Une pause pour réfléchir : il y a 40 ans, la Cour suprême des États-Unis suspendait brièvement les exécutions

Par Rob Freer, chercheur sur les États-Unis à Amnesty International

Il y a 40 ans, pendant une courte période, les États-Unis ont semblé vouloir adhérer à la tendance qui se dessinait au niveau mondial contre la peine de mort.

Le 29 juin 1972, la Cour suprême fédérale a rendu un arrêt dans l’affaire Furman c. Géorgie, qui invalidait les lois relatives à la peine de mort et annulait près de 600 sentences capitales en instance.

Cette période fut cependant fugace. Seuls deux des juges avaient considéré la peine capitale comme intrinsèquement anticonstitutionnelle, laissant aux législateurs américains une marge de manœuvre. Les États américains n’ont guère montré d’hésitation avant de s’atteler à réviser leurs lois relatives à la peine capitale. Ainsi, quatre petites années plus tard, dans l’arrêt Gregg c. Géorgie, la Cour suprême donnait son feu vert à la reprise des exécutions.

En 1972, 13 pays avaient aboli la peine de mort pour tous les crimes. Quarante ans plus tard, on en dénombre 97, tandis que 141 États sont abolitionnistes en droit ou dans la pratique.

En 2012, seuls 57 pays maintiennent la peine capitale, parmi lesquels un petit nombre est responsable de la grande majorité des exécutions pratiquées chaque année dans le monde. Les États-Unis sont de ceux-là : ils ont mis à mort 1 300 hommes et femmes depuis que la Cour suprême a levé en 1976 le moratoire établi par l’arrêt Furman c. Géorgie.

Plus de 3 000 prisonniers sont actuellement dans le couloir de la mort aux États-Unis.

Le juge Thurgood Marshall, qui avec son collègue William Brennan a statué dans l’arrêt Furman que la peine de mort était intrinsèquement anticonstitutionnelle, s’est félicité du mouvement mondial en faveur de l’abolition et de la perspective que les États-Unis y adhèrent.

Quant au président de la Cour suprême Warren Burger, à la tête de l’opinion dissidente avancée par les quatre juges dans cette affaire, il a rejeté cette tendance mondiale, la qualifiant de « chemin vers une solution judiciaire dans un pays régi par une Constitution écrite ». Cette opinion dissidente a ouvert la voie à l’arrêt Gregg c. Géorgie rendu quatre ans plus tard.

En 1992, alors que les États-Unis, pour la première fois depuis la levée du moratoire établi par l’arrêt Furman, ont procédé cette année-là à plus de 30 exécutions, chiffre qui allait plus que tripler d’ici à 1999, ils ont ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Ce traité introduit des restrictions concernant le recours à la peine capitale et sa formulation suggère que les gouvernements doivent œuvrer en vue de l’abolition.

Lorsqu’ils ont ratifié le PIDCP, les États-Unis ont sans détour émis plusieurs réserves – s’agissant des restrictions à l’application de la peine capitale, aucune disposition ne serait adoptée qui pourrait prendre le pas sur la Constitution. Ils maintiennent aujourd’hui encore ces réserves, lors même que le Comité des droits de l’homme, organe d’experts chargé de surveiller la mise en œuvre du PIDCP, a demandé leur retrait.

Au cours de la décennie écoulée, ces mêmes réserves ont permis de trouver des justifications légales, mais biaisées, à la torture et autres mauvais traitements infligés aux prisonniers sous la responsabilité des États-Unis dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. La question se pose alors de savoir si le maintien de la peine de mort aux États-Unis durant les 30 dernières années du 20e siècle a contribué aux atteintes aux droits humains commises durant la première décennie du 21e.

Si l’arrêt Furman avait mis un terme définitif à la peine de mort, plutôt que de laisser la porte ouverte aux revirements, les États-Unis auraient gagné en respect des principes relatifs aux droits humains qu’ils se targuent de défendre.

Au lieu de cela, le maintien de l’exécution judiciaire a institutionnalisé un rituel cruel – les familles des condamnés à mort endurent une grande souffrance, qui s’ajoute à la douleur et au chagrin des familles des victimes – qui n’apporte aucun bénéfice constructif au niveau de la société. Qui plus est, le risque d’erreur et d’iniquité irréversible est inhérent à ce châtiment.

En le faisant perdurer, les États-Unis ont cimenté leur réticence à appliquer le droit international relatif aux droits humains à leur propre conduite et la propension à considérer les normes constitutionnelles nationales comme l’unique étalon en matière de justice.

Quarante ans après l’arrêt Furman et 20 ans après la ratification du PIDCP, les États-Unis feraient bien de réfléchir aux propos du juge Marshall. Dans sa longue opinion délivrée dans l’affaire Furman, il a incité les États-Unis à se penser comme un pays qui « chérit son héritage constitutionnel et rejette les solutions simples qui mettent en péril les valeurs sur lesquelles se fondent notre système démocratique ».

En déclarant anticonstitutionnelles les lois américaines relatives à la peine de mort, le juge Marshall a fait valoir :

« […] cette Cour ne dénigre pas notre système de gouvernement. Au contraire, elle le plébiscite… En reconnaissant l’humanité de nos semblables, nous nous rendons le plus bel hommage. Nous franchissons une étape fondamentale sur la longue route qui nous éloigne de la barbarie en vue de rejoindre les quelque 70 juridictions qui, de par le monde, célèbrent leur considération pour la civilisation et l’humanité en bannissant la peine capitale. »

Aujourd’hui, le nombre total de pays ayant aboli ce châtiment des plus cruels et inhumains a doublé, pour atteindre plus de 140. Les États-Unis doivent se demander pourquoi ils accusent un tel retard sur cette question essentielle relevant des droits fondamentaux. Ils doivent veiller à ce que leur système constitutionnel et leur processus démocratique, loin d’être érigés en obstacles, soient mis au service d’une force progressiste et favorable aux droits humains.

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