Communiqué de presse

Soudan. Les manifestants subissent actes de torture et violences Il faut inculper ou libérer les manifestants pacifiques placés en détention

Les autorités soudanaises doivent mettre immédiatement fin aux actes de torture et aux mauvais traitements infligés aux personnes placées en détention dans le cadre des manifestations depuis la mi-juin 2012, ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch mercredi 11 juillet.

« La torture et les autres mauvais traitements sont totalement prohibés par le droit international, a indiqué Aster van Kregten, directrice adjointe du programme Afrique d’Amnesty International. Nous appelons les autorités soudanaises à mener des investigations impartiales dans les meilleurs délais sur toute allégation crédible de violations des droits humains et à faire en sorte que les victimes reçoivent réparation. »

Amnesty International et Human Rights Watch exhortent les autorités à libérer immédiatement et sans condition toute personne interpellée pour avoir participé à des manifestations pacifiques. D’après les organisations soudanaises qui surveillent les arrestations, depuis le mois de juin, les forces de sécurité ont arrêté quelque 2 000 personnes en marge des manifestations initiées par les jeunes à Khartoum et dans d’autres grandes villes du pays.

S’il est difficile de confirmer ce chiffre, certaines informations laissent à penser qu’une centaine de personnes au moins sont toujours incarcérées dans la seule ville de Khartoum. La plupart des détenus se trouvent dans des centres gérés par le Service national de la sûreté et du renseignement (NSS), réputé pour avoir recours à la torture et aux mauvais traitements.

Lors d’un épisode récent, le 6 juillet, les forces de sécurité ont employé une force excessive contre des manifestants dans la mosquée de Sayyid Abdelrahman, dans le quartier de Wad Nubawi, à Omdurman, une banlieue de Khartoum.

Un étudiant de 26 ans présent sur les lieux a raconté qu’il avait été touché par des balles en caoutchouc aux deux jambes. « Lorsqu’on est sortis, les policiers nous attendaient devant la mosquée, a-t-il expliqué à Amnesty International. Nous nous sommes mis à scander " Pacifique ! Pacifique ! " et nous nous sommes assis par terre, pour leur montrer que nous ne cherchions pas la confrontation. Mais ils se sont dirigés vers nous, tirant des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes, et nous ont poursuivis jusqu’à l’intérieur de la mosquée. »

Ces derniers jours, les manifestants ont également rapporté avoir été attaqués par des étudiants pro-gouvernementaux brandissant des bâtons, des couteaux et des haches. Ceux qui sont blessés ont peur d’aller se faire soigner. Un agent de la sécurité de l’hôpital d’Omdurman a signalé qu’il avait vu des membres du NSS arrêter des manifestants blessés dès qu’ils ont été autorisés à quitter l’hôpital.

Depuis le début du mouvement le 16 juin, les forces de sécurité soudanaises ont à maintes reprises recouru à la force excessive afin de disperser les manifestations et arrêté de nombreux manifestants pacifiques, y compris des étudiants, des jeunes militants et des journalistes.

Des membres des forces de sécurité ont également arrêté et détenu des militants, des journalistes, des avocats, des médecins et des membres de groupes de jeunes et de partis d’opposition, qui n’étaient pas directement liés aux manifestations.

La plupart des personnes interpellées ont été libérées au bout de quelques heures ou de quelques jours, souvent après avoir signé une déclaration dans laquelle elles renonçaient à mener des activités politiques ou à participer aux rassemblements. D’autres détenus, retenus plus longtemps, ont subi de longs interrogatoires, au cours desquels ils étaient accusés d’être des traîtres, des communistes ou des espions. Certains ont signalé avoir subi des mauvais traitements – passages à tabac et privation de sommeil notamment.

Parmi les personnes toujours détenues figurent Nahid Jabralla, directrice de SEEMA, organisation de défense des droits des femmes et des enfants, arrêtée le 3 juillet ; le résident américain Rudwan Daoud, membre du mouvement de jeunes Girifna (« On en a marre »), arrêté lui aussi le 3 juillet avec son père et son frère ; Ussamah Mohammed, interpellé le 22 juin, qui a ouvertement critiqué le gouvernement sur Al Jazeera ; Khaled Bahar, militant du mouvement Haq, détenu depuis le 20 juin ; Yassir Fathi, membre du parti de l’opposition Oumma (Parti de l’indépendance), interpellé le 21 juin ; et Amira Osman, membre du Parti communiste, en détention depuis le 28 juin. Ils risquent tous d’être victimes de torture et d’autres formes de mauvais traitements. Il semble que Rudwan Daoud a été frappé, selon des témoins qui l’ont vu lorsqu’il a comparu au tribunal en début de semaine.

