ROYAUME-UNI - Réaction à la déclaration du 5 août 2005 du Premier ministre britannique concernant la mise en place d’un « cadre global d’action pour traiter de la menace terroriste en Grande-Bretagne »

Index AI : EUR 45/031/2005

DÉCLARATION PUBLIQUE

Le vendredi 5 août 2005, le Premier ministre britannique Tony Blair a annoncé que certaines mesures étaient envisagées par les autorités britanniques après les attentats de juillet 2005 à Londres. Aucun projet de loi détaillé n’existe actuellement. Le Premier ministre a indiqué que des propositions de loi étaient « nécessaires » et allaient être « examinées de toute urgence » afin d’être prêtes prochainement. Il a également déclaré que des mesures administratives ne nécessitant pas une approbation parlementaire seraient mises en place « avec effet immédiat ».

Amnesty International a condamné sans réserve et de manière inconditionnelle les attentats qui ont eu lieu à Londres le 7 juillet 2005 et a demandé que les auteurs présumés de ces actes soient traduits en justice. L’organisation considère par ailleurs que toute mesure prise par les autorités britanniques dans l’intention de protéger la population de la répétition de tels actes doit être en conformité avec le droit international et les normes relatives aux droits humains.

Au cours des trente dernières années, Amnesty International s’est toujours inquiétée des textes de loi et autres mesures « d’urgence anti-terroristes » passés dans le cadre du conflit en Irlande du Nord qui se sont traduites par des atteintes aux droits humains. Plus récemment, l’organisation s’est inquiétée du sérieux déficit en matière de droits humains des politiques et mesures législatives adoptées au Royaume-Uni après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.

Dans ce contexte, et au vu du contenu global de la déclaration du Premier ministre, Amnesty International craint que certaines des mesures proposées n’affaiblissent encore la protection des droits humains au Royaume-Uni. L’organisation demande donc instamment au Premier ministre et à son gouvernement de s’engager à ce que le Royaume-Uni maintienne l’état de droit et la protection des droits humains pour tous, et de veiller à ce que toute mesure prise après les attentats de juillet 2005 à Londres soit pleinement conforme au droit international relatif aux droits humains.

Globalement, la déclaration officielle du Premier ministre et les réponses fournies par lui aux questions des médias constituent un sérieux revers pour les droits humains.

Amnesty International est particulièrement préoccupée par le fait que certaines des mesures proposées par le Premier ministre contredisent le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire, affaiblissent la règle du droit et portent atteinte à certains droits fondamentaux de la personne humaine. Le Premier ministre semble en effet être revenu sur :

 l’interdiction absolue de la torture et autres mauvais traitements, et le principe inhérent à cette interdiction, interdisant le renvoi forcé d’une personne vers un pays où il y a des raisons sérieuses de penser qu’elle risque d’être victime de torture ou de mauvais traitements - connu sous le nom de principe de non-refoulement ;

 le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile, ainsi que le droit de toute personne cherchant la protection internationale à un examen individuel et approfondie de sa demande d’asile, dans le cadre d’une procédure équitable et satisfaisante, conforme aux normes du droit international relatif aux droits humains et au droit des réfugiés. Toute intention de refuser à une personne le statut de réfugié doit être envisagée dans le cadre de la procédure normale d’attribution du statut de réfugié et respecter les règles fondamentales d’équité en termes de procédure, notamment le droit d’interjeter appel de la décision d’exclusion et de rester au Royaume-Uni en attendant le résultat de l’appel ;

 le droit à la liberté d’expression et d’association ;

 le principe de légalité et de certitude légale ;
le droit de toute personne à être informée immédiatement des raisons de son arrestation et de sa détention ;

 le droit de toute personne dont on peut soupçonner de façon plausible qu’elle a commis une infraction prévue par le Code pénal d’être inculpée rapidement et de comparaître en justice dans un délai raisonnable, dans le cadre d’une procédure respectant pleinement les normes internationalement reconnues d’équité des procès ;

 le droit à un procès équitable avec la garantie d’une procédure régulière.

