Russie. Décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Bitiyeva et autres c. Russie.

Déclaration publique

EUR 46/027/2007

Amnesty International salue le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme, rendu public ce jeudi 21 juin, dans l’affaire Bitiyeva et autres c. Russie.

Zoura Bitieva (ou Bitiyeva) était une militante pacifiste connue en république de Tchétchénie, dans la Fédération de Russie. Elle dénonçait le conflit armé et les atteintes aux droits humains perpétrées en Tchétchénie, avait organisé des marches et des manifestations pour la paix de femmes tchétchènes. Arrêtée et placée en détention arbitraire en Tchétchénie en 2000, elle avait été exécutée hors de tout cadre légal en même temps que trois autres membres de sa famille en 2003.

La Cour européenne des droits de l’homme a statué que, dans cette affaire, la Russie avait violé le droit à la vie, l’interdiction de tout traitement cruel, inhumain et dégradant et le droit à la liberté et à la sûreté ainsi que le droit à un recours effectif (articles 2, 3, 5 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).

L’exemple de Zoura Bitieva illustre avec force les dangers auxquels sont confrontés ceux et celles qui osent réclamer justice et dénoncer le conflit et les atteintes aux droits humains perpétrées dans le conflit de Tchétchénie. Zoura Bitieva n’est pas un cas isolé. De nombreuses personnes en Tchétchénie ayant déposé plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’homme pour de graves atteintes aux droits humains ont été victimes de représailles. Certaines ont été la cible d’actes d’intimidation, d’autres ont été harcelées sans relâche par des responsables de l’application des lois, d’autres encore ont été tuées ou ont « disparu ». Malgré le risque sérieux que cela représente pour leur propre sécurité et celle de leur famille, beaucoup refusent de se laisser réduire au silence et continuent de réclamer justice.

Zoura Bitieva, née en 1948, avait introduit une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme au début de l’année 2000, à sa sortie d’un centre de détention non officiel situé à Tchernokozovo, en Tchétchénie. Elle a été tuée, ainsi que trois autres membres de sa famille, chez elle le 21 mai 2003, par des hommes armés non identifiés portant des tenues de camouflage. Selon les déclarations de témoins oculaires, ces hommes parlaient russe et se déplaçaient en véhicules militaires, et ils avaient franchi des barrages routiers pendant les heures de couvre-feu. La fille de Zoura Bitieva affirme que sa mère a été tuée par des agents de l’État russe, en représailles de sa plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

La détention de Zoura Bitieva à Tchernokozovo, compte tenu de son âge, des mauvaises conditions de détention dans ce centre et du manque de soins médicaux adaptés à son état de santé, a provoqué, selon la Cour, un niveau de souffrance s’apparentant à un traitement inhumain et dégradant. Sa détention dans ce centre était arbitraire et a été décidée « au mépris total des exigences de légalité ». La Cour a estimé que l’usage de centres non officiels de détention comme Tchernokozovo entretenait un climat d’impunité pour toutes sortes d’abus et était absolument incompatible avec la responsabilité des autorités qui doivent répondre des actes des personnes sous leur contrôle.

La Cour a conclu que la mort de Zoura Bitieva et de trois de ses proches pouvait être attribuée à l’État. La fille de Zoura Bitieva a démontré qu’il existait des éléments suffisants de preuve permettant d’affirmer que Zoura Bitieva, Ramzan Idouev (ou Idouyev), Idris Idouev (ou Idouyev) et Abibakar Bitiev (ou Bitiyev) avaient été exécutés sommairement par des agents de l’État et le gouvernement russe n’a fourni aucune autre explication sur ce qui s’était passé. La fille de Zoura Bitiyeva n’a pas eu droit à un recours effectif, les autorités russes n’ayant pas ouvert d’enquête effective et approfondie sur ces morts dans les meilleurs délais.

Selon le jugement rendu, les autorités russes ont également failli à leurs obligations en ne fournissant pas à la Cour toutes les facilités nécessaires (article 38 de la CEDH).

Au vu de ce jugement, Amnesty International renouvelle son appel au gouvernement russe pour qu’il
  applique sans délai les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme ;
  prenne immédiatement des mesures pour mettre un terme aux atteintes aux droits humains perpétrées en Tchétchénie, notamment aux arrestations arbitraires, détentions au secret, actes de torture et mauvais traitements, ainsi qu’aux exécutions sommaires ;
  enquête sur toutes les allégations d’atteintes aux droits humains et poursuivent les auteurs présumés de tels actes devant des tribunaux respectant les normes internationales d’équité des procès ;
  prenne des mesures effectives visant à empêcher les actes de représailles contre ceux et celles qui dénoncent les atteintes aux droits humains et contre toute personne s’adressant à la Cour européenne des droits de l’homme ;
  veille à ce que toutes les allégations de représailles fassent l’objet dans les meilleurs délais d’une enquête approfondie et indépendante et fasse en sorte que les auteurs présumés de tels actes soient traduits en justice devant des tribunaux respectant les normes internationales d’équité des procès.

L’intégralité du jugement est disponible sur le site http://www.coe.int/

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