Thaïlande. Un projet de loi sur la sécurité intérieure accorde des pouvoirs considérables à l’armée tout en lui demandant peu de comptes à rendre

Déclaration publique

ASA 39/010/2007

Amnesty International craint que, s’il est adopté, le projet de loi sur le maintien de l’ordre dans le Royaume examiné actuellement par le Conseil d’État (organe consultatif du gouvernement en matière de législation) ne viole les normes internationales relatives aux droits humains et ne mette en danger ces droits en Thaïlande.

Rédigé dans des termes vagues, le projet de loi accorde des pouvoirs très étendus à l’armée et en particulier au commandant en chef, qui est habilité à prendre les commandes de l’administration publique, à procéder à des détentions de longue durée et à supprimer les groupes ou personnes dont il estime qu’ils menacent la sécurité nationale. Ce projet de loi accorde également l’immunité de poursuites aux auteurs de violations des droits humains commises dans le cadre de l’application de ses dispositions.

Amnesty International est consciente des défis auxquels est confrontée la Thaïlande, y compris en matière de sécurité, et elle comprend bien que les autorités thaïlandaises se doivent d’assurer la sécurité de la population. L’organisation appelle cependant les autorités à relever ces défis tout en protégeant et respectant les droits fondamentaux de tous. Dans ce contexte, les propos récents du ministre de la défense Boonrawd Somtas, selon lesquels les affrontements le 22 juillet à Bangkok entre la police et des manifestants opposés au coup d’état justifiaient le projet de loi, sont préoccupants.

Le projet de loi prévoit la création de plusieurs instances. Les pouvoirs de ces différentes unités sont concentrés entre les mains d’un seul homme – le directeur de l’Unité des opérations de sécurité intérieure remise à l’ordre du jour – qui est le « commandant en chef de l’armée royale » [article 9].

Voici les pouvoirs dont disposerait le commandant en chef de l’armée, en tant que directeur de l’Unité des opérations de sécurité intérieure :
• assurer le commandement des « institutions de l’État » - prérogative indéfinie et illimitée pouvant conduire à une prise en main de l’ensemble de la fonction publique [article 24] ;
• restreindre la liberté de mouvement, de réunion et d’information [articles 25(2), 25(3) et 25(6)] ;
• donner l’ordre d’avoir recours à la « force militaire » aux termes de la Loi martiale [article 25(8)] ;
• arrêter et détenir une personne, en application d’un mandat d’arrêt, pendant sept jours dans un premier temps avec possibilité d’étendre cette période jusqu’à trente jours au total [article 26(1)] ;
• « supprimer » les groupes, individus et organisations dont il estime qu’ils menacent la sécurité nationale [article 26(2)] ;
• contraindre une personne à faire une déposition ; à comparaître ou à remettre « tout document ou élément de preuve » [article 26(3)] ;
• fouiller des personnes, des véhicules et des bâtiments [article 26(4)] – alors qu’il est précisé que ces fouilles doivent se dérouler conformément au Code de procédure pénale, qui prévoit le plus souvent que l’autorisation d’un tribunal est nécessaire, le projet de loi n’indique pas clairement qu’une telle autorisation est nécessaire ;
• pénétrer à l’intérieur des habitations pour y procéder à des fouilles [article 26(5)] – les dispositions de cet article sont contradictoires et semblent suggérer que de telles fouilles ne nécessitent pas de mandat en général ;
• saisir ou geler des avoirs, documents ou autres éléments [article 26(6)] ;
• ordonner la « formation dans un lieu spécial » de suspects, au lieu de les inculper, pendant une période pouvant aller jusqu’à six mois [article 31] ; une telle formation requière le « consentement » du suspect mais celui-ci devant choisir entre cette solution ou la menace de poursuites pénales, il est permis de douter du caractère volontaire du consentement à une telle « formation » ; en l’absence du consentement libre du suspect, une telle formation est susceptible de devenir une détention arbitraire.

Sauf mention contraire, aucun des pouvoirs décrits ci-dessus ne requière l’autorisation d’un tribunal pour pouvoir être exercé.

Le projet de loi ne décrit pas dans quelles conditions et selon quelle procédure l’état d’urgence peut être décrété ou le recours à ces pouvoirs jugé nécessaire ou justifié. La seule condition requise est subjective : c’est en effet le commandant en chef de l’armée qui déterminera s’« il semble y avoir » ou « s’il y a effectivement » un « acte constituant une menace pour la sécurité dans le Royaume » [articles 24 et 25]. De tels actes sont définis dans des termes vagues et généraux et couvrent non seulement les actes de violence mais aussi les « infractions transfrontalières », la « propagande » et l’ « incitation » [article 2]. Le commandant en chef de l’armée peut exercer en tout lieu et en tout temps les pouvoirs qui lui sont accordés.

