La situation en matière de droits humains se détériore

Trois ans après l’annexion illégale de la Crimée par la Russie, en mars 2014, la situation sur la péninsule en matière de droits humains est en train de se dégrader rapidement. L’absence de tout mécanisme international efficace de suivi, à même de se rendre sur place, ne fait qu’aggraver les choses, dans la mesure où elle encourage les autorités russes et le pouvoir de fait en Crimée à poursuivre la campagne qu’ils mènent sans relâche pour venir à bout des derniers vestiges de dissidence. La communauté internationale doit se donner pour priorité d’assurer une surveillance effective de la situation en matière de droits humains en Crimée, en convenant notamment des conditions concrètes d’un libre accès du mécanisme ad hoc à la péninsule.

Amnesty International a publié en décembre 2016 un rapport intitulé Crimea in the dark : The silencing of dissent, qui dénonce de multiples violations des droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association de la part de la Russie et des autorités de fait en place en Crimée. Depuis cette date, les persécutions et les actes de harcèlement des dernières voix dissidentes, qui appartiennent pour la plupart à la communauté des Tatars de Crimée, se sont intensifiés.

Les poursuites judiciaires intentées contre les membres et les dirigeants du Mejlis [Assemblée] des Tatars de Crimée, qualifié d’organisation « extrémiste » par les autorités russes, ont atteint des proportions inédites. Des charges supplémentaires ont été retenues contre des militants déjà accusés, sur la foi d’éléments fallacieux, d’appartenance à l’organisation islamiste Hizb ut-Tahrir, qui figure sur la liste des organisations terroristes établie par le gouvernement russe. Rares étaient les avocats qui osaient défendre des personnes accusées d’extrémisme ou d’infractions relevant du terrorisme en Crimée. Les deux avocats les plus en vue qui s’y sont risqués (l’un originaire de Russie, l’autre habitant la Crimée) se sont heurtés à d’intenses manœuvres de harcèlement de la part des autorités locales de fait et du pouvoir russe.

Parallèlement, les citoyens ordinaires appartenant à la communauté des Tatars de Crimée sont eux aussi confrontés à un niveau de harcèlement sans précédent, sous forme, notamment, de perquisitions menées par les forces de sécurité, qui ciblent manifestement ce groupe ethnique en particulier, de façon arbitraire. On constate également une multiplication en Russie des mesures de détention administrative destinées à punir les usagers des réseaux sociaux « coupables » d’avoir mis en ligne des contenus jugés « extrémistes », y compris avant l’annexion de la Crimée par la Russie.

Depuis l’occupation russe, les mécanismes internationaux et régionaux de protection des droits humains se voient refuser l’accès à la péninsule par les autorités locales de fait. Au premier rang de ces mécanismes figurent notamment le haut-commissaire de l’OSCE pour les minorités nationales et la rapporteuse spéciale de l’ONU sur les questions relatives aux minorités. Depuis que la Russie a établi une frontière entre la Crimée et le reste de l’Ukraine, elle considère tout passage dans la péninsule comme une entrée sur le territoire de la Fédération de Russie. Sauf à demander l’autorisation de se rendre sur place aux autorités russes, les mécanismes internationaux et régionaux de protection des droits humains se trouvent dans l’impossibilité d’aller en Crimée dans des conditions acceptables pour l’Ukraine et ne pouvant pas être interprétées comme, voire ne constituant pas de fait, un acte de reconnaissance d’un changement du statut de la Crimée et une atteinte à l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Les conditions officiellement définies par l’Ukraine pour pouvoir se rendre en Crimée ont été formulées dans la « Loi relative aux droits et libertés des citoyens et au régime juridique du territoire ukrainien provisoirement occupé » (adoptée en avril 2014) et précisées par le Décret du Conseil des ministres « sur l’entérinement de la réglementation relative à l’entrée en territoire ukrainien provisoirement occupé et à la sortie dudit territoire » (promulgué le 4 juin 2015). Elles prévoient que les visiteurs étrangers souhaitant se rendre en Crimée doivent demander une autorisation officielle aux services des migrations de l’administration ukrainienne et qu’ils ne peuvent se rendre sur place qu’en passant par certains points de contrôle bien précis, au départ du reste de l’Ukraine. Le fait de se rendre en Crimée en passant par la Russie constitue désormais une infraction pénale sanctionnée par la loi ukrainienne. Si le déplacement est en outre réalisé « avec l’intention de porter atteinte aux intérêts de l’État », le contrevenant est passible d’une peine pouvant atteindre huit ans d’emprisonnement, au titre de l’article 332-1 du Code pénal de l’Ukraine.

