Tunisie. La décision de justice en rapport avec Persepolis est le signe d’une « érosion » de la liberté d’expression

La décision d’un tribunal de Tunis de condamner le patron d’une chaîne télévisée à verser une amende pour « diffusion d’informations de nature à troubler l’ordre public » après la retransmission d’un film d’animation français, est un signe de l’érosion continue de la liberté d’expression en Tunisie, a déclaré Amnesty International.

Nabil Karoui a été condamné au paiement d’une amende de 2 400 dinars tunisiens (environ 1 185 euros) après que sa chaîne ait diffusé le film d’animation français Persepolis, doublé en dialecte arabe tunisien, en octobre 2011. Ce film a été critiqué, considéré comme blasphématoire à cause d’une scène dans laquelle Dieu est représenté. Les avocats de Nabil Karoui ont confirmé qu’il ferait appel de cette décision.

« En ce jour où la liberté de la presse dans le monde devrait été célébrée, la Tunisie s’est montrée incapable de respecter le droit fondamental à la liberté d’expression. Nabil Karoui n’aurait pour commencer jamais dû être jugé, et par conséquent jamais déclaré coupable pour avoir exercé son droit d’exprimer ses opinions de manière pacifique », a souligné Ann Harrison, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

Deux autres personnes ont également été déclarées coupables dans cette affaire. Nadia Jamal, présidente de l’association ayant assuré le doublage du film en dialecte tunisien, et Alhadi Boughanim, responsable du suivi des programmes. Tous deux ont également été condamnés à verser une amende.

D’autres ont précédemment été déclarés coupables de faits similaires. Le rédacteur en chef du quotidien en langue arabe Attounissia a ainsi été reconnu coupable de « diffusion d’informations de nature à troubler l’ordre public » le 8 mars 2012, et condamné à payer une amende de 1 000 dinars tunisiens (environ 500 euros). Ce quotidien avait publié une photo montrant un joueur de football germano-tunisien et sa compagne, apparaissant nue tandis que la main du sportif couvrait sa poitrine.

« Si la protection des mœurs ou de l’ordre public constitue parfois une raison légitime pour limiter la liberté d’expression, des restrictions de ce type ne sauraient être imposées que si elles sont absolument nécessaires. Ce n’est clairement pas le cas dans ces affaires. Nul ne devrait être déclaré coupable et condamné pour ses opinions, même lorsque celles-ci sont considérées comme polémiques ou choquantes », a ajouté Ann Harrison.

Ces condamnations sont prononcées alors que le mécontentement enfle face à ce qui est perçu comme un manque de volonté gouvernementale de respecter la liberté de la presse et des autres médias.

Des journalistes et des militants accusent le gouvernement de ne pas faire appliquer les nouvelles lois sur la presse et l’audiovisuel adoptées en novembre 2011, qui modifient des dispositions répressives de l’ancienne loi sur la presse.

Les autorités invoquent au contraire des articles du Code pénal tels que celui érigeant en infraction la « diffusion d’informations de nature à troubler l’ordre public » afin de poursuivre journalistes et autres personnes exprimant leurs opinions de manière pourtant pacifique. Le refus de mettre en œuvre les nouvelles lois est perçu par beaucoup comme une tentative du gouvernement de contrôler les médias et de restreindre leur activité.

Un rapport diffusé le mois dernier par l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication met en avant les problèmes auxquels le secteur des médias reste confronté, ainsi que la nécessité d’une réforme.

« À l’heure où la Tunisie devrait montrer la voie en faisant la preuve de son engagement en faveur d’un débat libre et ouvert, et donner l’exemple en respectant les droits humains, il est décevant de constater que les autorités recourent à ces tactiques pour réprimer la liberté d’expression », a conclu Ann Harrison.

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit