Russie. Un an après la mort d’Anna Politkovskaïa, les autorités russes doivent prendre de nouvelles mesures

Déclaration publique

EUR 46/042/2007

Cette semaine, des citoyens du monde entier, dont des membres et sympathisants d’Amnesty International, rendront hommage à Anna Politkovskaïa, journaliste et défenseure russe des droits humains assassinée le 7 octobre 2006 devant son appartement à Moscou. Elle est très certainement morte en raison de son travail de journaliste, qui l’amenait à dénoncer les atteintes aux droits humains commises dans toute la Russie. Amnesty International estime que le déroulement de l’information judiciaire ouverte sur sa mort témoigne jusqu’à présent du manque de volonté politique de traduire en justice les instigateurs de ce meurtre.

Depuis fin août 2007, au moins 12 personnes ont été interpellées dans le cadre de cette affaire, mais plusieurs ont été relâchées lorsqu’il est apparu qu’elles avaient un alibi. Parmi les suspects dont les noms ont été rendus publics figurent de hauts responsables du ministère de l’Intérieur et du Service fédéral de sécurité (FSB), ainsi qu’un ancien responsable de l’administration locale en Tchétchénie. Toutefois, un an après la mort d’Anna Politkovskaïa, on ignore toujours qui est le meurtrier, tandis que l’enquête semble piétiner en ce qui concerne l’identification des instigateurs. Si les anciens collègues d’Anna Politkovskaïa du journal Novaïa Gazeta (Le nouveau journal) s’étaient déclarés satisfaits tout au long de l’année du travail effectué par l’équipe du bureau du procureur général en charge de l’enquête, ils redoutent désormais que les instigateurs de son assassinat ne soient jamais déférés à la justice. Par ailleurs, l’avocat de trois frères tchétchènes incarcérés en raison de leur implication présumée dans l’homicide a affirmé que ses clients avaient subi des mauvais traitements. Cette allégation, alliée au fait que d’autres suspects ont manifestement été placés en détention par erreur, laisse à craindre que l’enquête ne soit pas menée dans le plein respect de la loi.

Anna Politkovskaïa était la cible d’intimidations et de harcèlement de la part des autorités russes et tchétchènes parce qu’elle critiquait ouvertement la politique et l’action du gouvernement. Après avoir commencé à écrire en 1999 sur le conflit armé en Tchétchénie et dans le Caucase du Nord, elle a été placée en détention et menacée à plusieurs reprises de graves représailles, notamment de mort. Elle a interrogé des Russes, des Tchétchènes et des membres d’autres groupes ethniques qui affirmaient avoir été victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements, ou assuraient que justice ne leur avait pas été rendue par les autorités de la Fédération de Russie. Parce qu’elle dénonçait dans le cadre de son travail les graves atteintes aux droits humains, la corruption et d’autres violations de la loi en Fédération de Russie, Anna Politkovskaïa était accusée de soutenir les « terroristes » et d’être l’ennemie du peuple russe – ce qui ne l’a pas arrêté. Tout en étant consciente des restrictions qui continuaient d’entraver le travail des journalistes indépendants sur la Tchétchénie et le Caucase du Nord, elle considérait de son devoir de continuer à écrire sur ceux qui n’avaient pas d’autre moyen de se faire entendre.

Aujourd’hui, d’autres journalistes, défenseurs des droits humains et avocats en Fédération de Russie sont en butte aux agressions, aux mesures d’intimidation et aux menaces – y compris aux menaces de mort. Beaucoup préfèrent ne pas en parler publiquement. Mais ces dernières années, Amnesty International a reçu des témoignages fiables émanant de plusieurs défenseurs des droits humains et journalistes que des agents tant gouvernementaux que non gouvernementaux ont tenté de réduire au silence au moyen de lourdes menaces.

L’une de ces personnes menacées, la journaliste Fatima Tlisova, a écrit des articles sur la situation dans le Caucase du Nord pour diverses agences de presse. Lors d’une conférence de presse à Washington cette année, elle a déclaré qu’elle pensait avoir été victime de tentatives d’empoisonnement lorsqu’elle vivait à Naltchik, en Kabardino-Balkarie. Une autre affaire concerne Magomed Mutsolgov, défenseur des droits humains d’Ingouchie : un site Internet géré depuis la République d’Ingouchie a publié cette année une lettre rédigée par un homme qui affirmait avoir surpris des conversations entre des membres des organes chargés du maintien de l’ordre public évoquant la nécessité de faire cesser, par tous les moyens, le travail de Magomed Mutsolgov. Il dirige Mashr, organisation de défense des droits humains qui apporte son soutien aux familles des victimes de « disparitions » forcées et de torture. Peu après la publication de cette lettre sur Internet, Magomed Mutsolgov a confié à Amnesty International qu’il était certain d’être suivi.

Amnesty International exhorte les autorités russes à prendre fermement et sans ambiguïté la défense des journalistes, des avocats et des défenseurs des droits humains qui parlent ouvertement de la situation des droits humains en Fédération de Russie.

L’organisation engage les autorités russes et tchétchènes à prendre des mesures concrètes visant à permettre aux observateurs indépendants et aux journalistes, y compris étrangers, de rendre compte de la situation en Tchétchénie sans crainte de représailles.

Par ailleurs, elle demande aux autorités russes de protéger les journalistes, les défenseurs des droits humains et les avocats en menant des enquêtes déterminées sur les agressions dont ils affirment être la cible et, notamment, mais pas seulement, sur le meurtre d’Anna Politkovskaïa. Les personnes soupçonnées d’avoir commis ces crimes, notamment celles qui les ont ordonnés ou orchestrés, doivent être déférées à la justice sans délai.

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