Le 14 mars 2014, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a mis en place une Mission de l’ONU de surveillance des droits de l’homme en Ukraine (HRMMU en anglais), chargée de surveiller la situation en matière de droits humains dans l’ensemble du pays et d’en rendre compte. La Crimée entrait dans le cadre de son mandat. L’intégrité territoriale de l’Ukraine, y compris sa souveraineté sur la Crimée et sur la ville de Sébastopol, a été réaffirmée par l’Assemblée générale des Nations unies dans le cadre de sa Résolution 68/262, adoptée le 27 mars 2014. La Mission de l’ONU, dont le mandat sur la Crimée n’est pas reconnu par la Russie, s’est néanmoins vu refuser l’accès à la péninsule.

Les mécanismes internationaux et régionaux de surveillance des droits humains doivent pouvoir se rendre sans délai et sans conditions en Crimée, et pouvoir faire part de leurs constatations sur le terrain sans obstruction ni ingérence de quiconque. Cela doit être le cas, entre autres, de la HRMMU, de la rapporteuse spéciale sur les questions relatives aux minorités (ainsi que des autres mécanismes relatifs aux droits humains et procédures spéciales de l’ONU), du haut-commissaire de l’OSCE pour les minorités nationales, des mécanismes et organes de suivi des droits humains du Conseil de l’Europe, et notamment du Comité pour la prévention de la torture, de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et du Commissaire aux droits de l’homme. Les organisations internationales et régionales dont le mandat couvre, totalement ou en partie, les secteurs dans lesquels sont commises des atteintes aux droits humains en Crimée (y compris l’UNESCO dans son domaine particulier de compétences) doivent envisager la mise en place de mécanismes de surveillance de la situation dans la presqu’île, dans le cadre de leurs compétences respectives, et s’efforcer d’obtenir le libre accès à ce territoire, afin de pouvoir constater la situation sur place et faire un compte rendu sur les questions les concernant.

Les actes de harcèlement et les persécutions à l’égard des membres du Mejlis des Tatars de Crimée se multiplient

En avril 2016, les autorités russes et le pouvoir de fait en place dans la péninsule ont interdit le Mejlis des Tatars de Crimée, instance autonome propre à ces derniers, qualifié d’organisation « extrémiste » parce que ses membres avaient exprimé pacifiquement leur défiance à l’égard de l’occupation russe. Depuis cette date, les personnes proches du Mejlis sont en butte à des persécutions de plus en plus dures. En se réunissant au domicile de l’un d’entre eux, les membres du Mejlis s’exposent à une amende, imposée sous prétexte d’infraction administrative, voire à des poursuites pénales.

Plusieurs membres du Mejlis se sont ainsi retrouvés en privé le 22 septembre 2016, au domicile d’Ilmi Oumerov, vice-président du Mejlis et militant de longue date des droits des Tatars de Crimée. Quelques jours plus tard, neuf d’entre eux ont été convoqués pour interrogatoire au Centre de prévention de l’extrémisme du ministère de l’Intérieur, plus connu sous le nom de « Centre E », à Simferopol. Ilmi Oumerov et deux autres personnes se sont vu infliger des amendes administratives d’un montant allant de 750 à 1 000 roubles au titre de l’article 20.28 du Code des infractions administratives de la Fédération de Russie (participation aux activités d’une organisation interdite).
Au moment de payer son amende, en décembre 2016, Ilmi Oumerov a découvert que son nom figurait déjà sur la liste des « extrémistes » établie par la Fédération de Russie, à la suite de l’ouverture d’une information judiciaire contre lui pour des faits relatifs à des activités extrémistes (cette information est toujours en cours). Le fait d’être sur cette liste signifiait qu’il ne pouvait pas avoir librement accès à son compte bancaire et que toute transaction financière de sa part devait désormais être explicitement approuvée au préalable par le service de la sécurité de sa banque.

