Taiwan. Justice n’a toujours pas été rendue dans le cas des « Trois de Hsichih »

DÉCLARATION PUBLIQUE

Index AI : ASA 38/005/2010

ÉFAI

10 décembre 2010

Alors que la Cour suprême examine le recours formé après que Liu Bing-lang, Su Chien-ho et Chuang Lin-hsun, connus comme les « Trois de Hsichih », eurent été acquittés, Amnesty International exhorte les autorités taiwanaises à remédier sans délai aux lacunes de la procédure judiciaire visant ces hommes, notamment en ce qui concerne des allégations de torture, et à instaurer immédiatement un moratoire sur le recours à la peine de mort comme première étape vers son abolition.

Amnesty International est très préoccupée par la prolongation des procès de ces trois hommes passibles de la peine de mort. Sur une période de près de 20 ans, ils ont été jugés à de nombreuses reprises à divers niveaux du système taiwanais de justice, principalement sur la base d’« aveux » qui leur auraient été extorqués.

Amnesty International engage la Cour suprême à enquêter sur les allégations des accusés selon lesquelles la police les a torturés afin de leur arracher des « aveux » ; ces allégations n’ont pas été examinées de manière rigoureuse avant la condamnation des trois hommes par la Haute Cour de Taiwan à l’issue de leur 11e passage en jugement en juin 2007. La loi taiwanaise de procédure pénale, révisée en 2003, prévoit clairement que les « aveux » ne sauraient prouver à eux seuls la culpabilité, et prohibe l’utilisation par la justice d’éléments de preuve obtenus sous la torture. La Cour suprême avait en fait annulé une condamnation à mort prononcée précédemment, en arguant que les éléments de preuve présentés contredisaient les faits et que la Haute Cour n’avait pas mené d’enquête rigoureuse.

Lors de leur 13e comparution en justice, le 12 novembre 2010, la Haute Cour a déterminé que Liu Bing-lang, Su Chien-ho et Chuang Lin-hsun n’étaient pas coupables du cambriolage ni du meurtre d’un couple. En parvenant à cette conclusion, la Haute Cour a épousé l’opinion d’un expert médicolégal appelé à témoigner, Henry Lee, qui a publié en juillet 2009 un rapport d’expertise médicolégale remettant en cause les éléments de preuve, qui lui semblaient insuffisants pour prouver que les accusés étaient coupables.

Par ailleurs, Amnesty International demande au gouvernement taiwanais de prendre immédiatement des mesures concrètes afin d’atteindre son but, annoncé de longue date, consistant à abolir la peine de mort. Amnesty International s’oppose au recours à la peine capitale dans tous les cas, car elle estime qu’il s’agit là du châtiment le plus cruel et inhumain qui soit, et exhorte les autorités taiwanaises à commuer toutes les condamnations à mort. La tendance mondiale à l’abolition de la peine de mort est très marquée. Aujourd’hui, plus des deux tiers des pays du monde ont aboli ce châtiment dans leur législation ou en pratique. En 2009, la peine de mort était maintenue dans 58 pays, mais la plupart d’entre eux n’y ont pas eu recours.

Dans la nuit du 23 au 24 mars 1991, Yeh In-lan et Wu Ming-han, son mari, ont été tués à l’arme blanche à leur domicile, dans la ville de Hsichih. Cinq mois plus tard, le 13 août 1991, la police a identifié une empreinte trouvée sur les lieux du crime comme étant celle d’un soldat de la marine nommé Wang Wen-hsiao. Wang Wen-hsiao a été arrêté le 13 août 1991 et a immédiatement fait des « aveux » aux policiers. Plus de 36 heures après son arrestation, Wang Wen-hsiao a fourni de nouveaux détails, impliquant son frère, Wang Wen-chung et trois camarades de classe de celui-ci, dont il était incapable de dire les noms.

Wang Wen-chung a été placé en détention peu après, sans qu’il y ait eu de mandat d’arrestation à son encontre, et il aurait été torturé. Il a donné trois noms de camarades de classe, Liu Bing-lang, Su Chien-ho et Chuang Lin-hsun. Wang Wen-chung a été détenu pendant deux ans pour complicité présumée. Après sa remise en liberté, il est revenu sur ses « aveux » et a déclaré publiquement que la police l’avait forcé à impliquer ses camarades.
Wang Wen-hsiao a été exécuté pour son rôle dans le meurtre des deux époux le 11 janvier 1992.

Les trois accusés sont passés 13 fois en jugement et leur cas a fait l’objet de trois appels extraordinaires au cours des 20 dernières années. La première condamnation à mort a été prononcée par le tribunal de district en février 1992 et la Haute Cour l’a confirmée. Cependant, la Cour suprême a plus tard estimé que l’affaire devait être rejugée parce que les éléments matériels retenus par la Haute Cour étaient insuffisants, flous ou contradictoires. La Haute Cour a de nouveau condamné les trois hommes à la peine capitale à l’issue du 2e procès, mais la Cour suprême a là aussi rejeté cette décision et l’affaire a fait l’objet d’un nouveau procès. En octobre 1994, la Haute Cour a prononcé une sentence de mort contre les « Trois de Hsichih » pour la troisième fois, cette fois confirmée par la Cour suprême en février 1995.

Les accusés ont cependant formé un recours contre ces condamnations à mort car celles-ci étaient principalement fondées sur leurs « aveux » qu’ils disaient obtenus par la force, sans que cela ne donne lieu à l’ouverture d’enquêtes supplémentaires par la justice. Les juges de la Haute Cour ont commencé à examiner les éléments matériels présentés dans le cadre des procès ayant eu lieu après l’année 2000. En 2008, la Haute Cour a fait appel à un expert médicolégal, Henry Lee, pour qu’il effectue à une reconstitution de la scène du crime. Le rapport de M. Lee, rendu public en 2009, avance que les meurtres n’avaient pas pu être commis par plus d’une personne.

Les « Trois de Hsichih » ont décrit avec force détails les tortures auxquelles la police les aurait soumis. « (Les policiers) ont placé sur ma poitrine un livre jaune très épais et m’ont donné des coups de poing à travers, a déclaré Liu Bing-lan, puis ils m’ont suspendu par les pieds et ont commencé à me verser de l’eau et de l’urine dans la bouche. » Liu Bing-lan, Su Chien-ho et Chuang Lin-hsun ont tous déclaré avoir été frappés et avoir été forcés d’avaler de l’eau ou de l’urine. Su Chien-ho et Chuang Lin-hsun auraient également subi des chocs électriques sur les parties génitales et pour Su Chien-ho, des policiers auraient versé un produit chimique concentré sur les blessures causées par les chocs électriques sur ses parties génitales.

FIN

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