Communiqué de presse

Turquie. L’enquête sur le bombardement à Uludere manque de crédibilité

Amnesty International a écrit aux autorités turques afin d’exprimer la profonde inquiétude que lui inspire l’enquête sur le bombardement de civils par un avion militaire turc dans l’arrondissement d’Uludere/Qileban (département de Þýrnak, dans le sud-est du pays).

La nuit du 28 décembre 2011, un avion de l’armée turque a bombardé l’arrondissement d’Uludere/Qileban, faisant 34 morts – dont 18 mineurs – parmi la population civile. Aucune cible militaire n’a été atteinte lors de cette frappe ; les autorités ont dans un premier temps affirmé que des membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) avaient été touchés. Elles ont plus tard admis que des trafiquants civils avaient été atteints après être entrés en Turquie par l’Irak voisin.

Amnesty International a demandé aux autorités de mener une enquête rigoureuse, indépendante et impartiale et de faire en sorte que les victimes de cette attaque reçoivent des réparations, une indemnisation notamment. La Turquie est tenue, aux termes du droit international relatif aux droits humains, de veiller à ce que les allégations de violations des droits fondamentaux donnent lieu à de véritables enquêtes approfondies menées dans les meilleurs délais par des organes indépendants et impartiaux, et à s’assurer que des réparations, en particulier une indemnisation, soient accordées aux victimes, et que les responsables présumés rendent des comptes.

Amnesty International note avec satisfaction qu’une indemnisation financière a été versée aux familles des personnes décédées lors de l’attaque. L’organisation est cependant vivement préoccupée par d’autres événements survenus depuis l’annonce de l’ouverture de l’enquête, qui font douter de la rigueur et de l’impartialité de celle-ci et de sa capacité à déterminer ce qui s’est passé et qui est responsable.

Les déclarations faites par des témoins à propos du bombardement à des délégations de la société civile, notamment à des partis de l’opposition politique, des associations du barreau et une commission d’organisations de défense des droits humains, indiquent que les soldats savaient que les personnes présentes sur place étaient des civils. Des témoignages ont souligné que les soldats avaient connaissance du trafic auquel se livraient régulièrement des villageois et le toléraient, et qu’ils savaient en outre que des villageois impliqués dans ces activités se trouvaient sur les lieux de la frappe le jour du bombardement. Certains témoignages signalent par ailleurs que les villageois ayant traversé la frontière avec l’Irak ont été empêchés par des soldats de retourner dans le village d’Ortasu/Roboski ; il leur a été demandé de rester dans la zone qui a plus tard été bombardée.

Des organisations de défense des droits humains cherchant à enquêter sur les faits ont indiqué que des soldats invoquant des « raisons de sécurité » ont interdit à des délégués de se rendre sur la scène du bombardement. Les gouvernements ne doivent pas empêcher de représentants d’organisations de la société civile mandatées pour s’assurer de l’adhésion à des normes humanitaires ou en matière de droits humains de se rendre où que ce soit, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de penser que des atteintes au droit humanitaire ou relatif aux droits humains ont été commises. Amnesty International a cherché à en savoir plus auprès des autorités sur les motifs de l’interdiction adressée aux délégués.

La façon dont le parquet mène l’enquête alimente la crainte que toute la lumière ne soit pas faite sur les circonstances du bombardement.

Selon certaines informations, les procureurs n’ont toujours pas recueilli de témoignages, plus d’un mois après le bombardement. Ils doivent garantir que les témoignages fassent l’objet d’un examen rigoureux et que des membres du personnel militaire soient traduits en justice s’il existe des éléments prouvant qu’ils ont permis, par négligence ou intentionnellement, que des civils soient pris pour cibles.

En outre, selon certaines sources, les procureurs n’ont pas mené d’enquête sur la scène de la frappe, invoquant « la colère des résidents de la zone et le risque d’activités terroristes sur place ». Cette justification rappelle les manquements des autorités, lorsqu’elles se sont abstenues d’ouvrir une enquête dans les meilleurs délais sur la mort de Ceylan Önkol en 2009 ; cette adolescente aurait été tuée par un tir de mortier attribué aux forces armées turques alors qu’elle faisait paître du bétail près de chez elle. Amnesty International observe que dans ce cas, l’information judiciaire n’est toujours pas close, plus de deux ans après le décès de Ceylan Önkol.

Amnesty International déplore par ailleurs que le parquet s’appuie semble-t-il sur des unités militaires pour recueillir des éléments de preuve sur la scène du bombardement, compromettant ainsi l’indépendance de l’enquête.

Amnesty International a cherché à obtenir des éclaircissements de la part des autorités sur le motif pour lequel une « ordonnance de non-divulgation » a été prise dans le cadre de cette enquête, empêchant à la fois au public de soumettre celle-ci à un examen attentif et aux avocats agissant au nom des familles de victimes d’en connaître l’évolution.

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