanmar s’est engagé à œuvrer à la libération de tous les prisonniers d’opinion du pays, les autorités doivent redoubler d’efforts afin que personne ne demeure derrière les barreaux pour le simple fait d’avoir exercé pacifiquement ses droits.
Amnesty International se félicite de la récente libération de dizaines de militants étudiants, défenseurs des droits humains et manifestants pacifiques, qui constitue une étape importante en vue de la disparition progressive des arrestations et des emprisonnements politiques. Toutefois, certains prisonniers d’opinion sont encore détenus et d’autres risquent toujours d’être arrêtés, condamnés et incarcérés pour avoir exercé pacifiquement leurs droits. Si le gouvernement entend tourner la page sur un passé répressif, il doit veiller à ce que les personnes concernées soient libérées immédiatement et sans condition et que les charges pesant sur d’autres militants pacifiques – dont certains sont en détention provisoire et d’autres en liberté sous caution – soient abandonnées. Les personnes suivantes, entre autres, demeurent derrière les barreaux :
Gambira (alias Nyi Nyi Win), ancien moine et militant, purge actuellement une peine de six mois d’emprisonnement assortie de travaux forcés après avoir été condamné pour des infractions liées à l’immigration le 26 avril 2015. Il a été déclaré coupable en vertu de la section 13(1) de la Loi de 1947 relative à l’immigration (dispositions d’urgence), qui est souvent utilisée contre des militants pacifiques. Amnesty International pense que cet homme a été pris pour cible en raison de ses activités passées en tant que défenseur des droits humains. Gambira se trouve à la prison d’Oh-Bo, à Mandalay, et son état de santé suscite de vives inquiétudes. En effet, il souffre de graves problèmes mentaux, y compris d’un trouble de stress post-traumatique qui semble être la conséquence des actes de torture dont il a été victime en prison entre 2008 et 2012, et ne bénéficie pas des soins médicaux spécialisés dont il a besoin. En outre, il est à craindre que son maintien en détention ne compromette sa santé, déjà fragile.
Cinq hommes - trois Bamars musulmans, un Bamar bouddhiste et un homme d’origine chinoise - sont détenus depuis plus de cinq mois à la prison d’Insein, à Yangon (ex-Rangoon). Ils ont été inculpés d’« incitation », infraction passible de deux ans d’emprisonnement en vertu de l’article 505(b) du Code pénal. Ils ont été arrêtés en novembre 2015 après avoir imprimé un calendrier 2016 indiquant que les Rohingyas sont une minorité ethno-religieuse du Myanmar et mentionnant des informations sur leur histoire. Ils sont incarcérés uniquement pour avoir exercé de manière pacifique leur droit à la liberté d’expression. Un sixième homme rohingya, qui doit répondre des mêmes accusations, vit toujours dans la clandestinité.
Le poète Maung Saungkha est encore détenu à la prison d’Insein six mois après avoir été arrêté, en novembre 2015, en raison d’un poème qu’il avait écrit et publié sur Internet et dont le narrateur explique qu’il a le portrait d’un président (dont le nom n’est pas mentionné) tatoué sur les parties génitales. Il a été inculpé de diffamation en vertu de l’article 66(d) de la Loi de 2013 relative aux télécommunications. La prochaine audience le concernant est prévue le 9 mai.
Malheureusement, Amnesty International est convaincue que de nombreuses autres personnes sont toujours détenues pour le simple fait d’avoir exercé pacifiquement leurs droits humains, en particulier dans les régions peuplées par des minorités ethniques, où il est plus difficile d’avoir accès à des informations sur les arrestations et les détentions arbitraires. On ignore comment le nouveau gouvernement entend faire en sorte qu’aucune de ces personnes ne demeure derrière les barreaux car les critères et les procédures d’identification des prisonniers d’opinion et des autres prisonniers politiques à libérer manquent de transparence.
Afin de résoudre ce problème, Amnesty International appelle le nouveau gouvernement à créer – ou à rétablir – un comité chargé de réexaminer tous les cas de personnes privées de liberté simplement pour avoir exercé de manière pacifique leurs droits humains, afin qu’elles soient libérées. Il faut aussi que ce comité se penche sur les affaires des personnes en instance de jugement qui risquent de devenir des prisonniers d’opinion si elles sont incarcérées à l’avenir, ainsi que des personnes dont le procès était sous-tendu par des considérations politiques. Doté d’attributions claires et étendues, il doit être composé d’experts indépendants, y compris de spécialistes du droit international relatif aux droits humains, et à même de fonctionner de manière indépendante, efficace et transparente, en concertation avec d’anciens prisonniers d’opinion et prisonniers politiques, leurs familles et leurs représentants.
Pour mettre fin à la pratique des arrestations et des emprisonnements politiques au Myanmar, il est fondamental aussi de réviser toutes les lois ayant une incidence sur les droits aux libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique. Tous les textes contenant des restrictions inacceptables au regard du droit international relatif aux droits humains et des normes connexes doivent être révisés ou abrogés. Tant que des lois répressives seront en vigueur, les militants et les défenseurs des droits humains risqueront d’être arrêtés et emprisonnés en raison de leurs activités pacifiques. Amnesty International se félicite du fait que le Parlement ait amorcé récemment une révision des lois connues pour leur caractère répressif. Ce processus doit être ouvert, transparent et inclusif, et faire appel à divers acteurs de la société civile, experts juridiques et autres afin que les modifications éventuelles soient en accord avec le droit international relatif aux droits humains et les normes connexes.
Enfin, il est important de garder à l’esprit que les anciens prisonniers d’opinion sont confrontés à des difficultés liées à leur incarcération et à leur statut d’ex-détenus. Il peut s’agir de problèmes physiques ou psychologiques, de l’impossibilité d’accéder à l’éducation et à l’emploi, et de la stigmatisation. Par conséquent, il faut que le nouveau gouvernement prenne rapidement les mesures qui s’imposent afin d’effacer le casier judiciaire des personnes condamnées pour avoir simplement exercé de manière pacifique leurs droits et de leur accorder réparation. Il doit notamment faire tout son possible pour faciliter leur réinsertion, leur offrir une indemnisation et les aider par d’autres moyens à reconstruire leur vie.