Communiqué de presse

Ségrégation, harcèlement et peur : l’éducation sacrifiée des enfants roms en Europe

Au fin fond de Sofades, petite localité proche de la ville de Karditsa, dans le centre de la Grèce, la 4e école primaire ressemble à une vieille prison délabrée.

Le bâtiment est tellement vétuste qu’aucun enfant ne devrait jamais avoir à passer du temps ici. Comment imaginer que quelqu’un puisse apprendre quelque chose entre ces murs où les coupures d’électricité sont fréquentes et où il n’y pas suffisamment de salles de classe ? Et pourtant ce sont quelque 200 garçons et filles âgés de six à 14 ans qui tous les jours franchissent les grilles rouillées de l’école située à l’intérieur du lotissement rom, et qui essaient d’en tirer le meilleur parti possible.

Tous ces enfants sont roms. L’« école ghetto », comme ils l’appellent, est le seul moyen pour eux d’accéder à l’éducation.

Aux quatre coins de l’Europe – en Grèce, en République tchèque, en France et en Slovaquie, pour ne citer que quelques exemples –, les Roms sont bien souvent traités comme des citoyens de seconde zone. En proie à l’exclusion sociale systématique, vivant dans des conditions d’extrême précarité et victimes d’agressions racistes et d’expulsions forcées, les enfants roms n’ont pas souvent de véritable chance de progresser dans la vie. Ils sont pris au piège, enfermés dans un cercle vicieux de pauvreté et de marginalisation.
Comme si le temps s’était arrêté, la ségrégation existe toujours et reste trop peu remise en cause.

La discrimination à l’égard des enfants roms dans l’éducation présente de multiples facettes. Ces enfants sont soit placés de manière disproportionnée dans des établissements conçus pour des élèves présentant un « handicap mental léger » soit relégués dans des classes ou des écoles n’accueillant que des Roms. Ceux qui fréquentent des écoles mixtes du système classique sont fréquemment en proie à des brimades et des actes de harcèlement insupportables.

Pour de nombreuses familles roms, les choses sont si difficiles que les enfants finissent par ne plus aller du tout à l’école, ce qui risque de peser gravement sur leur avenir.

Les écoles-conteneurs

Lors d’une visite effectuée récemment en Slovaquie, Amnesty International a constaté que les autorités construisaient des écoles dans des conteneurs métalliques à proximité des quartiers roms. Les enfants se retrouvent ainsi parqués à l’écart de la société.

Construites avec des matériaux qui ressemblent à des conteneurs de navire, elles se composent d’un grand bâtiment à toit plat d’un ou deux niveaux, comprenant simplement des salles de classe et des couloirs. Une telle école revient à 200 000 euros, un coût bien inférieur à celui d’un établissement construit en brique et mortier. Ces écoles sont fréquentées exclusivement par des enfants roms.

Le père d’Imrich, un garçon scolarisé dans un collège classique mixte de la ville slovaque de Kežmarok, s’inquiète des conséquences de la ségrégation des enfants roms : « Si nos enfants ne vont en classe qu’avec d’autres élèves roms, comment voulez-vous qu’ils se mélangent aux personnes non roms et qu’ils s’intègrent lorsqu’ils iront à l’école secondaire ?  »

Pas de chez-soi

Dans certains pays européens, comme la France, les autorités municipales vont parfois jusqu’à refuser d’inscrire les enfants roms à l’école.
Les fréquentes évacuations forcées de communautés roms entières laissent un certain nombre de familles sans adresse fixe, alors même que certaines municipalités exigent précisément une adresse pour inscrire un enfant à l’école.

Et pour qui a la chance d’avoir un chez-soi, les conditions de vie et l’accès à une hygiène et des installations sanitaires correctes sont souvent si déplorables que certains parents n’osent pas envoyer leurs enfants à l’école, par crainte qu’ils ne soient davantage mis à l’écart.
Brimades

Les enfants roms inscrits dans des écoles classiques mixtes sont eux aussi en proie à des brimades et des actes de harcèlement.

