RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DE YOUGOSLAVIE : Condamnation au Monténégro pour crimes de guerre : Amnesty International demande que tous les responsables présumés des enlèvements et des meurtres de Strpci soient traduits en justice

Index AI : EUR 70/009/02

Amnesty International a appelé aujourd’hui (jeudi 12 septembre) les autorités de la République fédérale de Yougoslavie et de la Republika Srpska (RS, République serbe) à traduire en justice toutes les personnes soupçonnées d’avoir pris part à l’enlèvement, à la gare de Strpci, de 20 passagers, puis à leur meurtre, en 1993. Cet appel fait suite à la condamnation au Monténégro de Nebojsa Ranisavljevic pour sa participation à l’enlèvement.

" En dépit du verdict prononcé lundi, Amnesty International estime que la justice n’aura pas été rendue dans cette affaire tant que tous les responsables présumés de l’enlèvement de Strpci n’auront pas été traduits devant les tribunaux ", a déclaré l’organisation de défense des droits humains.

Nebojsa Ranisavljevic, trente-sept ans, a été condamné le 9 septembre par le tribunal de Bijelo Polje (Monténégro) à quinze années d’emprisonnement pour " crimes de guerre contre la population civile ", en raison de sa participation à la prise du train Belgrade-Bar en gare de Strpci (Bosnie-Herzégovine) le 27 février 1993, et à l’enlèvement puis au meurtre de 20 passagers civils (19 Musulmans et un Croate) qui voyageaient à son bord. Pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine, Nebojsa Ranisavljevic faisait partie d’une organisation paramilitaire serbe qui opérait le long de la frontière séparant ce pays de la République fédérale de Yougoslavie.

Arrêté en octobre 1996 sur la foi d’un témoignage l’impliquant dans l’enlèvement, Nebojsa Ranisavljevic a été reconnu coupable d’avoir tiré sur l’un des otages, qui tentait de s’échapper, et de l’avoir blessé. Il n’a cependant pas été convaincu de meurtre et reste la seule personne interpellée et inculpée dans le cadre de la prise du train et de l’enlèvement, malgré la somme d’éléments (présentés au cours d’un procès long de quatre ans) qui tendaient à établir la participation d’un groupe paramilitaire à l’enlèvement et aux meurtres qui ont suivi.

Selon les éléments produits lors des audiences, les otages ont été emmenés par le groupe jusqu’au village de Preljevo, non loin de Visegrad, où ils ont été roués de coups et détroussés. L’un des prisonniers a été blessé d’une balle par Nebojsa Ranisavljevic alors qu’il tentait de prendre la fuite, avant d’être achevé à la baïonnette par le chef du groupe paramilitaire, Milan Lukic. Toujours selon les éléments présentés au tribunal, les autres otages ont ensuite été abattus, et leurs corps jetés dans la Drina, la rivière voisine.

Amnesty International demande que Milan Lukic et les autres personnes qui seraient impliquées dans ces enlèvements suivis de meurtres soient arrêtés et jugés. L’organisation appelle également de ses vœux une nouvelle enquête, afin que soient traduits en justice non seulement les auteurs présumés des enlèvements, mais également ceux qui ont organisé et couvert ces crimes de guerre contre des civils.

" Les documents émanant de la compagnie nationale des chemins de fer produits lors du procès ont clairement montré la complicité d’anciens responsables politiques et militaires dans la planification de ces enlèvements ", a affirmé Amnesty International.