L’article 4 dispose qu’il doit y avoir un « droit de regard » sur l’exercice des pouvoirs prévus par cette loi mais cette disposition générale n’est pas accompagnée de propositions concrètes permettant de mettre en place des garde-fous pour contrebalancer les prérogatives considérables du commandant en chef de l’armée. Le fait que les tribunaux ne puissent exercer qu’une surveillance restreinte renforce le risque de voir ces pouvoirs exercés de manière arbitraire et abusive.

En outre, Amnesty International est très préoccupée par le fait que le projet de loi exempte de poursuites au pénal et au civil, et de mesures disciplinaires, les responsables gouvernementaux ayant commis des infractions alors qu’ils agissaient dans le cadre de cette loi, s’ils ont exercé leurs « fonctions honnêtement, sans faire preuve de discrimination et de manière raisonnable » [article 37]. Amnesty International s’oppose à l’octroi de l’impunité pour toute violation des droits humains.

L’organisation craint également qu’avec l’adoption de cette loi plusieurs droits humains parmi les plus fondamentaux ne soient violés en toute impunité. Ces droits sont inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et garantis, notamment, par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel la Thaïlande est un État partie. Il s’agit :
• du droit à la liberté de mouvement ;
• du droit à la liberté de réunion ;
• du droit à ne pas être soumis à une arrestation arbitraire ;
• du droit à un procès équitable ;
• du droit au respect de la vie privée.

Les travaux de recherche d’Amnesty International ont montré qu’une loi qui donne à l’armée ou à une autre autorité des pouvoirs d’exception contraires aux normes internationales relatives aux droits humains facilite des violations des droits humains plus graves que celles contre lesquelles elle voulait lutter. Il s’agit alors souvent de violations du droit à la vie et de violations du droit de ne pas être torturé ou soumis à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Comme l’a indiqué précédemment Amnesty International, la Thaïlande a émis au cours des dernières décennies quantité de décrets d’urgence et de lois relatives à l’état de siège formulés dans des termes extrêmement vagues et donnant à l’armée des pouvoirs considérables, en particulier dans le sud du pays. Ces mesures se sont traduites par des violations des droits humains et n’ont pas permis de rétablir la paix et la sécurité. Le projet de loi, s’il est adopté, va encore renforcer l’impunité caractéristique de l’histoire récente de la Thaïlande. Par exemple, les enquêtes sur la mort de près de 200 personnes provoquée par des mauvais traitements et l’utilisation excessive de la force meurtrière par les forces de sécurité lors de la répression violente des attaques de groupes armés contre des installations gouvernementales dans trois provinces méridionales le 28 avril 2004, et lors des manifestations de Tak Bai le 25 octobre 2004, n’ont pas débouché sur la poursuite en justice des responsables de ces agissements. La disparition forcée de plus d’une vingtaine de personnes depuis l’intensification des violences dans le sud en 2004 n’a pas non plus été résolue.

Pour assurer le respect des droits humains, le gouvernement thaïlandais doit mener des enquêtes, engager des poursuites, et demander des comptes aux personnes soupçonnées d’infractions, y compris de crimes violents, en s’appuyant sur les procédures normales de la justice civile, plutôt que d’avoir recours à des violations des droits humains pour lutter contre les menaces à la sécurité nationale.

Tel qu’il est formulé actuellement, le projet de loi est contraire aux normes et à la législation internationales relatives aux droits humains et ne doit, par conséquent, pas être adopté par l’Assemblé nationale. Amnesty International appelle les autorités thaïlandaises à retirer ce projet de loi ou à le modifier considérablement afin de le rendre conforme aux normes et à la législation internationales en matière de droits humains.

Complément d’information

Après avoir été approuvé par le cabinet le 19 juin 2007, le projet de loi a été remis au Conseil d’État pour qu’il l’examine avant qu’il ne soit débattu par l’Assemblée nationale. Le Conseil national de sécurité thaïlandais, dirigé par l’armée et mis en place après le coup d’état du 19 septembre 2006, a joué un rôle de premier plan dans les nominations gouvernementales, les travaux de l’Assemblée nationale – qui a un rôle d’intérim en attendant le référendum qui doit avoir lieu le 19 août 2007 et les élections qui devraient se dérouler d’ici la fin de l’année – et le processus d’élaboration d’une constitution.

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