Le droit de ne pas être soumis à des actes de torture ou autres mauvais traitements, qui inclut le droit de ne pas être renvoyé de force vers un pays ou un territoire où le risque de subir de tels actes existe - protection contre le refoulement - s’applique à toutes les personnes, quelles que soient les infractions qu’elles aient commises ou soient soupçonnées d’avoir commis ; il s’agit d’une règle du droit international coutumier s’appliquant à tous les États. Ce droit a également été codifié en droit conventionnel, notamment dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), dont la plupart des dispositions ont été transcrites dans la Loi relative aux droits humains de 1998.

Dans sa déclaration, le Premier ministre a abordé la question de comment « s’y prendre avec » les personnes ayant versé dans « l’extrémisme » - un concept pour lequel il n’a proposé aucune définition - en particulier les personnes « prônant l’extrémisme ou faisant du prosélytisme ». La solution donnée par le Premier ministre est la suivante, selon ses propres termes : « à mon sens, tout ressortissant étranger prônant l’extrémisme ou engagé dans des activités extrémistes dans ce pays doit partir. » À cet égard, Amnesty International considère que si les autorités britanniques soupçonnent des personnes, contre lesquelles existent des charges suffisantes, d’avoir commis certaines infractions pénales, leur devoir immédiat devrait être de les inculper et de les faire comparaître en justice dans les meilleurs délais, lors d’une procédure répondant aux normes internationalement reconnues d’équité des procès.

Dans ce contexte, Amnesty International est également profondément préoccupée par les remarques du Premier ministre concernant les décisions entièrement justifiées prises par des tribunaux nationaux d’annuler des arrêtés d’expulsion concernant des personnes risquant la torture et autres mauvais traitements dans le pays vers lequel les autorités britanniques voulaient les renvoyer. Amnesty International considère que, plutôt que de s’en prendre aux décisions judicaires et aux règles du droit de cette manière, le Premier ministre devrait engager son gouvernement à se conformer aux obligations du Royaume-Uni au regard du droit international.

Amnesty International s’inquiète également beaucoup de la « nouvelle approche » évoquée par le Premier ministre dans sa déclaration à propos des arrêtés d’expulsion. Selon cette « nouvelle approche », lorsque les autorités britanniques veulent expulser une personne vers un pays où existe un risque substantiel de torture ou de mauvais traitements, les autorités britanniques devraient obtenir ce qu’il a qualifié d’ « assurances diplomatiques » de la part des autorités du pays de renvoi - ou négocier un protocole d’accord avec les autorités de ce pays - garantissant que la personne ne sera ni torturée ni maltraitée à son retour. L’organisation considère que de telles « assurances diplomatiques » et de tels accords reviendraient à bafouer le principe de non-refoulement, partie intégrante de l’interdiction absolue de la torture et autres mauvais traitements. En conséquence, Amnesty International n’accepte pas que des assurances diplomatiques ou des accords puissent dégager un État de son obligation de ne pas renvoyer de force une personne vers un pays ou un territoire où des risques de torture et mauvais traitements sont à craindre.

En outre, Amnesty International déplore toute tentative éventuelle possible de modification de la Loi relative aux droits humains de 1998 dans le sens préconisé par le Premier ministre, afin de surmonter les obstacles mis par les tribunaux aux expulsions voulues par le Premier ministre et son gouvernement. Le droit d’être libre de tout acte de torture et autres mauvais traitements et le principe du non-refoulement inhérent à ce droit - sont inaliénables, inviolables et ne peuvent être soumis à dérogation. Toute tentative par les autorités britanniques de s’attribuer la compétence des tribunaux nationaux et de les empêcher de faire respecter un tel droit fondamental serait clairement une entorse aux obligations du Royaume-Uni eu regard du droit international.

