Communiqué de presse

Tunisie. Les autorités doivent cesser de faire usage d’une force excessive contre les manifestants à Siliana et ouvrir sans délai des enquêtes

Amnesty International est vivement préoccupée par les informations selon lesquelles pas moins de 300 manifestants et passants ont été blessés par la police tunisienne qui a recouru à une force excessive à Siliana, ville située au sud-ouest de Tunis, lors des manifestations des 27, 28 et 29 novembre.

Les manifestants réclament le départ du gouverneur de Siliana, le développement économique de leur ville et la libération de 13 détenus arrêtés lors des manifestations d’avril 2011, qui sont toujours en détention « provisoire ». De nouvelles manifestations ont été signalées le 29 novembre, alors que la grève générale se poursuit.

Les responsables de l’application des lois auraient utilisé des fusils et d’autres armes à feu, ainsi que du gaz lacrymogène, pour disperser les manifestants les 27, 28 et 29 novembre.

Les autorités tunisiennes doivent respecter le droit à la réunion pacifique et veiller à ce que la police respecte les normes internationales relatives à l’usage de la force et des armes à feu. Elles doivent diligenter dans les meilleurs délais des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales sur les violences signalées. La proposition du Premier ministre Hamadi Jebali de mettre sur pied une commission d’enquête constitue une initiative positive, à condition qu’elle soit conforme aux normes internationales relatives aux droits humains.

Parmi les blessés, plus de 20 personnes auraient été transférées à Tunis pour y être soignées. Certaines, blessées aux yeux, risqueraient de perdre la vue.

La Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a déclaré publiquement le 30 novembre : « Notre personnel a rendu visite aux victimes emmenées dans les hôpitaux de la capitale Tunis et a constaté des cas de blessures par balles à la tête, dans le dos et au visage, ainsi que des lésions oculaires susceptibles dans certains cas d’entraîner la cécité. Certains manifestants souffrent également de fractures osseuses. »

Le rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme fait écho aux informations obtenues par Amnesty International, selon lesquelles de nombreuses blessures à Siliana auraient été causées par des plombs de fusils, couramment appelés chevrotine.

Houssem, 22 ans, a raconté à l’organisation qu’il a été blessé alors qu’il manifestait à Siliana le 29 novembre dans l’après-midi. Selon son témoignage, il est tombé à terre après avoir inhalé les fumées des gaz lacrymogènes tirés par les policiers et a été touché par des plombs à la cuisse, alors qu’il était au sol. Après avoir passé plusieurs heures à l’hôpital, il est retourné manifester le lendemain. « Nous n’abandonnerons pas, a-t-il affirmé, nous n’avons pas peur. »

D’autre part, selon certaines informations, plusieurs journalistes ont également été blessés lors des manifestations à Siliana. Dans une déclaration publiée le 28 novembre, le Syndicat national des journalistes tunisiens a fait savoir que plusieurs journalistes avaient été blessés par des pierres, des balles en caoutchouc et des plombs, tandis que d’autres s’étaient vus empêcher de filmer.

David Thomson, journaliste de France 24, couvrait les évènements de Siliana lorsqu’on lui a tiré dessus, ainsi que sur son collègue Hamdi Tlili. « Nous nous trouvions dans une rue adjacente et filmions les manifestants qui quittaient le rassemblement, lorsqu’on nous a tiré dans le dos ». David Thomson a été blessé aux jambes, et Hamdi Tlili aux jambes et dans le dos. « Dans l’ambulance qui nous a conduits à l’hôpital, il y avait une dizaine de blessés, certains au visage, à la gorge ou aux yeux. J’ai eu de la chance, si je m’étais retourné à ce moment-là, j’aurais été touché en plein visage. » Si on lui a ôté 14 plombs, son corps en présentait encore au moins 20 autres, impossibles à retirer en toute sécurité. « Il est clair que la police en Tunisie n’est pas formée pour maintenir l’ordre lors de manifestations, a-t-il commenté. Il faut que les policiers soient formés et dûment équipés pour éviter l’escalade de la violence et les blessés. »

Lors d’une conférence de presse, le 29 novembre, le Premier ministre Hamadi Jebali a appelé la société civile à former une commission indépendante chargée d’enquêter sur les violences de Siliana et sur les responsables présumés, qu’il s’agisse de membres des forces de sécurité ou de manifestants. Il aurait reconnu que les représentants des forces de l’ordre avaient recouru à une force excessive et affirmé que les responsables seraient tenus de rendre des comptes. Cependant, il aurait ajouté qu’ils avaient dû défendre le siège du gouverneur et se défendre, car leurs vies étaient menacées par les nombreuses attaques.

