Thaïlande. Il faut mettre fin à la torture systématique qui caractérise la lutte anti-insurrectionnelle dans le sud du pays

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

ÉFAI
Embargo : mardi 13 janvier 2009 à 04h00 T.U.

Les forces de sécurité thaïlandaises en campagne anti-insurrectionnelle dans les provinces du sud où règne la violence ont systématiquement recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements : c’est ce qu’expose un nouveau rapport d’Amnesty International rendu public ce mardi 13 janvier 2009. L’organisation a appelé le gouvernement royal de Thaïlande à prendre des mesures énergiques pour mettre fin immédiatement à de telles pratiques, et à faire le nécessaire pour que tout membre des forces de sécurité ayant eu recours à la torture soit tenu de rendre des comptes.

Le rapport Thailand : Torture in the southern counter-insurgency fait état de personnes frappées violemment, brûlées avec des bougies, enterrées jusqu’au cou dans le sol, soumises à des décharges électriques et exposées à de la chaleur et du froid intenses. Des victimes de tortures ont indiqué à Amnesty International que le plus souvent leurs tortionnaires les avaient rouées de coups de poing ou de pied, les avaient piétinées et leur avaient mis un sac en plastique sur la tête jusqu’à la quasi asphyxie. Amnesty International a établi qu’au moins quatre personnes étaient mortes en raison des tortures qu’elles avaient endurées.

« Même si les insurgés du sud de la Thaïlande se rendent coupables de violences, rien ne peut justifier l’utilisation de la torture par les forces de sécurité. La torture est totalement illégale et, comme le montre la situation dans le sud de la Thaïlande, elle a pour effet de se mettre à dos la population », a déclaré Donna Guest, directrice adjointe du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International.

Les recherches qu’Amnesty International a menées dans les provinces méridionales de Narathiwat, Pattani, Songkla et Yala ont montré que les forces de sécurité thaïlandaises avaient systématiquement recours à la torture et à d’autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pour obtenir des informations ou des aveux – du fait des défaillances du renseignement et de la collecte de preuves – et pour contraindre les personnes entre leurs mains, et leurs proches, à refuser ou à cesser de soutenir les insurgés.

L’utilisation de la torture a légèrement décru en Thaïlande depuis que la mort d’une personne en garde à vue, probablement des suites des tortures qu’elle avait endurées, a eu un grand retentissement en mars 2008. Cependant, les tortures et les autres formes de mauvais traitements ainsi que l’impunité dont bénéficient les tortionnaires demeurent suffisamment répandues tant géographiquement qu’au sein des différentes unités des forces de sécurité pour ne pouvoir être assimilées à des écarts de quelques subalternes isolés.

« Un grand nombre des personnes qui nous ont décrit les sévices qu’elles avaient subis, et qui continuent de les hanter, ont pris la parole pour empêcher que d’autres endurent les mêmes souffrances, a indiqué Donna Guest. Le gouvernement doit mettre fin à la torture et faire juger les tortionnaires. »

Les recherches sur lesquelles se fonde le rapport se concentrent sur des faits ayant eu lieu entre mars 2007 et mai 2008. Les autorités thaïlandaises devraient veiller plus particulièrement à mettre fin aux pratiques abusives au camp militaire d’Ingkharayuthboriharn, dans la province de Pattani, Amnesty International ayant reçu de nombreuses informations faisant état de torture et de mauvais traitements sur cette base. L’organisation a également reçu des informations crédibles faisant état de centres non officiels où des personnes seraient souvent détenues sans aucun contact avec le monde extérieur, et seraient de ce fait particulièrement susceptibles d’être torturées ou soumises à d’autres formes de mauvais traitements.

Amnesty International demande aux autorités thaïlandaises de fermer immédiatement tous les centres de détention non officiels. L’organisation appelle également le gouvernement thaïlandais à modifier le Décret de 2005 relatif à l’état d’urgence, qui sert de cadre juridique aux opérations anti-insurrectionnelles, et à autoriser les détenus à entrer en contact avec des membres de leur famille, un avocat et du personnel médical et lever l’immunité dont bénéficient les agents de l’État qui commettent des violations des droits humains dans l’exercice de leurs fonctions.