Le 30 janvier 2017, Ilmi Oumerov a été officiellement inculpé « d’appels publics hostiles à l’intégrité territoriale de la Fédération de Russie » (article 280.1 du Code pénal russe). Il lui était reproché d’avoir déclaré, en mars 2016, sur les ondes de la chaîne de télévision ATR (chaîne émettant en langue tatare de Crimée et contrainte de quitter la péninsule pour aller s’installer dans le reste de l’Ukraine en juin 2015) qu’il fallait « contraindre [la Russie] à quitter la Crimée, Donetsk et Louhansk ». S’il est reconnu coupable, Ilmi Oumerov risque jusqu’à deux ans d’emprisonnement.

Amnesty International considère que les charges qui pèsent contre Ilmi Oumerov sont sans fondement. Ses appels pour que soit mis fin à l’occupation russe relèvent du droit à la liberté d’expression. Ilmi Oumerov n’a jamais appelé à la violence ni n’en a préconisé l’usage. L’action en justice engagée contre lui est illégale et doit être immédiatement abandonnée.

Violation des principes d’équité des procès dans l’affaire dite « du 26 février »

Le procès d’un autre vice-président du Mejlis des Tatars de Crimée, Akhtem Tchiïgoz, aujourd’hui prisonnier d’opinion, est en cours. Depuis le début des audiences, le 2 août 2016, Akhtem Tchiïgoz s’est vu interdire la possibilité d’assister en personne à son propre procès. Alors qu’il est détenu à quelques dizaines de mètres du tribunal, il est contraint d’y participer par une liaison Skype. Cette mesure a été adoptée en raison du « danger » qu’il y aurait à permettre à Akhtem Tchiïgoz d’être présent dans la salle d’audience. Non seulement elle est arbitraire, mais elle compromet en outre, dans la pratique, sa capacité à véritablement prendre part à son procès. Pour ne prendre qu’un exemple : lors d’une audience tout à fait caractéristique qu’a pu suivre Amnesty International le 27 septembre 2016, Akhtem Tchiïgoz ne parvenait pas à entendre tout ce qui se disait dans la salle, et les débats ont dû être interrompus plusieurs fois en raison de la mauvaise qualité de la connexion Internet. Uniquement présent par vidéo, Akhtem Tchiïgoz n’a à aucun moment pu s’entretenir en privé avec son avocat.

Akhtem Tchiïgoz est accusé d’avoir « organisé des troubles de grande ampleur » en Crimée le 26 février 2014. Ce jour-là, des manifestants pro-Ukraine et pro-Russie s’étaient retrouvés face à face devant le Parlement régional de Simferopol. Des altercations s’étaient produites entre les deux camps, mais il n’y avait pas eu de « troubles de grande ampleur » aux termes de la définition retenue par le Code pénal de la Fédération de Russie. En outre, aucun participant présumé appartenant au camp pro-russe n’a été poursuivi ni même identifié. Qui plus est, l’événement en question précédait l’annexion de la Crimée par la Russie.

Après l’arrestation d’Akhtem Tchiïgoz, le 29 janvier 2015, les services russes de sécurité ont interpellé cinq autres Tatars de Crimée, dans le cadre de la même enquête pénale, les accusant d’être impliqués dans les mêmes « troubles de grande ampleur ». Le 20 juillet 2016, la Cour suprême [de facto] de Crimée a décidé de dissocier le cas d’Akhtem Tchiïgoz de celui des cinq autres prévenus, le premier devant être poursuivi, selon elle, en tant qu’organisateur des « troubles de grande ampleur », les autres en tant que simples « participants ». Parmi ces derniers, seuls Ali Assanov et Moustafa Dehermendjy sont encore en détention ; les trois autres ont été remis en liberté sous caution en 2015. Moustafa Dehermendjy a déclaré devant le tribunal que les services chargés de l’enquête lui avaient proposé de le libérer, en échange de son témoignage contre Akhtem Tchiïgoz, ce qu’il avait refusé.