« Au lieu de répondre aux préoccupations des manifestants, le gouvernement préfère s’en prendre à certains individus en raison de leurs opinions politiques présumées, a indiqué Daniel Bekele, directeur Afrique de Human Rights Watch. Le Soudan doit libérer immédiatement les personnes détenues pour avoir participé à des manifestations politiques et respecter leur droit à la liberté d’expression et d’association. »

Une fois libérés, beaucoup craignent de signaler les violences subies à des organisations ou des journalistes. Amnesty International et Human Rights Watch se sont entretenues avec 13 anciens détenus qui ont signalé avoir été frappés, insultés et privés de nourriture, d’eau et de sommeil, durant leur détention à Khartoum et ses alentours depuis la mi-juin.

Un médecin de 38 ans, détenu pendant une journée, le 28 juin, a raconté à Amnesty International qu’un agent du NSS lui a cogné le front contre le mur à deux reprises. Plus tard, il a été encerclé par huit agents qui l’ont giflé et lui ont asséné de multiples coups de poing au visage.

Selon son témoignage, ses trois sœurs, appréhendées la semaine précédente lors d’une manifestation dans le quartier d’al Riyadh à Khartoum, ont elles aussi été battues et insultées. Les membres du NSS les ont frappées à coups de pied et de bâtons, jusqu’à ce que deux d’entre elles se mettent à saigner. Ils les ont traitées de « prostituées ». L’une des femmes, traînée par terre, a été blessée au visage.

Un autre ancien détenu, Issam al Din Mohammed Ibrahim, étudiant darfourien, a raconté que 10 membres des forces de sécurité en civil et des policiers en uniforme l’avaient frappé à plusieurs reprises à l’aide de leurs poings, de bâtons, de tuyaux d’arrosage et de barres métalliques.

Le 18 juin, ils l’ont arrêté lors d’une manifestation à Khartoum et l’ont emmené dans un bâtiment proche de la station de bus de Jackson. Issam al Din Mohammed Ibrahim a expliqué à Amnesty International : « Ils ont commencé à me frapper, à me frapper encore, à me rouer de coups partout sur le corps. » Les forces de sécurité auraient également proféré des injures racistes à son encontre.

Le lendemain, il a été condamné à une amende de 100 dinars soudanais (20 cents d’euros) par le tribunal pénal de Khartoum-Nord, pour troubles à l’ordre public et atteinte à la tranquillité publique. Il a ensuite été libéré. Les autorités ont condamné un très grand nombre de manifestants à des amendes et à des peines de flagellation pour les mêmes infractions.

Un étudiant âgé de 24 ans de l’Université du Soudan a raconté à Human Rights Watch qu’il avait lui aussi été roué de coups aux mains des agents du NSS : « Deux hommes m’ont emmené dans une pièce et ont commencé à me rouer de coups à l’aide de tuyaux en plastique noir, à me gifler et à me donner des coups de pied un peu partout. »

Magdi Akasha, 30 ans, dirigeant du mouvement Jeunesse pour le changement, a été détenu dans les locaux du NSS du 27 juin au 2 juillet. Selon son témoignage, il a été frappé à coups de bâtons, contraint de rester assis toute la journée sous un soleil de plomb et privé de sommeil.

Najlaa Sid Ahmad, militante au sein de Girifna et blogueuse vidéo, a été convoquée dans les locaux du NSS et interrogée 12 heures durant, pendant trois jours consécutifs ; elle a été privée d’eau et de nourriture. Le dernier jour, souffrant de déshydratation et d’hypoglycémie, elle a dû être hospitalisée.

Le mouvement de contestation actuel est né d’une manifestation dans les dortoirs des femmes de l’Université de Khartoum, qui a déclenché une mobilisation plus vaste contre les mesures d’austérité économique et en faveur d’un changement de régime.

Des manifestations ont lieu presque quotidiennement depuis mi-juin, notamment à Khartoum et dans les villes voisines d’Omdurman et de Khartoum-Nord, mais aussi dans les villes d’al Obeid, Port-Soudan, Atbarah, Dongola, Kassala et Gedaref. Dans ces villes de province, comme dans la capitale, les forces de sécurité recourent à une force excessive contre les manifestants et arrêtent de nombreux participants et des militants connus.

Par ailleurs, les autorités soudanaises censurent systématiquement les journaux, suppriment les articles traitant de sujets sensibles et saisissent les tirages complets traitant de questions spécifiques ; elles harcèlent et arrêtent les journalistes qui couvrent les manifestations antigouvernementales.

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