Sierra Leone. Malgré les condamnations prononcées dernièrement, l’impunité reste la règle

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

La reconnaissance par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, ce mercredi 25 février 2009, de la culpabilité de trois membres haut placés du Front révolutionnaire uni (RUF) jugés pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, dont des viols et d’autres crimes à caractère sexuel, est une décision positive, mais qui reste insuffisante pour combattre l’impunité dans ce pays, a déclaré Amnesty International.

La chambre de première instance du Tribunal spécial a déclaré Issa Hassan Sesay, Morris Kallon et Augustine Gbao coupables de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis pendant le conflit armé interne qui a déchiré la Sierra Leone entre 1991 et 2002.

Les accusés ont été jugés pénalement responsables, entre autres, d’homicides illégaux, de viol, de mariage forcé, d’actes de terrorisme, d’attaques contre des forces de maintien de la paix, de réduction en esclavage et d’autres actes inhumains – ce qui vient renforcer la condamnation internationale des crimes de violence sexuelle.

« En reconnaissant la culpabilité de ces personnes, le Tribunal spécial envoie un message clair à la communauté internationale en général et aux auteurs de crimes contre des Africains en particulier : les responsables de crimes relevant du droit international ne sauraient rester impunis », a déclaré Christopher Keith Hall, conseiller juridique d’Amnesty International.

Cependant, l’organisation tient à souligner que seuls quelques-uns des principaux responsables présumés du conflit armé en Sierra Leone ont été traduits devant le Tribunal spécial.

Elle estime que de nombreuses autres personnes – peut-être plusieurs centaines – devraient faire l’objet d’une enquête en Sierra Leone ou dans tout autre pays disposé à exercer sa compétence universelle et, en cas de preuves suffisantes, être jugées dans le cadre de procès équitables sans encourir la peine de mort.

Par ailleurs, en reconnaissant deux des trois accusés coupables d’avoir recruté ou enrôlé des enfants de moins de quinze ans dans des forces ou des groupes armés ou de les avoir utilisés dans les combats, la chambre de première instance a confirmé une nouvelle fois que ces actes étaient de graves crimes de guerre et que leurs auteurs devaient être condamnés à des peines tenant compte de cette gravité.

La décision du Tribunal spécial a aussi réaffirmé le principe selon lequel une amnistie accordée à une personne responsable de crimes relevant du droit international – comme c’est le cas en Sierra Leone et dans plusieurs autres États africains – n’est pas un obstacle à des poursuites en vertu de ce même droit.

En effet, l’Accord de Lomé en date du 7 juillet 1999 contient une clause d’amnistie interdisant toute poursuite devant un tribunal de Sierra Leone pour des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et d’autres crimes relevant du droit international. En outre, même si cette amnistie n’existait pas, de telles poursuites seraient impossibles car le droit national sierra-léonais ne reconnaît pas ces crimes.

« Le gouvernement sierra-léonais doit faire abstraction des clauses d’impunité qui figurent dans l’Accord de Lomé et ériger en infractions, dans le droit national, tous les crimes relevant du droit international – tels que le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, la torture et les disparitions forcées. Sinon, les victimes seront obligées d’aller porter plainte dans d’autres États qui reconnaissent la compétence extraterritoriale, notamment la compétence universelle », a précisé Christopher Keith Hall.

Note aux rédacteurs

• À ce jour, 13 personnes ont été inculpées par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone dans le cadre de son mandat limité, qui consiste à poursuivre les personnes portant la responsabilité la plus lourde dans les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les autres graves violations du droit international humanitaire commis après le 30 novembre 1996.
• Huit de ces 13 personnes ont pour l’instant été reconnues coupables et condamnées. Deux sont mortes, deux autres sont toujours en fuite et le procès de l’ancien président libérien Charles Taylor se poursuit à La Haye. Charles Taylor doit répondre de 11 chefs d’inculpation pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis en Sierra Leone (dont des exécutions illégales, des viols et le recours à des enfants soldats). Le Tribunal spécial cherche actuellement les 5 millions de dollars (4 millions d’euros) nécessaires pour mener ce procès à son terme.
• En février, les peines prononcées en première instance à l’encontre des membres du Conseil révolutionnaire des forces armées (AFRC) Alex Tamba Brima, Ibrahim Bazzy Kamara et Santigie Borbor Kanu ont été confirmées en appel. Alex Tamba Brima avait été condamné à cinquante ans de réclusion et les deux autres à quarante-cinq ans chacun.
• Le procès de Moinina Fofana et d’Allieu Kondewa, membres des Forces de défense civile (CDF), s’est achevé en mai. Les deux accusés ont été condamnés en appel à des peines deux fois plus lourdes qu’en première instance, soit respectivement quinze et vingt ans de détention.
• Bien que les statuts du Tribunal spécial pour la Sierra Leone ne contiennent aucune disposition relative aux réparations, une procédure de réparation devrait débuter fin février. C’était l’une des principales recommandations de la Commission sierra-léonaise de la vérité et de la réconciliation. Cette procédure devrait aboutir à l’indemnisation de quelque 100 000 personnes, parmi lesquelles des amputés, des blessés de guerre, des victimes de violences sexuelles, des veuves de guerre et des enfants. Actuellement, les financements proviennent en grande partie du Fonds des Nations Unies pour la consolidation de la paix, mais ils sont largement insuffisants.

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