Index AI : ASA 57/004/2005
DÉCLARATION PUBLIQUE
Amnesty International s’inquiète de voir le Conseil de sécurité continuer de repousser l’examen d’un rapport détaillé des Nations unies (ONU) sur la répression des violations graves des droits humains commises en 1999 au Timor-Leste.
Ce rapport, préparé par une Commission indépendante d’experts, a été terminé avec une rapidité remarquable le 26 mai 2005, transmis au Conseil de sécurité le 24 juin et rendu public le 27 juillet. Toutefois, il n’a toujours pas été programmé au menu des discussions du Conseil de sécurité. Amnesty International demande instamment au Conseil de sécurité de mettre à l’ordre du jour de la réunion du Conseil sur le Timor-Leste, prévue le 29 août 2005, le débat longtemps repoussé sur cet important rapport, ou de programmer de toute urgence une réunion séparée et de prendre des mesures en suivant les recommandations du rapport.
La nécessité d’une action immédiate a déjà été soulignée à la fin du mois dernier lorsque Manuel Maia, arrivé au Timor-Leste en provenance du Timor occidental, a été retenu par des membres de la population et remis à la police nationale. Manuel Maia fait l’objet d’une mise en accusation par les Chambres spéciales appelées à connaître des crimes graves pour crimes contre l’humanité, meurtres notamment, commis dans le district de Bobonara en mars et avril 1999. Des rapports font état du retour à Timor-Leste d’autres accusés dans des circonstances similaires. Plus de 300 personnes accusées de crimes graves par les jurys spéciaux mis en place par les Nations unies n’ont pas encore été jugées, n’ayant pu être amenées sous la juridiction des Chambres spéciales appelées à connaître des crimes graves avant que les Nations unies ne retirent prématurément leur soutien en mai de cette année.
Conformément aux résolutions 1543 (2004) et 1573 (2004) du Conseil de sécurité, les activités du Groupe d’enquête sur les crimes graves et des Chambres spéciales appelées à connaître des crimes graves au Timor-Leste ont, de fait, cessé. La nouvelle mission des Nations unies au Timor-Leste n’a pas pour mandat de suivre ou soutenir le processus concernant les crimes graves. Bien que la Commission d’experts ait souligné dans son rapport la nécessité de veiller à ce que se poursuive l’action commencée par le Groupe d’enquête sur les crimes graves et les Chambres spéciales appelées à connaître des crimes graves, aucune disposition claire n’a été prise pour traiter des enquêtes, inculpations ou appels en instance. Il en résulte une incertitude juridique et une instabilité potentielle ainsi qu’une impunité persistante.
Selon le droit international humanitaire et relatif aux droits humains, Manuel Maia et les autres personnes arrêtées dans des circonstances similaires doivent être jugés dans un délai raisonnable par un tribunal compétent, indépendant et impartial. Pour le moment, ces conditions ne sont pas réunies au Timor-Leste. Même si un tribunal pouvait être constitué dans les règles, conformément au droit existant, pour juger une affaire de crime grave, chacun sait que le système judiciaire national n’a pas la capacité de traiter un procès de cette nature d’une manière conforme aux normes du droit international concernant l’équité des procès. En outre, tout le monde s’accorde à dire, et le gouvernement du Timor-Leste l’a redit à de nombreuses reprises, que les autorités timoraises ne doivent pas être laissées seules pour mener le processus de répression.
Les actes d’accusation actuels pour crimes contre l’humanité ont été émis avec le soutien des Nations unies. Les principes du droit se trouveront sérieusement remis en cause au Timor-Leste si ces actes d’accusation ne sont suivis d’aucune action contre les personnes relevant de cette juridiction. Le fait que Manuel Maia ait été arrêté par la population locale, selon les informations dont nous disposons, avant d’être remis à la police, démontre que cette population attend que les auteurs présumés des violences passées soient traduits en justice. Si ces attentes légitimes ne sont pas remplies, le risque est grand que la population décide de se faire justice elle-même à l’avenir.