Complément d’information

Majoritairement de langue et d’origine ethnique malaise et de religion musulmane, la population du sud de la Thaïlande est depuis longtemps privée de ses droits, et la violence qui sévit aujourd’hui dans cette région reflète cette situation.

Le 4 janvier 2004, la violence a repris après des années d’accalmie lorsque des insurgés musulmans se sont introduits dans un dépôt de l’armée de la province de Narathiwat, tuant quatre soldats et s’emparant de centaines de fusils. Cette nouvelle vague de violence et de lutte anti-insurrectionnelle, qui entre maintenant dans sa sixième année, se caractérise par des atteintes aux droits humains de plus en plus répandues et violentes, de la part des deux parties. Ces violences ont fait 3 500 victimes à ce jour, le nombre annuel de morts ayant augmenté chaque année au moins jusqu’en 2007. En mars 2008, les chiffres du gouvernement ont montré que 66 % des personnes tuées dans le sud du pays depuis 2004 étaient des civils. Un peu plus de la moitié des victimes étaient des musulmans.

Depuis 2005, les insurgés commettent de graves atteintes aux droits humains telles que des bombardements de zones habitées par des civils, des décapitations, des fusillades commises depuis des véhicules contre des bouddhistes et des musulmans membres des forces de sécurité ou civils, y compris des responsables locaux qu’ils soupçonnent de coopérer avec le gouvernement. Les insurgés ont pris pour cibles des écoles publiques et des enseignants, et ont essayé de terroriser les habitants bouddhistes pour qu’ils fuient la région.

Le gouvernement royal de la Thaïlande a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en novembre 2007. Cet instrument est interprété de bonne source comme signifiant que « la torture peut avoir un caractère systématique sans qu’elle résulte de l’intention directe d’un gouvernement ; [qu’elle] peut être la conséquence de facteurs que le gouvernement peut avoir des difficultés à contrôler ; [que] son existence peut signaler une lacune entre la politique déterminée au niveau du gouvernement central et son application au niveau de l’administration locale ;[et qu’] une législation insuffisante qui laisse en fait la possibilité de recourir à la torture peut encore ajouter au caractère systématique de cette pratique ».

La Thaïlande n’a adopté aucune loi érigeant la torture en infraction ou intégrant les dispositions de la Convention contre la torture n’étant pas couvertes par la législation thaïlandaise. En outre, le Décret de 2005 relatif à l’état d’urgence en vigueur dans le sud du pays accorde l’impunité aux agents de l’État qui violent la loi, s’ils agissent « de bonne foi ». Dans les faits, cette disposition entrave la détection et la sanction des actes de torture.

Amnesty International a reçu des informations faisant état d’actes de torture dans les lieux suivants : (dans la province de Narathiwat) camp de Pi-Leng, camp 39 de la force d’intervention spéciale de Wat Suan Tham (jusqu’à mi-2008), base militaire de Chulaporn, camp militaire de Ba Ngo Aor, poste de police de district de Rueso ; (dans la province de Pattani) camp militaire du 24e bataillon de Wat Changhai, camp militaire du bataillon de Plakalu Song, camp de l’armée de Banglan, centre de coordination de la police, camp de l’armée de Wat Lak Muang, poste de police de Nong Chik ; (dans la province de Yala) centre de formation de la police de la 9e région, corps expéditionnaire 11/Chor Kor, camp du commando paramilitaire de Banglang, camp 39 de la force d’intervention spéciale (depuis mi-2008), 41e régiment du commando paramilitaire ; (dans la province de Songkla) camp de Rattanapon, unité 43 des Forces spéciales ; (dans la province de Chumporn) camp de l’armée de Ket-udomsak ; (dans la province de Ranong) camp de l’armée de Rattana-Rangsang ; et (dans la province de Surattani) camp de l’armée de Wipawadee-Rangsit.

FIN

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