À mesure que le procès d’Akhtem Tchiïgoz avance, l’absence d’éléments à charge suffisants est de plus en plus manifeste. Ainsi, à l’exception de trois personnes ayant témoigné à charge sous le couvert de l’anonymat, respectivement les 6 décembre 2016, 13 février et 13 mars 2017, aucun témoin comparaissant en personne devant le tribunal n’est venu étayer l’affirmation de l’accusation, selon laquelle Akhtem Tchiïgoz aurait « organisé des troubles de grande ampleur » le 26 février 2014 à Simferopol.

Les personnes témoignant en Russie sous le couvert de l’anonymat sont généralement interrogées par liaison vidéo ; leur voix est modifiée et leur visage caché. Amnesty International n’a pas été en mesure d’assister aux audiences en question, mais, selon des journalistes spécialisés dans les affaires juridiques qui étaient présents dans la salle les jours concernés, les témoins anonymes se seraient contredits dans leurs déclarations, qui étaient incohérentes et qu’ils modifiaient lorsqu’elles allaient à l’encontre des affirmations de l’accusation. Sept témoins anonymes sont appelés à témoigner au cours du procès d’Akhtem Tchiïgoz (seuls trois d’entre eux l’ont fait pour l’instant). S’il est reconnu coupable, Akhtem Tchiïgoz risque jusqu’à 15 années d’emprisonnement.

Moustafa Dehermendjy est l’un des témoins à charge dans le procès d’Akhtem Tchiïgoz. Il est en outre lui-même prévenu dans ce qui est désormais une autre affaire dite « du 26 février », distincte de la première. Témoignant le 6 mars 2017 devant la cour, dans le cadre du procès d’Akhtem Tchiïgoz, il a déclaré ne pas avoir vu ce dernier lors des événements du 26 février 2014. il a également expliqué que, pendant sa détention, le Service fédéral de sécurité russe (FSB) avait requis sa « coopération », en échange d’une remise en liberté, et que le mufti de Crimée l’avait également pressé de témoigner contre Akhtem Tchiïgoz, ce qu’il avait refusé de faire. Le procès de Moustafa Dehermendjy et d’Ali Assanov a lui aussi démarré, mais il n’en est pour l’instant qu’aux premiers stades de la procédure.

Ali Assanov est père de quatre enfants. Le plus jeune est né après son arrestation et il ne l’a jamais vu. Avant son interpellation, Moustafa Dehermendjy s’occupait de ses parents âgés. S’ils sont reconnus coupables, les deux hommes risquent jusqu’à huit ans d’emprisonnement.

Nouvelles charges contre des personnes accusées d’appartenance à Hizb ut-Tahrir

Le défenseur criméen des droits humains Emir-Ousseïn Koukou, ainsi que Vadim Sirouk, ont été arrêtés le 11 février 2016. Initialement accusés d’appartenance à l’organisation islamiste Hizb ut-Tahrir (considérée en Russie comme une organisation terroriste), ils sont poursuivis ensemble, dans le cadre de la même affaire. De nouvelles charges ont récemment été ajoutées au dossier de l’accusation.

Emir-Ousseïn Koukou est un prisonnier d’opinion. Les poursuites engagées contre lui sont motivées par des considérations politiques et visent à sanctionner son engagement pacifique et son action en faveur des droits humains en Crimée. Amnesty International a déjà exprimé son inquiétude concernant le non-respect de son droit – ainsi que de celui d’autres personnes accusées d’infractions – à bénéficier d’un procès équitable.