L’ambivalence du Conseil de sécurité vis-à-vis du processus de répression a fait naître une incertitude. Le dilemme présenté par le retour et l’arrestation de Manuel Maia montre le danger que représenterait une inaction prolongée du Conseil de sécurité et l’urgence qu’il y a à faire appliquer les recommandations de la Commission indépendante d’experts.
Parallèlement, selon Amnesty International, la Commission vérité et amitié, établie conjointement par les gouvernements du Timor-Leste et d’Indonésie, n’offre aucune solution à ces problèmes pressants, si ce n’est une promesse d’impunité aux auteurs présumés de violences en violation du droit international. La Commission vérité et amitié ne peut se substituer aux enquêtes et poursuites pénales et ne peut donc remplir le vide actuel. Pour cette raison, la Commission vérité et amitié n’a pas le soutien populaire et a été très critiquée par la société civile, tant en Indonésie qu’au Timor-Leste. Comme l’a noté la Commission d’experts, toute réconciliation crédible, tout processus de recherche de la paix, « doit être conçu et appliqué parallèlement à, ou de façon explicitement complémentaire aux initiatives de justice décidées et adoptées par le Conseil de sécurité. »
Complément d’information
Le secrétaire général d’Amnesty International a écrit le mois dernier aux membres du Conseil de sécurité pour leur demander , dans le cadre de l’engagement des Nations unies en faveur d’un renforcement des principes du droit, de prendre les mesures nécessaires pour faire appliquer son engagement constamment réaffirmé à faire appliquer la justice pour les crimes graves commis au Timor-Leste en 1999. S’appuyant sur les recommandations de la Commission d’experts, Amnesty International recommande :
– d’apporter le soutien, les ressources et l’expertise nécessaires, soit au processus de répression des crimes graves dans sa forme actuelle soit à un mécanisme de justice alternatif au Timor-Leste. Ce soutien devra se prolonger jusqu’à l’achèvement des enquêtes, des mises en accusation et des poursuites concernant ceux qui auraient commis des crimes graves ;
– soutenir la nomination, par le gouvernement indonésien, sur la recommandation du secrétaire général, d’une équipe d’experts juridiques et judiciaires internationaux, dont le mandat serait clairement défini, à savoir fournir des avis juridiques spécialisés indépendants au gouvernement concernant le droit pénal international, le droit international humanitaire et les normes internationales en matière de droits humains, y compris les règles de procédure et d’administration de la preuve, et donc « renforcer les capacités de son appareil judicaire et de son ministère public. »
- définir des normes et des échéances strictes à l’intérieur desquelles les autorités indonésiennes devront : examiner de façon approfondie les poursuites engagées devant le Tribunal spécial et engager, selon que de besoin, de nouvelles poursuites sur la base de nouveaux chefs d’accusation, de nouveaux faits ou éléments de preuve, ou autres motifs que prévoit le droit indonésien ; revoir tous les éléments de preuve disponibles, concernant en particulier des accusés haut placés jamais inculpés en Indonésie, notamment des éléments de preuve rassemblés par la Commission d’enquête sur les violations des droits humains au Timor oriental (KPP-HAM) et par le Groupe d’enquête sur les crimes graves, pour déterminer si des poursuites doivent être entamées contre des suspects dont les noms apparaîtraient ; rapporter au secrétaire général les conclusions de l’enquête ;
– au cas où les gouvernements du Timor-Leste et de l’Indonésie ne donneraient pas suite dans les délais préconisés aux recommandations susvisées d’adopter une résolution à l’effet de créer un tribunal pénal international ad hoc pour le Timor-Leste.
La lettre adressée par Amnesty International au Conseil de sécurité des Nations unies peut être consultée (en anglais) à l’adresse suivante : http://web.amnesty.org/library/index/engasa570032005