Katka (pseudonyme), une fillette rom scolarisée dans un établissement
classique mixte d’Ostrava, en République tchèque, nous a déclaré : « Un jour, nous écoutions un chanteur rom pendant le cours de musique et le professeur nous a demandé si nous savions qui étaient les Roms et s’il y avait des Roms parmi nous. J’ai levé le doigt. Beaucoup de choses ont changé à la suite de cela. Le garçon qui était assis à côté de moi s’est mis à écarter sa chaise et à dire qu’il ne voulait pas être assis à côté d’une gitane. Un voyage scolaire a été programmé, mais personne ne voulait partager sa chambre avec moi, alors je ne suis pas partie. Personne ne voulait de moi comme amie, mais j’ai fini quand même par me faire une copine, et maintenant ça va. Mais quand même, on me rappelle toute les semaines que je suis rom, que je suis sale et que je suis différente. »

En Grèce aussi les enfants roms font l’objet de brimades. Amnesty International et le Greek Helsinki Monitor se sont rendus récemment dans le bidonville de Sofos, à Aspropyrgos, près d’Athènes. Les deux organisations ont rencontré des enfants qui avaient peur de se rendre à l’école locale mixte dont ils dépendaient après la fermeture par les autorités de l’établissement réservé aux Roms.

Anna (pseudonyme), 13 ans, vit avec ses parents et sa sœur aînée dans le bidonville. Elle a été solarisée dans l’école réservée aux Roms pendant quelques années et est désormais inscrite à l’école mixte. La directrice de l’établissement accueille bien les élèves, mais le père et la mère d’Anna ont peur de la réaction violente des parents, qui s’est déjà manifestée lors de précédentes tentatives d’intégrer les enfants roms dans les écoles ordinaires. « Ils [des habitants] nous ont chassés du terrain de jeux de la ville », explique Anna.

Des engagements non tenus

En Grèce, en République tchèque, en France et en Slovaquie, les autorités n’ont jusqu’à présent pas pris les mesures suffisantes pour mettre en œuvre le peu d’engagements qu’elles avaient pris en vue de faire évoluer les choses.
Malgré plusieurs décisions de justice faisant obligation aux gouvernements de mettre un terme aux diverses formes de discrimination et d’interdire la ségrégation des enfants dans des écoles réservées aux Roms ou des écoles pour les élèves présentant un « handicap mental léger », peu de choses ont changé.

En novembre 2007, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que le placement disproportionné d’enfants roms dans des écoles destinées à des élèves souffrant d’un handicap mental léger en République tchèque violait les droits des enfants roms de ne pas subir de discrimination dans l’accès à l’éducation. La Cour européenne a demandé au gouvernement de mettre un terme à la discrimination et de remédier à ses conséquences. Le processus de réforme lancé par le gouvernement tchèque se révèle toutefois si lent qu’il n’apporte pas de solution véritable au problème.

En Slovaquie, le tribunal régional de Presov, dans l’est du pays, a rendu une décision importante en octobre 2012, établissant que la ségrégation d’enfants roms dans des classes spécifiques, sur des critères ethniques, était contraire à la législation du pays en matière de lutte contre la discrimination. Cette pratique demeure malgré tout très répandue aujourd’hui.

En Grèce, finalement, malgré l’adoption d’un Programme national pour l’éducation des enfants roms, les progrès constatés dans certaines régions ne peuvent se poursuivre faute de financement.

Procédure d’infraction de l’UE

Fait sans précédent, la Commission européenne a lancé en septembre 2014 une procédure d’infraction à l’encontre de la République tchèque pour violation de la législation européenne en matière de lutte contre la discrimination, pour cause de discrimination des enfants roms dans l’éducation.

Par cette procédure la Commission peut amener le gouvernement à rendre compte de ses actes et à mettre un terme à la discrimination systématique des enfants roms dans l’éducation.

Le gouvernement tchèque a commencé par remettre en question la compétence de la Commission à introduire une telle procédure dans le domaine de l’éducation, mais coopère désormais et a entamé une réforme de la loi relative aux établissements scolaires.

« Il faut s’attaquer au phénomène profondément ancré de la discrimination à l’égard des Roms, a déclaré Gauri van Gulik, directrice-adjointe du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International, faute de quoi des milliers d’enfants resteront pris au piège d’un cercle vicieux de ségrégation, de peur et d’occasions manquées. »

« Au lieu de fermer les yeux sur le problème de la ségrégation et de la discrimination à l’égard des Roms, les autorités de la Grèce, de la République tchèque, de la France, de la Slovaquie et de tous les pays où vivent des Roms doivent adopter des réformes systémiques pour traiter au fond la cause profonde de ces problèmes : les préjugés ethniques. Ceci passe par un message politique fort et clair : il faut mettre un terme à la discrimination illégale à l’égard des enfants roms dans l’éducation. »

Amnesty International publie le 23 avril un rapport complet sur la discrimination dont les enfants roms sont victimes dans les établissements scolaires en République tchèque.

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