Le 17 janvier 2017, Emir-Ousseïn Koukou et Vadim Sirouk ont été informés séparément qu’ils étaient désormais également soupçonnés de complot en vue de prendre ou de conserver le pouvoir par des moyens violents (article 278 du Code pénal russe). Selon leurs avocats, la décision de retenir cette nouvelle charge se fondait sur les résultats d’une prétendue « expertise linguistico-religieuse » demandée par l’autorité chargée de l’instruction et qui portait sur le contenu d’une conversation politique enregistrée en secret entre Emir-Ousseïn Koukou, Vadim Sirouk et quatre autres hommes. Ces six personnes sont actuellement en détention provisoire. Leurs avocats ont demandé à voir les conclusions des experts, afin de pouvoir contester le placement en détention et la procédure de justice engagée, mais leur requête a été rejetée. Ils ont introduit un recours devant un tribunal à la suite de ce refus, mais sans succès.

En Russie, le fait d’appartenir à une organisation terroriste est passible de 20 ans d’emprisonnement. Le complot en vue de prendre le pouvoir par la violence est un crime, qui est lui aussi sanctionné par une peine pouvant atteindre 20 ans d’emprisonnement.

Le harcèlement de la communauté des Tatars de Crimée vivant dans la péninsule

Dès le début de l’occupation russe, en 2014, la communauté des Tatars de Crimée, perçue comme hostile par les autorités de fait et par la Russie, a fait l’objet d’actes de harcèlement quotidiens de la part des forces de sécurité. De nombreuses perquisitions ont par exemple été menées au domicile de membres de cette communauté, y compris, bien souvent, de simples citoyens criméens dont le simple tort était d’appartenir à l’ethnie des Tatars de Crimée.

Les organes de presse (souvent en langue tatare locale) qui se faisaient fréquemment l’écho de ces pratiques ont été contraints à la fermeture en 2015. Depuis, les perquisitions et les autres actes de harcèlement perpétrés contre les Tatars de Crimée ne sont connus que par le bouche-à-oreille ou par les informations mises en ligne sur les réseaux sociaux, sachant que l’accès sur Internet aux organes de presse diffusant depuis le reste de l’Ukraine est souvent bloqué en Crimée.

Généralement, lorsque les forces de sécurité arrivent au domicile d’un membre de la communauté afin d’y effectuer une perquisition, les habitants du voisinage convergent sur les lieux et filment ou photographient l’intervention.

Lors d’un récent incident, typique de la situation actuelle, survenu le 22 février 2017, le militant Marlen Moustafa a été arrêté près de son domicile par des policiers du Centre de prévention de l’extrémisme. Il a été conduit au siège de ce service, à Simferopol, mais son arrestation a été signalée par sa mère, qui en avait été témoin. Alors que Marlen Moustafa se trouvait à Simferopol, des responsables de l’application des lois dépendant du pouvoir de fait en place en Crimée ont procédé à une perquisition de son domicile. Dix personnes se sont retrouvées devant celui-ci, avec l’intention de filmer l’intervention, mais elles ont été interpellées à leur tour et rapidement condamnées à cinq jours de détention administrative chacune, pour participation à « une manifestation collective non autorisée » (acte considéré comme une infraction administrative en Russie). Marlen Moustafa a été condamné à 11 jours de détention administrative pour avoir repris en 2014 une vidéo « extrémiste » sur le compte dont il disposait sur l’un des réseaux sociaux. Toutes ces personnes ont purgé l’intégralité de leurs peines avant d’être remises en liberté.

Le harcèlement des avocats Emil Kourbedinov et Nikolaï Polozov s’intensifie

Les avocats qui prennent la défense de personnes accusées entre autres d’extrémisme en Crimée sont eux aussi pris pour cible par les autorités. C’est notamment le cas d’Emil Kourbedinov et de Nikolaï Polozov, qui sont soumis à des pressions croissantes de la part des autorités de fait. Celles-ci cherchent manifestement à ce qu’ils renoncent à défendre leurs clients en Crimée. Le pouvoir en place est allé jusqu’à menacer ces deux juristes d’engager des poursuites pénales à leur encontre.