L’organisation de défense des droits humains reste extrêmement préoccupée par l’attitude des gouvernements de la République fédérale de Yougoslavie, de la Serbie et de la Republika Srpska, qui n’ont pour ainsi dire rien fait pour mettre fin à l’impunité dont jouissent les auteurs des crimes de guerre commis sous le gouvernement de Slobodan Milosevic, qui n’en ignorait rien. Amnesty International trouve également troublantes certaines informations, selon lesquelles le procès aurait été retardé à de nombreuses reprises en raison de manœuvres d’obstruction de la part de la police et de l’appareil judiciaire de la Republika Srpska, qui se seraient montrés peu coopératifs avec le tribunal de Bijelo Polje. L’organisation insiste pour que les autorités de la République fédérale de Yougoslavie et de la Republika Srpska s’engagent, de façon prioritaire, dans une coopération réelle et efficace au sujet de ce dossier et, plus largement, des affaires de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

Amnesty International estime que, si l’on souhaite instaurer en République fédérale de Yougoslavie et dans la région en général des conditions propices au respect et à la protection des droits humains, il est impératif de traduire en justice tous les responsables présumés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis dans les années 90 lors des conflits armés qui ont suivi l’éclatement de l’ancienne Yougoslavie, et d’accorder des réparations équitables à toutes les victimes de ces crimes.

Amnesty International considère en outre que les souffrances qu’ont ressenties les familles des victimes de Strpci en tentant de découvrir ce qui était arrivé à leurs proches constituaient de fait une violation du droit de ne pas être soumis à la torture ou à des mauvais traitements. L’organisation demande donc aux autorités de la République fédérale de Yougoslavie d’indemniser ces personnes de façon appropriée.

Rappel des faits
Le 27 février 1993, un train en provenance de Belgrade et à destination du port monténégrin de Bar a pénétré dans une zone de dix kilomètres située en Bosnie-Herzégovine, en territoire sous contrôle bosno-serbe. À la gare de Strpci, le train a été arrêté par des hommes armés en uniforme, qui sont montés à bord. Selon des témoins, certains étaient des Serbes de Bosnie ou appartenaient à la police militaire.

Les hommes en uniforme sont passés dans le train en demandant les papiers d’identité des passagers, ce qui leur a permis de connaître la nationalité de la plupart. Ils ont fait descendre au moins 20 hommes des voitures. Presque tous étaient des Musulmans du Monténégro, mais il y avait également parmi eux un Croate, retraité de l’armée yougoslave.

L’année précédente, le 22 octobre 1992, un autre groupe de Musulmans avait déjà été enlevé, apparemment par la même unité paramilitaire. Il s’agissait de passagers d’un autocar arrêté à Mioce, également en Bosnie-Herzégovine. Là encore, un seul suspect a été arrêté dans le cadre de cette affaire, qui n’a toujours pas été jugée. Plusieurs autres enlèvements auraient eu lieu dans la région du Sandjak à la même époque – une période également marquée par des mauvais traitements systématiques de la part de la police, ainsi que par les agressions et déprédations auxquelles se livraient des groupes paramilitaires qui cherchaient à intimider la population bosniaque locale.

Les enlèvements de Strpci et de Mioce seraient dus à un même groupe paramilitaire, basé à Visegrad (Bosnie-Herzégovine) et dirigé par Milan Lukic. Ce dernier a fait l’objet d’un acte d’accusation secret émanant du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie le 12 octobre 1998 (et rendu public le 30 octobre 2000) pour une série de crimes commis à Visegrad pendant les années de conflit.
Selon cet acte d’accusation, daté du 2 août 1998, Milan Lukic a formé au printemps 1992 un groupe paramilitaire qui aurait, aux côtés de la police locale et de certaines unités militaires, fait régner la terreur parmi la population musulmane de la région. Deux autres personnes (le cousin de Milan Lukic, Sredoje Lukic, et Mitar Vasiljevic) auraient également fait partie de ce groupe, qui aurait perpétré de multiples crimes dans la municipalité de Visegrad entre mai 1992 et octobre 1994 (meurtres, actes de torture, agressions, pillages et destructions diverses, entre autres). Amnesty International s’intéresse également au viol et à la " disparition " présumés de jeunes Bosniaques à l’hôtel Vilina Vlas de Visegrad, dans lesquels Milan Lukic serait également impliqué.

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