L’Assemblée nationale de Slovénie débat actuellement d’une réécriture globale de la Loi sur la protection internationale (Zakon o mednarodni zaš ?iti). Le projet de loi, qui doit être examiné et faire l’objet d’un vote éventuel lors de la troisième audience plénière le 4 mars 2016 représenterait, sous sa forme actuelle, une régression quant au droit de tous les demandeurs d’asile de voir leur demande dûment examinée.
Le projet, soumis par la coalition au pouvoir, vise à réduire l’arrivée des demandeurs d’asile dans le pays et à limiter leur séjour en Slovénie. Les modifications visent à élargir le champ d’application des notions de « pays d’origine sûr » et de « pays tiers sûr », mais aussi à introduire une procédure d’admissibilité aux frontières, ce qui augmentera les risques de refoulement et exposera les réfugiés et demandeurs d’asile vulnérables à des conditions d’accueil inadaptées.
Amnesty International craint que les restrictions proposées concernant l’accès à la procédure d’asile et à un examen équitable et individuel des besoins de protection, si elles sont adoptées, ne soient contraires aux obligations incombant à la Slovénie au titre du droit international. Selon l’organisation, ce projet ressemble à une manœuvre visant à transférer à des pays tiers la responsabilité de fournir l’accès à une procédure d’asile rapide et efficace et à décharger la Slovénie de ses obligations internationales.
Amnesty International exhorte les membres de l’Assemblée nationale slovène à rejeter le projet de Loi sur la protection internationale sous sa forme actuelle, et à garantir que tout amendement devant être apporté à la loi sur l’asile soit compatible avec le droit international relatif aux droits humains et le droit européen.
Les notions de « pays d’origine sûrs » et de « pays tiers sûrs »
L’article 51 du projet précise les critères définissant une demande « irrecevable ». Il permettrait à l’autorité chargée de l’examen des demandes d’asile au ministère de l’Intérieur de rejeter les requêtes des demandeurs arrivés en Slovénie via « un premier pays d’asile sûr ». La question est actuellement débattue de savoir si les demandes peuvent être rejetées lorsque les demandeurs sont entrés en Slovénie depuis un « pays tiers sûr » ou un autre pays de l’UE. En outre, l’article 52 établit que toute requête soumise par un demandeur d’asile venu d’un « pays d’origine sûr » est « manifestement infondée ».
Amnesty International est fermement opposée à la notion de « pays sûrs », au motif que le besoin de protection internationale doit être établi sur la base de circonstances individuelles. La Slovénie est tenue de garantir la possibilité de demander l’asile dans le pays à ceux qui le souhaitent et d’examiner chaque demande sur le fond et au cas par cas. Il serait discriminatoire d’opposer un refus général aux demandes d’asile émanant de ressortissants de pays considérés comme « sûrs » ou de personnes qui en ont traversé, et cela se traduirait par des cas de refoulement. Par ailleurs, étendre l’application des catégories de « premiers pays d’asile sûrs » et de « pays tiers sûrs » à des procédures d’admissibilité directes risque de générer ou de perpétuer les préjugés vis-à-vis des demandeurs d’asile traversant des pays désignés comme « sûrs ».
Autre sujet de préoccupation, le droit d’interjeter appel des décisions basées sur la notion de « pays sûrs » est remis en cause dans le débat à l’Assemblée nationale et les appels n’auront pas d’effet suspensif sur l’exécution des ordres d’expulsion s’ils concernent des demandes irrecevables ou infondées. Le projet actuel prévoit que les demandeurs d’asile auront huit jours pour faire appel, un délai extrêmement court (15 jours pour des décisions rendues dans le cadre de procédures régulières).
Dans leurs déclarations, des responsables du gouvernement sous-entendent que les demandeurs d’asile arrivant en Slovénie viennent d’un « premier pays d’asile sûr » ou « pays tiers sûr » (à savoir la Croatie)[1], tandis que d’autres viennent d’un « pays d’origine sûr » via l’itinéraire des Balkans occidentaux et ne sont pas autorisés à entrer en Slovénie [2]. Il est probable que sous le nouveau régime proposé, la plupart des demandes seraient rejetées dans le cadre des procédures d’admissibilité ou au motif qu’elles sont manifestement infondées.
Des procédures accélérées aux frontières et la détention des demandeurs d’asile
L’article 43, qui vise à introduire des procédures accélérées aux frontières, aux aéroports et aux ports maritimes, permettrait aux autorités de statuer sur une demande d’asile soumise aux frontières dans un délai de 14 jours. Or, le personnel aux frontières n’ayant pas l’expertise requise pour se prononcer sur des demandes d’asile complexes, des personnes ayant réellement besoin de protection verront leurs requêtes rejetées. Il faut éviter que les procédures aux frontières se traduisent par des décisions superficielles et inefficaces.
