Tunisie. De nouveaux éléments inquiétants attestent de la brutalité des forces de sécurité


Communiqué de presse

27 janvier 2011

Amnesty International dévoile jeudi 27 janvier de nouveaux éléments de preuve inquiétants concernant les méthodes brutales auxquelles ont recouru les forces de sécurité tunisiennes en vue de réprimer les manifestations antigouvernementales au cours des dernières semaines.

L’équipe de chercheurs d’Amnesty International qui vient de rentrer de Tunisie a constaté que les forces de sécurité ont utilisé une force disproportionnée pour disperser les manifestants et ont parfois tiré sur des manifestants en fuite et des passants.

Selon les témoignages des médecins qui se sont entretenus avec les délégués de l’organisation, certains manifestants à Kasserine et Thala ont été tués de balles dans le dos, ce qui indique qu’ils étaient en train de s’enfuir. D’autres à Kasserine, Thala, Tunis et Regueb ont été tués d’une seule balle à la poitrine ou à la tête, ce qui laisse supposer une intention délibérée de donner la mort.

« Ces preuves choquantes confirment que les forces de sécurité tunisiennes ont utilisé des méthodes meurtrières pour faire taire les mécontents et dissuader les manifestants, a déploré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Le fait que certaines des victimes étaient indubitablement en train de s’enfuir témoigne d’un mépris total pour la vie humaine. Il est prioritaire que les autorités veillent sans délai à ce que les personnes placées sous leur commandement fassent preuve de modération et garantissent la sécurité publique. »

L’équipe de chercheurs a constaté que si des manifestants ont agi avec violence, les forces de sécurité ont fait usage d’une force disproportionnée pour les disperser et recouru à la force meurtrière alors que ce n’était pas strictement nécessaire. Même lorsque les manifestants étaient pacifiques, les forces de sécurité ont lancé de nombreuses grenades lacrymogènes, et tiré avec des balles en caoutchouc ou à balles réelles, et les ont frappés à l’aide de matraques.

Selon des témoins, certaines des victimes ne menaçaient en aucune façon la vie des membres des forces de l’ordre. D’autres ne prenaient même pas part aux manifestations.

C’est le cas de Manal Boualagi, 26 ans, mère de deux enfants, qui a reçu une balle dans la poitrine le 9 janvier après-midi dans la ville de Regueb, dans le centre de la Tunisie, alors qu’elle rentrait chez elle après avoir rendu visite à sa mère. Le médecin qui l’a examinée a déclaré à Amnesty International que l’angle des tirs ayant causé ses blessures laissait penser qu’elle avait été abattue par un tireur embusqué dans un immeuble voisin.

La mère de Manal, Chadia, réclame avec détermination que justice soit rendue à sa fille : « J’ai perdu une fille et mes petits-enfants sont orphelins. Je veux que les responsables de la mort de Manal soient réellement jugés pour ce qu’ils nous ont fait. »

Par ailleurs, l’organisation a recueilli des éléments attestant que de nombreuses personnes arrêtées dans le cadre des émeutes ont été victimes de torture ou de mauvais traitements en détention, notamment frappées à coups de matraques et à coups de poing, alors que d’autres étaient contraintes de s’agenouiller face à un mur des heures durant.

Un homme de 21 ans qui a préféré garder l’anonymat a expliqué à un chercheur d’Amnesty International qu’après avoir été arrêté à Tunis le 14 janvier, il a été conduit au ministère de l’Intérieur avec 30 autres prisonniers, dont 10 jeunes femmes.

Il a raconté que les policiers l’avaient roué de coups de matraque sur tout le corps. Il a finalement été relâché sans être inculpé, mais a été mis en garde contre toute nouvelle participation à des manifestations. L’ancien président Ben Ali avait déjà quitté le pays au moment des faits.

Amnesty International s’est félicitée de l’engagement pris par le gouvernement provisoire de charger une commission indépendante d’enquêter sur les atteintes aux droits humains commises par les forces de sécurité au cours des dernières semaines.

Toutefois, elle a demandé le 24 janvier dans son Programme pour le changement en matière de droits humains que les autorités prennent sans délai des mesures audacieuses et de grande portée, notamment la refonte totale du système judiciaire et des services de sécurité qui ont servi la répression dans le pays.

« Les familles des victimes doivent avoir accès à la justice, et cela passe forcément par la tenue d’une enquête digne de ce nom, disposant des pouvoirs nécessaires pour obliger les hauts responsables à témoigner, a expliqué Hassiba Hadj Sahraoui.

« Entre temps, tout représentant de l’État raisonnablement soupçonné d’avoir bafoué les droits humains doit être suspendu de ses fonctions. Les Tunisiens doivent constater que la culture des violations des droits humains appartient bel et bien au passé. »

Complément d’information

Une délégation d’Amnesty International s’est rendue en Tunisie du 14 au 22 janvier, et a rencontré des familles de victimes des émeutes, des personnes blessées lors des manifestations, des témoins et d’anciens détenus, ainsi que des avocats, des défenseurs des droits humains, des syndicalistes et des professionnels de la santé. Les chercheurs se sont rendus à Hammamet, Bizerte, Regueb, Thala et Kasserine. La majorité des événements présentés dans ce document se sont déroulés entre le 8 et le 13 janvier. Le rapport complet sur leur mission sera publié en février.

Le 24 janvier, Amnesty International a publié un document intitulé Tunisie. Programme pour le changement en matière de droits humains, dans lequel elle invite les autorités tunisiennes à lancer des réformes fondamentales et durables afin de rompre avec les 23 ans de violations systématiques des droits humains que le pays a connus sous le régime de Zine El Abidine Ben Ali.

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