L’organisation est aussi extrêmement préoccupée par l’annonce du Premier ministre qui a déclaré que « quiconque ayant participé à des actes de terrorisme, ou ayant été impliqué dans des activités terroristes où que ce soit dans le monde, se verra automatiquement refuser le droit d’asile dans le pays. » Amnesty International s’inquiète depuis longtemps du flou de la prétendue définition du « terrorisme », inscrite dans la Loi de 2000 relative au terrorisme ; l’organisation craint que l’annonce du Premier ministre ne revienne à passer outre au droit international des réfugiés. Amnesty International craint que des personnes ne se retrouvent exclues pour avoir été impliquées dans des actions menées par des groupes politiques armés ou dans des activités politiques dont la nature et l’ampleur ne seraient pas de nature à leur interdire l’obtention du statut de réfugiés au titre de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (Convention sur les réfugiés) et de son Protocole de 1967. La Convention sur les réfugiés ne prévoit qu’un nombre limité de cas dans lesquels elle ne saurait être applicable ; ils concernent les personnes dont on aurait des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis des crimes contre la paix, des crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou crimes graves de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés. En tout état de cause, même lorsqu’une personne ne peut se voir accorder le statut de réfugié au titre de la Convention sur les réfugiés, les autorités britanniques restent liées par le droit international coutumier et les dispositions établies, entre autres, par la Convention contre la torture et la CEDH et sont tenues de respecter le principe de non-refoulement énoncé plus haut.

Amnesty International s’inquiète également de certaines propositions visant à rallonger la période limite de quatorze jours pendant lesquels la police peut détenir une personne au titre de la Loi de 2000 relative au terrorisme sans que celle-ci ait été inculpée ou jugée. Le Premier ministre a indiqué dans sa déclaration que les autorités britanniques examineraient « si la procédure nécessaire peut être mise en place pour satisfaire à la demande des services de police et de sécurité qui souhaite que soit prolongée de manière significative la période de détention avant inculpation des personnes soupçonnées de terrorisme. » Amnesty International redoute que les périodes de détention avant inculpation et avant jugement ne soient prétexte à des abus et ne poussent les détenus à faire des déclarations sous la contrainte, des aveux notamment, ce qui restreindrait le droit à un procès équitable et le principe d’une procédure régulière. Toute personne détenue doit comparaître devant un juge dans les quatre jours suivant le début de sa détention et toute prolongation de la durée de sa détention doit faire l’objet d’une autorisation judiciaire. En outre, la détention ne doit pas être utilisée sans intention ni perspective sérieuses d’inculpation, ce qui reviendrait sinon à un internement sans procès. Toute personne a le droit d’être inculpée et jugée dans un délai raisonnable lors d’une procédure pleinement conforme aux normes internationalement reconnues d’équité des procès.

Au vu des risques inhérents aux périodes prolongées de détention sans inculpation ni jugement, Amnesty International considère que de strictes garanties légales doivent être observées, notamment :

 la notification d’emblée des raisons de l’arrestation et des droits de toute personne, notamment le droit de consulter un avocat ;

 la possibilité immédiate de consulter un avocat, dès le début de la détention et pendant toute la durée de celle-ci ;

 l’assurance de la présence d’un avocat durant les interrogatoires, et la possibilité pour la personne de s’entretenir en privé avec l’avocat de son choix ;
un enregistrement audio et vidéo de toutes les séances d’interrogatoire ;

 la possibilité pour la personne de voir sa famille et de consulter un médecin ;

 la possibilité pour la personne détenue d’exercer son droit à entamer une procédure visant à contester la légalité de sa détention, obtenir rapidement une décision de justice et retrouver la liberté si sa détention est jugée illégale ;

 un contrôle judiciaire régulier de la détention dès le début de celle-ci, avec la possibilité pour le détenu de comparaître en personne devant l’instance compétente à chaque étape et de faire les démarches lui-même ou assisté de son avocat, avant qu’un accord de prolongation ne soit accordé.

Enfin, le Premier ministre a semblé, dans sa déclaration, écarter toute critique des mesures législatives et autres mises en place au Royaume-Uni après le 11 septembre 2001. Selon lui, « dans les quatre semaines écoulées depuis les attentats du 7 juillet [...] tout le monde a compris que lorsque nous parlons de menace terroriste, nous ne faisons pas d’alarmisme. » Amnesty International répète une nouvelle fois que sécurité et droits humains ne sont pas une alternative ; les deux fonctionnent ensemble. Le respect pour les droits humains conduira à plus de sécurité, il n’y fera pas obstacle. Une plus grande sécurité passe par le respect des droits humains, non par des violations de ces droits. Comme l’a souligné le secrétaire général des Nations unies : « s’il faut certainement se montrer vigilants pour empêcher les actes de terrorisme, ... nous irions à l’encontre du but recherché en sacrifiant d’autres priorités essentielles - comme les droits humains - dans le processus. »

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