Ahmed Zoghbi, de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme (LTDH), a raconté à Amnesty International dans la matinée du 30 novembre que les manifestations se poursuivaient, pour réclamer la libération des prisonniers détenus depuis avril 2011 et le dialogue avec les autorités. « Nous demandons que les responsables de l’application des lois cessent d’employer une force excessive et que les autorités donnent les moyens aux familles des blessés qui ont été transférés vers les hôpitaux de Tunis de leur rendre visite », a-t-il expliqué.

L’État ne doit pas tenter de se soustraire à sa responsabilité d’enquêter sur les allégations de graves atteintes aux droits humains et de traduire les responsables présumés en justice en se servant de la création d’une commission comme d’un écran de fumée. Si les autorités sont déterminées à la mettre en place, elle doit être établie par la loi et pleinement dotée des ressources et des pouvoirs requis. Elle doit être indépendante du gouvernement et des institutions et organes sur lesquels elle enquêtera. Elle doit être habilitée à préconiser des mesures en matière de réparations et de garanties de non-répétition, à faire des recommandations concernant la modification des procédures et des pratiques législatives, politiques et administratives, y compris des mécanismes de formation et d’obligation de rendre des comptes, et à préconiser des mesures disciplinaires et administratives contre les représentants de l’État mis en cause. Là où une enquête pénale est justifiée, elle doit transmettre ses conclusions au parquet.

Quoi qu’il en soit, Amnesty International prie instamment les autorités tunisiennes d’inscrire au rang des priorités la réforme des forces de sécurité. Elles doivent veiller à ce que les représentants de l’application des lois reçoivent une formation adéquate sur l’usage de la force en général et plus particulièrement lors des manifestations, donner des instructions claires sur l’utilisation de la force et des armes à feu par les agents des forces de l’ordre conformément aux normes internationales, mettre en place un organisme de surveillance afin que les forces de sécurité rendent compte de leurs actes en cas de violations des droits humains, et mettre en place un mécanisme de contrôle afin de s’assurer que, durant l’enquête, les membres des forces de sécurité soupçonnés de graves atteintes aux droits humains ne soient pas maintenus ni placés à un poste où ils sont susceptibles de commettre de nouveau ce type de violations.

Les normes internationales

Les autorités tunisiennes sont tenues de respecter le droit de se réunir pacifiquement, garanti par l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Amnesty International reconnaît le droit des policiers de se défendre eux-mêmes et leur devoir de protéger la sécurité des citoyens. Cependant, ils doivent remplir ce rôle tout en garantissant pleinement le respect du droit à la vie, à la liberté et à l’interdiction de la torture et d’autres mauvais traitements dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre lors des manifestations, y compris face à des manifestants violents, ainsi que les garanties relatives aux droits humains inscrites dans le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois (1979) et les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (1990).

À ce titre, les agents des forces de l’ordre ne doivent recourir à la force qu’en cas de nécessité absolue. Si des individus représentent une menace lors d’un rassemblement, les policiers doivent employer la force de manière proportionnée contre eux. Ils ne doivent pas faire usage d’armes à feu contre des personnes, sauf en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave. Lorsque l’emploi de la force par la police entraîne des blessures graves ou la mort, il convient de mener sans délai une enquête approfondie, indépendante et impartiale, dans le droit fil des Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions.

Ces investigations doivent établir si l’usage de la force, notamment l’usage d’armes à feu, était nécessaire et proportionné. Lorsqu’un agent des forces de l’ordre est reconnu responsable d’avoir fait un usage arbitraire ou abusif de la force, il doit être déféré à la justice.

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