En outre, les demandeurs d’asile seraient retenus à la frontière durant cette période et, si aucune décision n’est rendue dans le délai de 14 jours imparti, auraient uniquement accès à une procédure d’asile « régulière » et à un logement dans un centre désigné. De manière exceptionnelle, pour gérer les cas d’afflux massif de demandeurs d’asile sur une courte période, la loi permettrait aux autorités de loger des demandeurs « près de la frontière », tandis que leur accès à une procédure d’asile complète ne serait toujours pas garanti, car ils seraient soumis à une procédure accélérée comme s’ils étaient détenus dans la zone frontalière (article 43-2). Selon Amnesty International, enfermer sur un site des personnes qui ont besoin d’une protection internationale équivaut à les maintenir en détention. Les mesures qui restreignent le droit des réfugiés et des demandeurs d’asile à la liberté ne doivent être appliquées que dans des circonstances exceptionnelles et sur la base d’une évaluation individualisée de la situation de la personne concernée.
Aux termes de la Directive de l’UE sur les procédures, la Slovénie doit fournir une assistance juridique et une représentation gratuites aux demandeurs d’asile qui décident de faire appel d’une décision et ont besoin d’une aide juridique – devant inclure au minimum la préparation à l’audience. Dans le cadre des procédures à la frontière, l’accessibilité à l’aide juridique ne doit pas être restreinte et le délai pour faire appel doit être suffisant pour permettre un examen complet du dossier et du droit, notamment un examen des besoins de protection internationale du demandeur, comme le prévoit la loi européenne (Directive de l’UE sur les procédures 2013/32/EU, article 46-3).
Le projet de procédures accélérées aux frontières, associé à l’application de la notion de « pays tiers sûr », fait craindre que les personnes ayant besoin d’une protection internationale n’aient pas accès à cette protection en Slovénie, et soient privées d’un recours effectif.
Complément d’information
Depuis octobre 2015, plus de 475 000 réfugiés et migrants sont arrivés en Slovénie et l’ont traversée en empruntant l’itinéraire des Balkans occidentaux. Depuis mi-novembre, aux termes des nouvelles réglementations relatives au contrôle des frontières mises en œuvre dans la région, les réfugiés et les demandeurs d’asile venus de pays autres que la Syrie, l’Irak ou l’Afghanistan, se voient à de rares exceptions près refuser l’entrée dans le pays. Ces mesures ont été mises en place simultanément dans les pays de transit sur l’itinéraire de migration et se sont soldées par des violations des droits humains de grande ampleur, notamment des expulsions collectives et des discriminations à l’égard de personnes perçues comme des réfugiés ou migrants économiques sur la base de leur nationalité.
Le 18 février 2016, la Slovénie a accepté d’étendre la coopération entre ses agents des forces de l’ordre et ceux de l’ex-République yougoslave de Macédoine, de la Serbie, de la Croatie et de l’Autriche[3] en vue d’adopter des procédures unifiées d’enregistrement afin de réduire le flux de réfugiés et de demandeurs dans la région. Ces mesures ont débouché sur de nouvelles fermetures de frontières avec de graves conséquences humanitaires le long de l’itinéraire, particulièrement dans le nord de la Grèce. Cette coopération aurait également généré des restrictions discriminatoires aux frontières envers les Afghans, qui ne sont plus autorisés à entrer en Macédoine ni en Serbie.
Le 22 février, l’Assemblée nationale a approuvé le déploiement des Forces armées slovènes pour contribuer aux tâches de maintien de l’ordre aux frontières. Cette décision autorise l’armée à seconder la police pendant trois mois. Selon des informations émanant du gouvernement, 200 militaires sont actuellement déployés dans le cadre de ces missions.
Au 2 mars 2016, 326 demandeurs d’asile étaient logés et séjournaient dans le pays au-delà du temps nécessaire pour le traverser ; plus de 200 personnes étaient détenues pour entrée illégale ou séjour non autorisé dans le pays. Le gouvernement n’a pas officiellement communiqué de plafond précis du nombre de demandeurs d’asile autorisés à entrer et transiter par la Slovénie. Il a toutefois affirmé que le « nombre total de personnes dans un seul train venu de Croatie que la police slovène peut contrôler chaque jour conformément au règlement de Schengen » s’élève à 580[4], ce qui signifie que l’accès au territoire sera de facto limité.
Aux effets dévastateurs des listes de « pays sûrs », s’ajoutent les mesures visant à réduire et stopper le flux de migrants le long de l’itinéraire des Balkans occidentaux en usant de discrimination fondée sur la nationalité ou en définissant un plafond pour le nombre de demandeurs d’asile. Ces mesures sont contraires au droit international relatif aux réfugiés et au droit européen.