De nationalité russe, Nikolaï Polozov fait partie de l’équipe qui défend Ilmi Oumerov et Akhtem Tchiïgoz. À la demande du FSB, le tribunal du district de Kiev (Simferopol) a ordonné le 13 décembre 2016 à Nikolaï Polozov de comparaître en qualité de témoin dans le procès d’Ilmi Oumerov, bien qu’il soit l’avocat de ce dernier. Après avoir refusé de signer une convocation pour un interrogatoire le 15 décembre, Nikolaï Polozov a été conduit de force, le 25 janvier, depuis son hôtel de Simferopol au siège criméen du FSB, où il a été interrogé par l’enquêteur en charge de l’affaire mettant en cause Ilmi Oumerov.

Cet interrogatoire ne s’est pas déroulé selon les règles. Nikolaï Polozov a demandé la présence d’un avocat, qui lui a été refusée. Il a rappelé à l’enquêteur que ses déclarations en tant que « témoin » n’étaient pas recevables, dans la mesure où il était lui-même l’avocat d’Ilmi Oumerov. L’interrogatoire s’est pourtant poursuivi, les questions tournant autour du rôle de Nikolaï Polozov dans le procès d’Ilmi Oumerov. Une vidéo a été filmée pendant l’interrogatoire. Nikolaï Polozov a refusé de signer le compte rendu de celui-ci. Nikolaï Polozov craint désormais d’être contraint de renoncer à défendre Ilmi Oumerov en raison de son nouveau statut de « témoin », si le FSB demandait à un magistrat de se prononcer en ce sens.

À peu près au même moment, le 26 janvier 2017, un autre avocat, Emil Kourbedinov, était arrêté par des membres du Centre de prévention de l’extrémisme alors qu’il se rendait à Bakhtchissaraï, afin de proposer ses services d’assistance juridique à Seïran Saliev, qui avait été placé en détention parce qu’il était soupçonné de détenir chez lui des documents « extrémistes ». Les policiers du « Centre E » ont conduit sans attendre Emil Kourbedinov au siège de leur service, à Simferopol, et ont procédé à une perquisition de son domicile et de son bureau, au mépris de la loi, qui met les avocats à l’abri des perquisitions, afin de protéger le caractère confidentiel de leurs relations avec leurs clients. Le même jour, le tribunal du district Jeleznodorojnyi (Simferopol) a jugé Emil Kourbedinov « coupable » d’avoir mis en ligne une vidéo sur les réseaux sociaux, en 2013, et l’a condamné à 10 jours de détention administrative pour diffusion d’informations « extrémistes ». Seïran Saliev a quant à lui été déclaré coupable de « diffusion de documents extrémistes » et condamné à 12 jours de détention administrative. Ils ont l’un comme l’autre été remis en liberté après avoir purgé leurs peines.

Les violations des droits humains commises en Crimée doivent être dénoncées et combattues

La communauté internationale doit envisager toutes les solutions permettant de mettre en place une surveillance effective de la situation en Crimée en matière de droits humains.

Les organismes intergouvernementaux, ainsi que les partenaires internationaux de l’Ukraine et de la Russie, doivent saisir toutes les occasions, lors des rencontres bilatérales et multilatérales, pour évoquer le problème de l’accès à la Crimée des mécanismes de surveillance des droits humains, et insister sur la nécessité de respecter intégralement les droits fondamentaux dans la péninsule.

Les autorités de fait en Crimée et les autorités russes doivent respecter les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association, ainsi que le droit à un procès équitable, de tous les habitants de la Crimée, en veillant à ce que tout individu ou tout groupe d’individus jouisse de ces droits, sans la moindre discrimination pour des raisons politiques, religieuses, ethniques ou autres.

Vous trouverez la liste détaillée des recommandations d’Amnesty International concernant la situation en Crimée dans le document Crimea in the Dark : The Silencing of Dissent.

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